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Dans quel sens faut-il donc prononcer ce mot, L'homme est libre? dans le même sens qu'on prononce les mots de santé, de force, de bonheur. L'homme n'est pas toujours fort, toujours sain, toujours heu

reux.

Une grande passion, un grand obstacle, lui ôtent sa liberté, sa puissance d'agir.

Le mot de liberté, de franc arbitre, est donc un mot abstrait, un mot général, comme beauté, bonté, justice. Ces termes ne disent pas que tous les hommes soient toujours beaux, bons, et justes; aussi ne sontils pas toujours libres.

Allons plus loin : cette liberté n'étant que la puissance d'agir, quelle est cette puissance? Elle est l'effet de la constitution et de l'état actuel de nos organes. Leibnitz veut résoudre un problème de géométrie, il tombe en apoplexie, il n'a certainement pas la liberté de résoudre son problème. Un jeune homme vigoureux, amoureux éperdument, qui tient sa maîtresse facile entre ses bras, est-il libre de dompter sa passion? non sans doute : il a la puissance de jouir, et n'a pas la puissance de s'abstenir. Locke a donc eu très grande raison d'appeler la liberté puissance. Quand est-ce que ce jeune homme pourra s'abstenir malgré la violence de sa passion? quand une idée plus forte déterminera en sens contraire les ressorts de son ame et de son corps.

Mais quoi! les autres animaux auront donc la même liberté, la même puissance? Pourquoi non? Ils ont des sens, de la mémoire, du sentiment, des perceptions, comme nous; ils agissent avec spontanéité

comme nous : il faut bien qu'ils aient aussi, comme nous, la puissance d'agir en vertu de leurs perceptions, en vertu du jeu de leurs organes.

On crie: S'il est ainsi, tout n'est que machine, tout est dans l'univers assujetti à des lois éternelles. Eh bien! voudriez-vous que tout se fît au gré d'un million de caprices aveugles? Ou tout est la suite de la nécessité de la nature des choses, ou tout est l'effet de l'ordre éternel d'un maître absolu : dans l'un et dans l'autre cas nous ne sommes que des roues de la machine du monde.

C'est un vain jeu d'esprit, c'est un lieu commun de dire que sans la liberté prétendue de la volonté, les peines et les récompenses sont inutiles. Raisonnez, et vous conclurez tout le contraire.

Si quand on exécute un brigand, son complice qui le voit expirer a la liberté de ne se point effrayer du supplice; si sa volonté se détermine d'elle-même, il ira du pied de l'échafaud assassiner sur le grand chemin: si ses organes frappés d'horreur lui font éprouver une terreur insurmontable, il ne volera plus. Le supplice de son compagnon ne lui devient utile et n'assure la société qu'autant que sa volonté n'est pas libre.

la

La liberté n'est donc et ne peut être autre chose que la puissance de faire ce qu'on veut. Voilà ce que philosophie nous apprend. Mais si on considère la liberté dans le sens théologique, c'est une matière si sublime que des regards profanes n'osent pas s'élever jusqu'à elle 1.

Voyez l'article LIBERTÉ. K.

FRANCHISE1.

Mot qui donne toujours une idée de liberté dans quelque sens qu'on le prenne; mot venu des Francs, qui étaient libres : il est si ancien, que lorsque le Cid assiégea et prit Tolède, dans l'onzième siècle, on donna des franchis ou franchises aux Français qui étaient venus à cette expédition, et qui s'établirent à Tolède. Toutes les villes murées avaient des franchises, des libertés, des priviléges, jusque dans la plus grande anarchie du pouvoir féodal. Dans tous les pays d'états, le souverain jurait à son avénement de garder leurs franchises.

Ce nom, qui a été donné généralement aux droits des peuples, aux immunités, aux asiles, a été plus particulièrement affecté aux quartiers des ambassadeurs à Rome. C'était un terrain autour des palais; et ce terrain était plus ou moins grand, selon la volonté de l'ambassadeur. Tout ce terrain était un asile aux criminels; on ne pouvait les y poursuivre. Cette franchise fut restreinte sous Innocent XI à l'enceinte des palais. Les églises et les couvents en Italie ont la même franchise, et ne l'ont point dans les autres états. Il y a dans Paris plusieurs lieux de franchise, où les débiteurs ne peuvent être saisis pour leurs dettes par la justice ordinaire, et où les ouvriers peuvent exercer leurs métiers sans être passés maîtres. Les ouvriers ont cette franchise dans le faubourg

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Saint-Antoine; mais ce n'est pas un asile comme le Temple.

Cette franchise, qui exprime ordinairement la liberté d'une nation, d'une ville, d'un corps, a bientôt après signifié la liberté d'un discours, d'un conseil qu'on donne, d'un procédé dans une affaire : mais il y a une grande nuance entre parler avec franchise, et parler avec liberté. Dans un discours à son supérieur, la liberté est une hardiesse ou mesurée ou trop forte; la franchise se tient plus dans les justes bornes, et est accompagnée de candeur. Dire son avis avec liberté, c'est ne pas craindre; le dire avec franchise, c'est se conduire ouvertement et noblement. Parler avec trop de liberté, c'est marquer de l'audace; parler avec trop de franchise, c'est trop ouvrir son cœur.

FRANÇOIS RABELAIS1.

FRANÇOIS XAVIER2.

Il ne serait pas mal de savoir quelque chose de vrai concernant le célèbre François Xavero, que nous nommons Xavier, surnommé l'apôtre des Indes. Bien des gens s'imaginent encore qu'il établit le christianisme sur toute la côte méridionale de l'Inde, dans

I L'article qu'on trouvait sous ce mot dans les Questions sur l'Encyclopé die était divisé en deux sections. La première se composait de la première des Lettres à son altesse sérénissime monseigneur le prince de***. La seconde section était formée de la majeure partie de la seconde des mêmes Lettres. Voyez Mélanges, année 1767. B.

2 Questions sur l'Encyclopédie, sixième partie, 1771. Voyez aussi

XAVIER. B.

une vingtaine d'îles, et surtout au Japon. Il n'y a pas trente ans qu'à peine était-il permis d'en douter dans l'Europe.

Les jésuites n'ont fait nulle difficulté de le comparer à saint Paul. Ses voyages et ses miracles avaient été écrits en partie par Tursellin et Orlandin, par Lucéna, par Bartoli, tous jésuites, mais très peu connus en France: moins on était informé des détails, plus sa réputation était grande.

Lorsque le jésuite Bouhours composa son histoire, Bouhours passait pour un très bel esprit; il vivait dans la meilleure compagnie de Paris; je ne parle pas de la compagnie de Jésus, mais de celle des gens du monde les plus distingués par leur esprit et par leur savoir. Personne n'eut un style plus pur et plus éloigné de l'affectation: il fut même proposé dans l'académie française de passer par-dessus les règles de son institution pour recevoir le père Bouhours dans son corps*.

Il avait encore un plus grand avantage, celui du crédit de son ordre, qui alors, par un prestige presque inconcevable, gouvernait tous les princes catholiques.

La saine critique, il est vrai, commençait à s'établir; mais ses progrès étaient lents: on se piquait alors en général de bien écrire plutôt que d'écrire des choses véritables.

Bouhours fit les Vies de saint Ignace et de saint

a Sa réputation de bon écrivain était si bien établie, que La Bruyère dit dans ses Caractères (chap. 1o): « Capys croit écrire comme Bouhours ou Ra« ‹ butin. »

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