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il avoit vécu avec eux; et depuis qu'il avoit accepté ces pénibles fonctions, il regardoit comme le seul dédommagement de ses travaux, le plaisir de les voir encore davantage. Il étoit Homme de Lettres lui-même et bien plus, réunissoit assez de connoissances dans tous les genres, pour parler à cha cun le langage qui lui convenoit, parcourir avec intérêt les productions nouvelles, et choisir avec discernement ceux qu'il étoit forcé d'en faire juges. Souvent il prodiguoit, avec cette délicatesse qui lui étoit naturelle, et qui portoit le caractère de la loyauté et de la bonhommie, les secours les plus puissans à ceux dont il savoit apprécier les talens et deviner les besoins. A l'époque de la disgrace de son père, arrivée au mois de Décembre 1768, il cessa d'avoir la direction de la Librairie.

Le 12 Juillet 1775, il donna sa démission de la première Présidence de la Cour des Aides, et dans le même mois, il fut nommé Ministre et Secrétaire d'Etat au Département de Paris. Il parut singulier que Malesherbes eût accepté une place dont les fonctions répugnoient le plus à ses prin cipes; mais le Roi l'ayant choisi pour donner à son peuple un Ministre aimé, un Ministre bienfaisant, pouvoit il s'y refuser? Il sentit toute l'étendue du sacrifice qu'on exigeoit de lui, mais il s'y crut obli-* gé. En se chargeant de ce Département, qu'on étoit accoutumé à regarder comme peu considérable, il prouva combien il pouvoit devenir impor tant pour le bonheur de la Nation. La liberté ren due à un grand nombre de victimes détenues dans les prisons d'Etat, l'examen des lettres de cachet attribué à une commission composée des Magistrats les plus austères et les plus probes, les réformes et les établissemens qu'il fit pendant la courte durée de son ministère, en sont un témoignage irrévocable.

Enflammé du désir de se livrer tout entier à dif férens projets de bien public, voyant que les occu pations de sa place ne lui permettoient pas de mettre la suite nécessaire aux travaux qu'il méditoit, il donna sa démission le 12 Mai 1776.

A cette époque, Malesherbes entreprit des voyages dans différentes contrées de la France, en Italie, en Hollande, en Angleterre, et dans la Suisse, où il recueillit avec discernement et avidité tour ce qui pouvoit intéresser les Sciences et les Arts. Voyageant avec la simplicité et l'écono mie d'un Homme de Lettres qui s'enveloppe du mystère pour observer et s'instruire, il réservoit les moyens de sa fortune pour toutes les circonstances où ils pouvoient lui procurer des lumières sur quelque objet intéressant. Il obtint, de cette manière, de nombreuses observations, à la rédaction desquelles il employoit la moitié de ses journées; car il avançoit lentement et souvent à pied, pour étudier avec plus de fruit ce qui devoit fixer son attention. Il décrivoit dans ses notes, avec clarté et précision, ce qu'il avoit observé; et ne perdant jamais de vue le bien de son pays, il faisoit luimême l'application la plus utile de ses recherches, à l'amélioration des différentes branches de culture et d'industrie qu'elles concernoient. Afin que le public en pût retirer quelque avantage, il les communiquoit à ses amis, Duhamel, Fougeroux, Tessier, Rozier, et autres, pour qu'ils en fissent usage dans les importans ouvrages dont ils s'occupoient. Il a souvent regretté de n'avoir pas fait ces différens voyages avant d'entrer dans le Ministère, parce qu'il auroit pu indiquer au Gouvernement des établissemens très utiles et peu dispendieux à faire dans plusieurs Provinces de la France.

Rentré depuis dans le Conseil, Malesherbes ne

cessa de s'occuper d'objets importans pour le bien de ses concitoyens et de l'humanité: ce fut à cette époque qu'il fit rendre aux Protestans une partie des droits de citoyens en France, dont ils avoient été privés, et il avoit recueilli beaucoup de matériaux concernant les Juifs, dont on trouve les manuscrits dans sa Bibliotheque.

Il sollicita vivement et il obtint enfin la permission de se retirer. Ses champs et ses jardins de Malesherbes le rappeloient; seul avec la nature sa famille et ses amis, il pouvoit reprendre le cours de travaux plus paisibles et non moins utiles. Passant les soirées et la plus grande partie des nuits à étu dier et à lire, le jour, une bêche à la main, il parcouroit ses jardins et ses bois, distribuoit les travaux, observoit le résultat de ses expériences, en faisoit de nouvelles, et chacun de ses pas, chacune de ses démarches, avoit toujours pour but l'utilité publique.

C'est dans cette aimable solitude que sa philantropie avoit réuni les plantes et les arbres étrangers qu'il lui paroissoit le plus intéressant d'acclimater; c'est-là qu'il étoit parvenu à en multiplier quelquesuns, au point de les disséminer dans ses bois.

Comme il ne trouvoit de jouissance que dans le bien général, la vafte maison qu'il tenoit de son père, n'avoit reçu de lui ni changemens, ni embellissemens, quoiqu'elle fût, en général, peu commode et mal distribuée. Cependant, cette propriété de Malesherbes lui coûtoit annuellement des sommes énormes, par les travaux immenses et continuels qu'il y faisoit faire pour l'agrément et l'utilité de ses habitans.

Au milieu des occupations dont Malesherbes embellissoit chaque instant de sa vie, il étendoit encore loin de lui la sphère de sa bienfaisante acti

vité, il avoit préparé les matériaux de plusieurs Mémoires sur les arbres, qu'il auroit successivement publiés, et un auquel il attachoit plus d'importance, sur la manière d'utiliser les différentes espèces de Landes.

Son excellent Mémoire sur les moyens d'accélérer les progrès de l'économie rurale en France fat imprimé en 1790, par ordre de la Société d'Agriculture, à laquelle il avoit été lu.

Malesherbes consumoit ainsi paisiblement le reste de sa carrière au milieu de ses bois et de ses cultures lorsqu'un événement funeste vint l'arracher à sa famille et à ses travaux. Louis XVI alloit être jugé; puissant, il l'aimoit; malheureux, il vole à sa dé fense. Il écrit au Président de la Convention Nationale la lettre suivante :

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Paris, le 11 Décembre 1792, l'an premier de la République.

« J'ignore si la Convention Nationale donnera à » Louis XVI un Conseil pour le défendre, et si » elle lui en laissera le choix. Dans ce cas-là, je » désire que Louis XVI sache que s'il me choisit » pour cette fonction, je suis prêt à m'y dévouer. » Je ne vous demande pas de faire part à la Convention de mon offre, car je suis bien éloigné » de me croire un personnage assez important pour » qu'elle s'occupe de moi; mais j'ai été appelé deux » fois au Conseil de celui qui fut mon maître

dans le temps que cette fonction étoit ambitionnée >> par tout le monde, je lui dois le même service » lorsque c'est une fonction que bien des gens » trouvent dangereuse. Si je connoissois un moyen » possible pour lui faire connoître mes dispositions, »je ne prendrois pas la liberté de m'adresser à

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» J'ai pensé que, dans la place que vous occu» pez, vous aurez plus de moyens que personne » pour lui faire passer cet avis.

> Je suis avec respect, etc.

Cette lettre, monument éternel de son courage et de sa reconnoissance, porte l'empreinte non équivoque du sentiment moral qui l'a dictée, et de la modestie de Malesherbes, si facile à distinguer par l'extrême simplicité qui la caractérise..

Quel fut l'attendrissement de Louis en lisant parmi les noms de ceux qui s'offroient pour être ses défenseurs, celui de Malesherbes! Ses yeux arrosèrent de larmes le nom de ce vénérable vieil lard, qui, plus que septuagénaire, s'arrachoit aux douceurs de sa retraite, reparoissoit dans cette Capitale agitée de tant de tempêtes, et venoit se dévouer aux incertitudes d'un semblable procès.

Louis fut heureux de trouver un tel défenseur, de verser dans le sein de l'amitié ses peines et ses dernières pensées; et Tronchet et Seze lui furent

associés.

La France, encore en deuil et gémissante sur la fin tragique de cet événement, s'honorera un jour de consacrer sa reconnoissance envers les trois Défenseurs de Louis XVI.

Après avoir satisfait à ce dernier devoir d'humanité et de dévouement, Malesherbes retourna dans son habitation champêtre pour y consacrer, dans le sein de sa famille, d'immortels regrets, destinant le reste de ses jours à s'occuper de travaux qui avoient pour but les progrès de l'agriculture, L'activité de ses expé riences et de ses observations, leur donnoit plus d'importance et d'extension. Tout entier à la nature et aux moyens de multiplier ses productions, il étoit presque parvenu à oublier les événemens politiques.

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