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cité de sa vie; son affabilité lui attiroit la confiance de tout le monde; jamais il ne dédaigna de s'en tretenir avec celui qui se présentoit, quel qu'il fût; et on le quittoit avec peine, pénétré de reconnois→ sance pour sa bonté, et enchanté de sa bonhommie. Il disoit souvent qu'il n'avoit jamais conversé avec les hommes les plus grossiers et les moins instruits, sans avoir appris quelque chose qu'il ne savoit pas.

Les Sciences et les Arts utiles occupoient particu lièrement ses loisirs; mais il étoit prodigieusement instruit en littérature; son goût étoit digne des modeles qu'il s'étoit choisis dans sa jeunesse, et il savoit par cœur tous les Auteurs classiques anciens, et ceux dont la France s'honore: Horuce, parmi les Latins; Corneille, Racine, la Fontaine, Molière et Voltaire, parmi les modernes, étoient ceux qu'il relisoit sans cesse. Racine étoit celui qu'il citoit le plus souvent, et ses citations étoient accompagnées de remarques pleines de sagacité et de profon

deur.

Il contoit avec une facilité et un intérêt qui n'appartenoient qu'à lui, et il étoit difficile de passer une heure dans sa société, sans être frappé de plusieurs anecdotes plus piquantes et plus neuves les unes que les autres.

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Ce n'étoit donc point pour flatter sa vanité et décorer leurs listes du nom d'un homme puissant, que les trois Académies, et plusieurs sociétés d'Agriculture l'avoient admis. Il avoit été nommé à l'Académie des Sciences en 17,0; à celle des BellesLettres en 1759; et à l'Académie Françoise en 1775.

Il avoit pour amis les hommes du plus grand mérite. Plusieurs n'existent plus, mais il reste encore, parmi ceux qui lui étoient le plus attachés, André Thouin, Charles l'Héritier, Gaillard, Abeille, Juffieu, Teffier, Daubenton, etc.

Les preuves qu'il donna de sa bienfaisance et de la bonté de son cœur, sont innombrables. Il étoit toujours prêt à accueillir, à consoler et à secourir celui qui souffroit ou qui éprouvoit des besoins; il s'identifioit, en quelque sorte, avec lui, et lui prodiguoit tous les secours qui étoient en son pouvoir. Souvent même il alloit au-delà de ce que sa fortune sembloit devoir lui permettre; ces excès de bienfaisance devinrent si multipliés, qu'il se vit oblige de s'imposer la loi de ne toucher à la fois, et à terme fixe, qu'une somme déterminée, encore cette précaution fut-elle quelquefois inutile. Un jour, entr'autres, un homme de bien, son ami, auquel il avoit confié la gestion de ses affaires, lui fit des reproches sur sa trop grande générosité. Il en avoit reçu, le matin même, la somme qui devoit lui servir pour ses dépenses d'un mois, et il l'avoit donnée à un indigent. Malesherbes lui peignit la malheureuse situation de celui qu'il avoit secouru, avec autant d'intérêt, avec autant de chaleur qu'un autre en auroit mis à plaider sa propre cause: Vous voyez bien, ajouta-t-il, que je ne pouvois pas faire autrement.

Malesherbes a péri le 22 Avril 1794, vieux style. Je ne puis mieux dépeindre sa fin tragique qu'en rapportant la manière dont elle est rendue dans la tragédie de Pausanias.

Hélas! dans la stupeur où le sommeil des loix
Jetoit les Citoyens sans courage et sans voix,
Nos yeux, nos yeux ont vu ce Magistrat austère,
Tendre au fatal couteau sa tête octogénaire,
Entouré des enfans que son intégrité
Elevoit dans l'honneur et dans la probité;
Nous avons vu leur sang rejaillir dans ses larmes,
Et pour Pausanias ce spectacle eut des charmes.

TABLE

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Mais ce calme précieux ne fut pas d'une longue durée ; un jour du mois de Décembre 1793, Malesherbes, une bêche à la main, alloit parcourir ses jardins et ses bois, lorfqu'il aperçut, dans une allée, un groupe d'hommes qui s'acheminoient vers sa maison. A leur tête étoient trois individus aux cheveux noirs et plats, à la barbe longue, armés d'un sabre et bandoulière; c'étoient trois membres du Comité révolutionnaire de la Section de Bondy de Paris, qui menoient à leur suite la Municipalité, pour arrêter et emmener à Paris le gendre et la fille de Malesherbes.

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Pénétré de la plus vive impression en revenant avec eux, il sentit qu'il devoit déguiser son affliction pour ne pas décourager ceux qui en étoient L'objet. Il espéroit même qu'il pourroit être le compagnon de leur infortune; mais on vouloit qu'il épuisât goutte à goutte la coupe amère de la douleur. Son gendre et sa fille partirent, et il resta avec ses petits-enfans.

Ce premier événement répandit la terreur dans cette paisible habitation, respectée jusqu'alors comme l'afile des vertus et de la bienfaisance. Malesherbes seul au milieu du reste infortuné de sa famille s'occupoit à la consoler et à lui donner des espérances dont il avoit besoin lui-même, lorsque le lendemain, avant le jour, de nouveaux satellites se présentèrent avec une nouvelle liste de proscription, qui embrassoit à la fois Malesherbes et ses plus jeunes enfans.

La terreur n'avoit pas encore jeté d'assez profondes racines dans le cœur des habitans de la Commune, pour étouffer entièrement les élans de l'indignation, de la douleur, et de la reconnoissance. La tristesse étoit empreinte sur tous les visages; on osoit se demander ce que ce vertueux Patriarche

avoit fait pour mériter cet excès de rigueur: on osoit jurer qu'il étoit innocent; et quatre Officiers municipaux. au nom de leur Commune, eurent le courage de se porter pour sa caution, et de l'accom pagner avec sa famille, afin d'écarter du moins l'appareil humiliant d'une force armée, dont les arrestateurs vouloient entourer les voitures.

Au milieu des sentimens douloureux qui déchiroient toutes les ames, et de la terreur qui glaçoit tous les cœurs Malesherbes conservoit le calme de la vertu. Moins incertain de son sort, qu'il trouvoit plus doux, parce qu'il le partageoit avec ceux qu'il aimoit, sa gaieté franche ne l'abandonnoit point; sa conversation, aussi libre, aussi variée, aussi instructive qu'elle l'avoit toujours été, n'avoit aucun trait à sa situation; et si le langage grossièrement atroce de ceux qui l'enchaînoient n'avoit offert un contraste qu'il étoit difficile de ne point. Lemarquer, on eût dit que c'étoient des amis ou des voisins qu'il recevoit.

Il partit enfin, et dès la nuit même on le conduisit à la maison d'arrêt des Madelonnettes, avec son petit-fils Louis le Pelletier, tandis que ses autres petits enfans furent dispersés dans des prisons. différentes.

Aux soins touchans qu'il recevoit de son petitfils, Malesherbes désiroit d'ajouter le bonheur de se réunir au reste de sa famille. C'étoit famille. C'étoit peut-être pour la première fois qu'il formoit une demande. pour lui-même; il demanda avec instance, et il obtint. En effet, il fut réuni avec toute sa famille dans la maison d'arrêt de Port-Libre (ci-devant le Monastère de Port-Royal), et de ce moment même il ne désira plus rien.

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Son arrivée jeta la consternation parmi les malheureux habitans de cette prison d'Etat; ils sen

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