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que de l'oraison, pendant même le temps de la récréation, aussi bien que dans un autre temps; et en vérité c'était la plus douce récréation de ce saint lieu. Ce qui est merveilleux, dit Mgr Doncy, évêque de Montauban, c'est qu'on ne s'y ennuyait jamais. Les discours du monde, les nouvelles de la terre n'y avaient aucun accės. On s'y levait de grand matin, et durant toute la journée c'était une application continuelle à Dieu. M de Bernières sortait pour les fonctions de sa charge; mais ceux qui le connaissaient savaient qu'il ne perdait jamais de vue l'union avec son divin Maître.

C'est dans cet exercice angélique que ce pieux trésorier de France puisa les Jumières répandues dans ses traités de la vie intérieure et devint l'un des plus grands contemplatifs du dix-septième siècle. Son directeur lui avait commandé d'écrire ce que Dieu lui communiquerait dans son oraison; M. de Bernieres le fit par obéissance et dicta plusieurs cahiers à un bon prêtre qui demeurait avec lai. Ces cahiers furent, après sa mort, remis au père Louis-François d'Argentan, auteur de plusieurs ouvrages ascétiques. Il tira des manu-c its de M. de Bernières deux volumes qu'il donna au pub ic sous le titre : Du chrétien intérieur, ou Conformité intérieure que doivent avoir les chretiens avec Jesus Christ Cet ouvrage fur très bien reçu des personnes de piété, et l'on en fit de grands éloges. L'auteur y traite de la perfection la plus relevée, mais dans un style simple et facile à comprendre.

Une nouvelle édition de cet ouvrage a paru de nos jours, mais dans le temps il n'eut pas moins de douz› éditions et se vendit à plus de trente miile exemplaires. La charité qui animait M. de Bernières le rendait propre à conduire les âmes; aussi aidait-il volontiers de ses conseils ceux qui les réclamaient, et le nombre en était très grand. Non seulement il était consulté par ies laïques, mais encore par les ecclésiastiques et les religieux.

Une vertu aussi parfaite que celle de M. de Bernières ne devait point, ce semble, craindre le trépas; cependant Dieu, dont les desseins sont admirables, permit que son serviteur éprouvât une frayeur extraordinaire de la mort. La tradition de sa famille est qu'il demandait au Seigneur de mourir subitement. Sa prière fut exaucée. Le 3 mai 1659, qui fut le dernier iour de sa vie, il n'avait eu aucune atteinte de mal. Un domestique était chargé de l'avertir tous les soirs que le temps de l'oraison était fini. parce que sans cette précaution il eût donné à la prière les instants qu'il devait au sommeil. Lorsque ce valet de chambre entra dans son appartement pour s'acquitter de sa commission, M. de Rernières le pria, avec sa douceur ordinaire, de le laisser encore un moment. Ce moment, qui, selon les apparences, ne se mesura pas à la minute, étant fini, le serviteur rentre, et trouve son bon maitre à genoux, mais sans mouvement et sans vie. Son âme perdue dans le sein de la divinité n'avait pu revenir à lui. Il était âgé de cinquante-sept ans. Son corps fut enterré dans l'église des Ursulines de Caen. L'on mit sur son tombeau ces mots Jésus-Christ est mort pour tous les hommes. C'était sa devise. Il s'était fait faire un cachet qui portait l'image de son crucifix avec la même inscription. Cette seule parole: C'est pour mon amour que le Fils de Dieu s'est fait homme et qu'il est mort sur la croix, remplissait son cœur de la plus douce consolation. Il s'en servait pour nourrir sa foi, pour animer sa confiance, pour enflammer son amour. Et quels effets admirables ne produisirent pas ces vertus dans M. de Bernières! (Notice de la vie et des écrits de M. de Bernières, par Mgr honey, évêque de Montauban; Ed. Frère, Manuel du bibliographe normand; Théod. Lebreton, Bibliographie normande;

etc.).

(29) Lettres de Marie de l'Incarnation, p. 659;

(30) Dom Claude Martin, p. 354.

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(31) Avant de partir pour Paris, Mme de la Peltrie fit avec sa sœur le partage des biens de ses père et mère. Voici quelques extraits de cet acte de partage:

« Le 7 avril 1638, devant les tabellions d'Alençon, eut lieu le partage des « successions de défunts noble maitre Guillaume de Chauvigny, sieur du lieu et de Vaubongon, vivant président de l'élection d'Alençon, et de damo selle Jeanne du «<lonchet (1), leur père et mère entre leurs deux filles Marguerite de Chauvigny, épouse de Georges des Moulins, escuier, sieur de la Queustière (2), capitaine des «<eaux et forêts du bailliage d'Alençon, et dame Magdelaine de Chauvigny, veuve « de défunt messire Charles de Gruel, vivant chevalier, sieur de la Peltrie. »

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Le second lot, qui fut attribué à Madame de la Peltrie, comprenait entre autres choses :

« Le fief de Harenvilliers ou Rouilley qui s'étend ès paroisses de Saint-Aubind'Appenay, Laleu et lieux circonvoisins, ainsi qu'il se poursuit et se comporte « le dit fief ayant droit de cour, usage, etc.

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« La terre de Rouilley, autrement Harenvilliers, assise ès paroisses de SaintAubin-d'Appenay. Laieu et lieux circonvoisins, châtellenie d'Essay, consistant «<en etc., etc. ». (Copie sur papier collationrée sur l'original en parchemin par... huissier au parlement de Rouen. Archives de Lisle).

(32) P. Charlevoix, liv. IV, p. 225.

(33) Lettres de la Mère de l'Incarnation, p. 659; Dom Claude Martin, p, 360.

(34) P. Charlevoix, liv. IV. p. 232.

(35) Dom Claude Martin, p. 372.

(36) P. Charlevoix, liv. IV, p. 245.

(37) Lettres de la Mère de l'Incarnation, p. 663.

(38) Dom Claude Martin, p. 383.

(39) P. Charlevoix, liv. IV, p. 250.

(40) Aux arrhives de Lisle se trouve aussi l'intéressante pièce, dont nous donnons ici le titre.

« Fondation des Ursulines de Québec. Donation de la métairie de Rouilley, autre«ment Harenvilliers, assise ès paroisses de Saint-Aubin-d'Appenay, Laleu et vicomté « d'Alençon, chastellenie d'Essay, devant les notaires du Châtelet, 28 mars 1639, << suivie de l'autorisation de l'archevêque de Tours. » (Cette autorisation avait été donnée dès le 20 février 1639). (Copie sur papier collationnée sur l'original au parchemin par les notaires d'Alençon, le 14 janvier 1676).

(41) Madame de la Peltrie avait donné aux Ursulines de Quebec la métairie de Harenvilliers, mais elle s'était réservé le fief. Guillaume Laudier, écuyer, sieur de

(1) Jeanne du Bouchet était fille de François du Bouchet, seigneur de Malèfre, et de Marie de Tucé, veuve en premières noces de René Joannes, sieur de Glatigny.

(2) Georges des Moulins, écuyer, sieur de la Qreuslière, en Saint-Romer-les-Forges, était maitre des eaux et forêts et vibailly ou neutenant de courte-robe du prévôt général de Normandie au bailliage d'Alençon. Sa famille était originaire du Passais. laissa un fils qui fut maréchal de camp et gouverneur de Belième, puis de Marseille une fille mariée à Henri de Jumilly, des environs de Domfront, et une autre fille mariee à Philippe du Val, sieur de Lanchal. (Archives de Lisle).

la Crochardière, président de l'élection d'Alençon, son mandataire, vendit le 7 avril, 1667, devant les notaires d'Alençon, à Messire Jean-Baptiste de Bonvoust, chevalier, seigneur de Courgeoust, demeurant en son manoir seigneurial du Mesnil, paroisse de Coulonges, le fief de Harenvilliers autrement appelé le fief de Coulonges el de Laleu. Ce fief relevait nuement du comté de Montgommery a cause de la baronnie du Mesle-sur-Sarthe (Copie sur papier. Archives de Lisle).

On trouve aussi au chartrier de Lisle le compte de la gestion de Guillaume Laudier, mandataire de Madame de la Peltrie et diverses pièces à l'appui (V. aussi Odo. jant-Desnos, Mémoires historiques sur Alençon et ses seigneurs, t. II, p. 385).

(42) Lettres de la Mère de l'Incarnation, p. 664.

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(43) Dom Claude Martin, p. 389, 390; Lettres de la Mère de l'Incarnation, p. 665.

(44) Lettres de la Mère de l'Incarnation, lettre à son fils.

(45) Relation de 1639.

(46 Lettres de la Mère de l'Incarnation.

(47) Lettres des Évéques du Concile de la province de Québec envoyée à Rome, au mois de mai 1868, pour obtenir la béatification de la Mère Marie de l'In

carnation.

(48) Génie du Christianisme.

(49) V. P. Dablon, relation de 1671; Lettres de la Mère Marie de l'Incartion, passim.

(50) Dom Claude Martin, p. 734.

(51) Voici quelques extraits de ce testament:

« Il fut fait devant Romain Bisquet, notaire et garde notte du roy notre sire, « en la nouvelle France, résidant en la ville de Québec, le 15 novembre 1671, au « monastère des Ursulines de Québecq, où Madame de la Peltrie était malade. « Déclare la dite dame de la Pelterie que son intention est que son corps soit « posé dans le lieu où les religieuses du monastère de Saint-Joseph des Ursulines << de cette ville de Quebecq doivent être enterrées. Elle demande aux révérendes «Mères Ursulines cette charité par aumoзne; mais auparavant elle les supplie de « faire tirer son cœur de son corps, pour être mis dans une quaisse (sic) de bois << sans estre poilie et qui sera remplie de terre et chaux vive dans laquelle on « l'enfoncera sans envelope. et puis on le mettra entre les mains des réverends « pères de la Compagnie de Jésus de cette ville de Quebecq qui sont ainsy désiré il y a longtemps pour marque et témoigna e du respect et affection qu'el e a toujours eue pour leur sainte compag ie, pour être ensuite posée et enterrée « soubs le marchepied de l'autel de leur dite eglise, où repose le très saint sacre«ment de l'autel, pour y être consommé, aneanti et réduit en poudre au pied de « la divine majesté.

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« Pius déclare la dite dame de la Pelterie qu'elle constitue son légataire universel « le couvent ou seminaire de Sai t-Joseph des Ursulines de la dite ville de Québecq, à tous ses biens qui sont dans l'ancienne France, en quelques lieux

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qu'ils soient sis et situés...... et à quelque somme qu'elle puisse se monter en « meubles, immeubles, argent, debtes ou autrement. >>

• Pour exécuteur testamentaire du présent testament, la dite dame a donné et « élu Mgr François de Laval, évêque de Pétrée, vicaire apostolique de ce pays et « nommé par le Roy premier évêque du Canada et en son absence Mre Henri de « Bernières, prestre, son grand vicaire, curé de l'église Notre- ame de cette ville de Québecq, auquel elle donne pouvoir de ce faire et « d'exécuter le présent testament.»

« Ce fut fait, dicté et nomé par la dite dame de la Pelterie aux notaires en la « présence des dites personnes et de Messire Jean Tallon, conseiller di Roy en ses «< conseils d'état et privé, intendant de justice, police et finance de la Nouvelle «France isle de Terre-Neuve, Acadie et autres pays de l'Amérique septentrionale. » (Extrait d'une copie sur papier signifiée dans un procès. Archives de Lisle).

(52) M. Henri de Bernières, curé de Québec, était le neveu de M. Jean de Bernières, seigneur de Louvigny, l'ami de Ma lame de la Peitrie et l'agent providentiel des préparatifs pour la mission du Canada.

(53) V. P. Dablon, Relation de 1671 el de 1672.

(54) Dom Claude Martin, p. 733.

(55) Dom Claude Martin, p. 734.

(56) V. Relation de 1671 et de 1672.

(57) P. Charlevoix. p. 375.

(58) On ne doit pas être étonné, dit un historien du Canada, M l'abbé Ferland, de la large part qu'occupent, dans l'histoire du Canada, Madame de la Peltrie et la Mère de l'incarnation. L'insti ution fondée par Madame de la Peltrie a exercé une grande influence sur la famille chrétienne dans notre pays. C'est grâce aux soins de Madame de la Peltrie et aux leçons de la Mère de l'Incarnation et de ses premières compagnes, que se formèrent, dans les premiers temps de la colonie, ces familles patriarchales dont le type s'est conservé jusqu'à nos jours.

(59) Cet essai biographique de Madame de la Peltrie est extrait de l'ouvrage que l'abbé Gaulier se propose de publier prochainement sous ce titre :

VIE

DE

MADAME DE LA PELTRIE

FONDATRICE

DU MONASTÈRE DES URSULINES DE QUÉBEC

avec

L'HISTOIRE ABRÉGÉE DE CET ÉTABLISSEMENT ET DE LA COLONIE FRANÇAISE DU CANADA

LA

DERNIÈRE DAME DU BOISGEFFROY

Le hasard des recherches archéologiques donne parfois les résultats les plus inattendus. C'est ainsi qu'à travers la poussière des documents nombreux dont l'étude était indispensabte pour mener à bien l'histoire de Saint-Germain-de-Clairefeuille, nous avons vu se dessiner vaguement d'abord, d'une façon très nette ensuite, la curieuse silhouette d'une dame du xvre siècle.

Nous l'avons vue d'abord jeune femme, dans tout l'épanouissement d'une beauté radieuse, entrer dans l'antique logis qu'elle devait si longtemps habiter, fière d'appuyer son bras sur celui d'un gentilhomme de vieille race. Nous l'avons vue bientôt, ses beaux cheveux prématurément voilés du crêpe des veuves, chercher dans son isolement un appui nouveau pour continuer sa marche dans la vie. Nous avons vu ensuite aux lumineuses aspirations de l'amour succéder, chez la femme mûre, les préoccupations de l'ambition et de la fortune. Nous l'avons vue enfin frappée dans ce qu'elle avait de plus cher, sortir courbée par la vieillesse de son cher manoir loin duquel elle devait mourir.

Dans le grimoire des tabellions de Nonant et du Merlerault (1) nous avons ainsi trouvé tous les éléments d'un véritable roman qui, pour avoir été vêcu, n'en présente que plus d'intérêt. Marie de Rossard, dame du Boisgeffroy, serait fort surprise à coup sûr, un peu gênée peut-être, de voir à trois cents ans de distance reconstituer sa vie. Après tout elle nous pardonnerait certainement, car elle a été femme et les compliments que nous aurons à lui faire auraient plus de poids, nous l'espérons, sur son esprit que les vérités un peu cruelles que nous aurons à lui dire.

(1) Nous devons remercier M. Bidant, notaire au Merlerault, de l'aimable obligeance avec laquelle il a mis ses archives à notre disposition.

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