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Note 3, page 118.

Il y a eu, suivant les temps, trois couleurs principales, indépendamment des couleurs particulières aux provinces et des cocardes; mais il est aussi embarrassant d'attribuer à l'une d'elles la prééminence sur les autres qu'il le serait de déterminer les motifs que les Français ont eus de les adopter où de les répudier, de les porter seule à seule, de les unir ou de les séparer. La superstition, le hasard, le caprice, l'intérêt du commerce ou d'autres combinaisons encore en ont seul décidé.—Le bleu de la chape de saint Martin et de la bannière de France est la plus ancienne couleur ; le blanc vient en der

nier, il date à peine de Charles VII, si ce n'est comme couleur de chevalerie, car c'est un vestige de la cornette des colonels-généraux; on doit croire qu'il n'a été altribué comme couleur nationale aux Francs que fabuleusement. Tandis que, suivant les époques, du bleu, du rouge ou du blanc, étaient regardés comme insigne, ou national ou royal, on ne saurait dire lequel; chaque grand feudataire avait en outre sa livrée et son écharpe. La comté d'Anjou arborait le vert naissant ; la Bourgogne et son duc, le rouge; les comtes de Blois et de Champagne, l'aurore et le bleu ; le duc de Bretagne et son armée portaient le noir et le blanc; le comte de Flandre se distinguait par le vert foncé; la Lorraine et son duc déployaient le jaune...

On demanderait donc en vain quelles étaient, à proprement parler, les couleurs françaises dans les époques anciennes; il y aurait une histoire à composer sur chacune des nuances qui viennent d'être indiquées, et qui n'ont régné qu'en subissant des variétés qu'il serait aussi insipide de rechercher que de décrire. Il suffit d'esquisser quelques aperçus sur le bleu de saint Martin ou des Confesseurs, le rouge de saint Denis ou des Martyrs, et le blanc de la Vierge. Des écrivains appartenant à la première moitié du dernier siècle, et qui ne pré

voyaient guère que la fin du siècle marierait les trois couleurs, nous disent que les Français ont changé trois fois leurs couleurs désignatives; ils ont eu du bleu tant que la bannière de saint Martin a été leur enseigne principale; ils eurent du rouge pendant qu'ils se servirent de l'oriflamme; ils prirent le blanc quand leur dévotion tourna vers la sainte Vierge, et qu'ils se trouvèrent obligés de se distinguer d'avec les Anglais qui, au règne de Charles VII, quittèrent le blanc et prirent le rouge (qui était la couleur des Français), à cause des prétentions qu'ils avaient sur la France; c'est ce qui porta le successeur de Charles VI à prendre le blanc. › Le bleu, c'est-à-dire l'azur ou le pers, mais non le bleu de roi, était distinctif des Franes; et si Charlemagne arbora le rouge, c'était comme pourpre impériale. Philippe-Auguste portait à son couronnement la dalmatique et les bottines d'azur, semées de fleurs de lis d'or. Ces vêtemens étaient conservés d'abord au trésor du palais, ensuite à Saint-Denis. Henri II les fit renouveler. L'étendard de Philippe était de même teinte que sa dalmatique, et rehaussé de même.

Saint Martin et sa chape ayant dû céder le pas à saint Denis et à son oriflamme, le bleu, de sacré qu'il était, se sécularisa et continua à se montrer comme couleur de

second ordre dans l'armée française. Saint Denis, détrôné à son tour, lors de l'usurpation des Anglais, en 1422, se vit dépouiller de ses livrées par leur patron saint Georges, et le blanc votif fit oublier aux Français la perte de leur oriflamme.

Si nous entrons dans la supposition qu'il devint couleur dominante vers le temps de Jeanne d'Arc, nous trouverons, dans la conduite que tinrent les Anglais, l'excuse ou la cause de l'abandon de nos anciennes couJeurs. Avant que nos pères les quittassent, le compétiteur de Charles VII s'étant rendu maître de Paris, du couvent de Saint-Denis et de sa bannière, renonçait au blanc, couleur anglaise consacrée depuis la croisade de 1189, et il déployait, à titre supposé de roi de France, et notre bannière et le rouge qu'a conservé l'armée britannique; l'armée française agissait en sens contraire; elle arborait le blanc, jusque-là anglais. Ce qui est singulier, c'est que le temps ait consolidé cet échange, alors que les événemens l'invalidaient. Si au contraire nous ne rapportons qu'au règne de Charles VIII l'introduction du blanc, nous le reconnaîtrons couleur royale plutôt que nationale, puisque c'était sous forme de cornette royale que le fils de Louis XI prenait cette couleur en Italie. Sa cornette n'était autre chose qu'un pennon de chef: ainsi,

avoir du blanc au casque ou à la lance, et monter un cheval blanc, c'était exercer un commandement principal. Charles IX et Henri III reprirent le rouge et laissèrent le blanc aux calvinistes.

Henry IV le remit en honneur, mais il ne le reconnut pas comme couleur unique, ainsi que le prouve le pavillon qu'il donna aux Hollandais. Louis XIV ne le regardait pas non plus comme couleur royale; c'était la couleur de feu qui était la sienne, comme le témoigne le ruban de l'ordre de Saint-Louis. Ce monarque ayant aboli les charges de connétable et de colonel-général de l'infanterie, et s'étant institué l'héritier de leurs attributions et de leurs couleurs, on s'habitua à regarder le drapeau de la colonelle, c'est-à-dire le drapeau blanc, comme le drapeau du roi. Quand il n'y eut plus de compagnies colonelles, quand il n'y eut plus que trois, que deux, qu'un drapeau par régiment, ce qui répond au milieu du dernier siècle, le drapeau blanc fut le drapeau principal du régiment. Tous ces autres drapeaux, quel qu'en fût le nombre, étaient de couleurs diverses ou provinciales, et chamarrés de croix, de couleurs tranchantes : ils s'appelaient drapeaux d'ordonnance; mais il n'y a jamais eu rien de légalement et de complètement réglé à cet égard. Nos armoiries ont changé plu

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