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XXII

Le lendemain de ce jour, l'église célébrait la solennité de l'Ascension de Notre-Seigneur, et Jeanne ne voulut point souffrir que ses gens sortissent hors des murs pour combattre. En vain les chefs vinrent-ils la supplier de changer de résolution, lui objectant qu'il fallait profiter de la terreur répandue parmi les Anglais.

Il faut profiter de la bonté de Dieu, qui nous

permet de le louer, répondit Jeanne.

Et la jeune fille, inébranlable, passa cette journée à l'église en prières.

O Dieu! disait-elle, en nous quittant pour remonter aux cieux, ne délaissez point ceux qui vous sont fidèles; que votre bonté veille toujours sur eux; faites briller vos clartés dans nos âmes; qu'elles viennent tout embraser du feu divin de votre amour *. Et la jeune fille restait plongée dans la méditation des hauts mystères de notre rédemption, mystères d'amour et d'abaissement plus profondément adorés par les cœurs dont le dévouement est l'essence.

Les gens de Jeanne, qui l'aimaient et lui étaient soumis en tout, suivirent son exemple, et prièrent avec elle pendant tout ce jour. De vieux soldats venaient baisser leur tête altière devant les autels, et demander au Dieu des combats de leur être toujours favorable; et de jeunes hommes aussi, domptant leur fougueuse jeunesse, venaient s'agenouiller sur le pavé de l'église; car ce n'était ni dans le vin, ni dans l'eni

Antiennes de l'Ascension.

vrement de l'orgie, que Jeanne voulait animer le courage de ses soldats: elle le retrempait par la foi et par la prière, parce qu'elle avait compris que toute force vient de l'âme, et que l'âme ne saurait la puiser dans les choses de la terre, mais dans celles du ciel.

Après cette journée, passée dans un grand recueillement, Jeanne, devançant l'aurore, fit assembler ses soldats sur la place de la Cathédrale *, parcourant les rangs sur son beau cheval de bataille, et quand elle vit tous ses hommes d'armes réunis autour d'elle, elle s'écria :

-Maintenant, levons-nous et marchons au devant de nos ennemis; Louis le saint, avec saint Charlemagne et tous les anges de la terre bénie de France, nous regardent et vont nous guider. C'est aujourd'hui le grand jour des combats et de la victoire; que chacun de nous élève son âme vers le Très-Haut et qu'il dévoue son sang à ses frères. Plusieurs vont payer de leur vie la délivrance de la ville, suivie bientôt de celle de la France; mais, mourant pour

.

Où depuis fut élevé le monument de la Pucelle.

leur patrie, leur mort sera belle devant Dieu. O Dieu! s'écria-t-elle dans une religieuse exaltation, recevez dans votre miséricorde ceux qui périront aujourd'hui pour une cause si sainte. Mon sang aussi doit rougir la terre; acceptez-en l'offrande, et que nous triomphions!

Yolande l'avait suivie dans la foule avec Jacques Boucher, et tous deux la saluaient de la main.

Oh! ménagez vos jours, dit la jeune femme avec des larmes dans ses yeux.

- Adieu, Yolande; adieu, messire le trésorier. Ne craignez rien, je reviendrai ce soir; soyez-en sûrs, et nous rentrerons dans la ville par le pont de la Belle-Croix. Les gens de la ville viendront m'y aider.

Or, ce pont de la Belle-Croix avait autrefois servi de communication entre les deux rives du fleuve; il avait un grand nombre d'arches; une île, qui dans cet endroit séparait la rivière en deux bras, le partageait en deux parties presque égales. Sur cette île avait été construite une forte redoute, afin de le défendre; mais les Anglais, pour fermer ce passage, avaient construit leur plus forte bastille, la bastille

des Tournelles, au bout de ce pont, et les Français s'étaient vus forcés de rompre toutes ses arches entre l'île et la forteresse, afin de mettre un bras de la rivière entre leurs ouvrages les plus avancés et ceux des Anglais. C'était par là qu'avaient lieu de continuelles escarmouchés, et c'était aussi du haut de ce bastion, d'une part, et du fort des Tournelles, que les chefs français et anglais venaient se parler, se menacer, s'injurier ou parlementer; la distance qui les séparait n'étant que celle d'un bras assez étroit de la Loire.

Jeanne, ne vous y trompez pas, répondit Jacques Boucher, les Tournelles sont trop fortes pour être emportées d'une fois.

- Si Dieu ne garde une forteresse, en vain veillent ceux qui la défendent, répondit Jeanne; ne le savezvous pas ? Adieu, et secondez-nous quand il en sera temps !

Raymond s'était approché d'elle pour lui présenter sa hache d'armes, tandis que Pierre lui apportait son étendard. Il découvrit sa tête blonde, et lui dit à voix basse :

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