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qui touchait au boulevard où étaient les Français, avait survécu au désastre de ses compagnons; la violence du choc l'avait fait rouler dans l'enceinte d'une batterie abandonnée, et il se relevait pour combattre, quand Pierre, qui s'était élancé le premier sur les traces de Jeanne, l'aperçut et s'élança vers lui, le casque en tête et la hache à la main.

Rends-toi! lui cria-t-il en le voyant seul et abandonné des siens.

Mais l'Anglais fondit sur lui à l'improviste, et l'eût percé de son épée, si Pierre n'eût évité le coup par sa promptitude et sa légèreté. Alors le combat s'engagea; il fut terrible, car sire Thomas était exaspéré de toutes les fureurs d'une longue journée qui s'achève par un grand désastre. Tous deux étaient seuls dans une batterie, et un mur peu élevé les séparait des autres combattans il fallait que l'un des deux succombât. L'Anglais, taillé comme Hercule, cherchait à saisir son ennemi, qui, agile et léger, lui échappait, et lui faisait sentir la pointe de son poignard à chaque fois que les coups qu'il portait laissaient à découvert quelque endroit de son armure. Trois fois le glaive de Montaigu avait atteint le frère de

Jeanne; mais à chaque blessure qu'il avait portée, l'Anglais avait senti le fer acéré pénétrer dans ses flancs.

Tous deux étaient haletans, l'un des coups qu'il

portait presque toujours à faux; l'autre, tout jeune encore, de l'activité qu'il lui fallait déployer pour se garantir.

O Clotilde, dit le jeune homme au fond de son cœur, sois en aide à celui que tu as choisi pour ton chevalier. Et prenant sa hache pesante à deux mains, il en déchargea un coup si violent sur la tête de son ennemi, que celui-ci fléchit et tomba sur un genou.

Rends-toi, rends-toi, brave chevalier! s'écria Pierre; ne m'oblige pas à ôter la vie à un si vaillant guerrier.

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-

Qui es-tu? dit le chevalier d'une voix sourde.
Je suis le frère de Jeanne, répondit Pierre.

- Elle a un brave frère, reprit sire Thomas. Es-tu donc chevalier? Je ne saurais me rendre à un simple écuyer.

Non, dit Pierre; mais je suis de ceux qui le deviennent.

- Eh bien! c'est moi qui te ferai chevalier; tu as

gagné tes éperons aujourd'hui. Alors, de son épée toute sanglante, il lui donna l'accolade; puis il la lui tendit par la garde, et se rendit à lui.

A ce moment, de grandes acclamations retentirent parmi les Français. C'est que Jeanne, rejointe par les bourgeois arrivés par le pont rompu, venait de planter son étendard triomphant sur la tour la plus élevée de la bastille des Tournelles, et c'étaient les houras de la victoire qui s'entendaient. La citadelle était emportée d'assaut, sans que le reste de l'armée enfermée dans les forteresses de Saint-Prévé et de Londres eût osé venir lui porter secours; la terreur, une terreur pareille à celle des Philistins, s'était emparé d'eux : elle était telle, que leurs chefs furent obligés de faire lever le camp pendant la nuit, parce que leurs soldats étaient vaincus avant d'avoir combattu. Le matin, tout avait fui, abandonnant les vivres, les munitions, les prisonniers, l'or, l'argent, les riches habits, les meubles précieux, et tout ce qui pouvait embarrasser ou retarder la marche.

-

La ville est délivrée! s'écria Jeanne après avoir planté sa bannière au haut de la citadelle. Louez et remerciez Dieu.

Elle avait relevé la visière de son casque, et ses yeux brillaient du feu de l'enthousiasme; mais après ces paroles on la vit tout-à-coup pâlir, et si elle n'eût été soutenue par ceux qui l'entouraient, elle serait tombée sur ces murs fumans qu'elle venait de conquérir. Ses forces étaient épuisées par la fatigue et la souffrance d'une telle journée.

Elle fut ramenée dans la ville par le pont de la Belle-Croix; elle y entra au milieu des chants de triomphe et d'allégressè, au bruit des cloches, des fanfares, et aux acclamations d'un peuple maintenant libre, fier et heureux. Quels transports éclatent autour d'elle! quelle joie remplit tous les cœurs ! Les chefs l'entourent et la félicitent peut-être demain la jalousie naîtra parmi eux pour ses hauts faits. Mais il faut du temps pour développer les mauvais sentimens; le premier mouvement de l'homme est bon en souvenir de sa première nature. Aujourd'hui tous l'admirent, pressent ses mains victorieuses et que la victoire n'a point ensanglantées ; car la jeune et téméraire fille, au plus fort du combat, n'a jamais fait que repousser du bois de son étendard ceux qui s'approchaient d'elle pour la frapper. Elle a

horreur du sang, cette fille de la victoire, et n'en a jamais versé; elle est comme l'ange des combats, qui se tient pur de sang au milieu du carnage. Sa jeunesse si tendre rehausse encore cette valeur ardente et désintéressée. Aussi tous l'aiment parmi ces braves; tous ont pour elle un cœur de frère, de père ou d'ami, et la tendresse ainsi que l'admiration l'entourent des plus grands soins.

Mais aujourd'hui son cœur n'a point de joie qui vibre à l'unisson de toutes ces joies; l'allégresse ne tressaille point en elle. Elle se fait conduire en hâte à son logis, et tandis que chacun fait éclater ses transports par des cris répétés de Vive Jeanne, la gloire et l'orgueil de la France! Jeanne, fuyant même ses hôtes, se retire au fond d'un oratoire pour faire auprès du corps de Raymond la veillée des morts.

Il a passé comme la fleur des champs, dit-elle, et sa vie n'a duré qu'un jour! Et encore que Jeanne sût qu'il était heureux d'un bonheur immuable et complet, cependant elle pleura long-temps ce doux compagnon qui, malgré son jeune âge, sentait à l'unisson toutes ses joies et toutes ses douleurs.

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