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C'est à M. Raspail que la science est redevable de la découverte de la cellule, considérée comme l'élément primordial de tout système organique. Pendant longtemps les savants officiels l'en dépouillèrent au profit du prussien Virchow. Les professeurs Broca et Robin ont eu l'honneur de restituer à l'auteur et à la France cette découverte, qui a ouvert de si vastes horizons aux sciences physiques et physiologiques. Déjà avant eux, en 1854, dans un concours pour l'agrégation en médecine, le docteur Dupré s'était élevé contre cette grande injustice: « La cellule est toute française, s'était-il écrié, elle appartient au savant Raspail.

Antérieurement, les savants avaient considéré M. Raspail comme le créateur de la chimie organique, à la suite de la découverte capitale qu'il fit au sujet de la fécule regardée avant lui par les chimistes comme une substance homogène dans sa constitution, comme une matière immédiate et cristalline; de là, ils avaient imaginé beaucoup de matières immédiates comme provenant de la décomposition de la fécule par les réactifs. M. Raspail démontra leur erreur en prouvant que le grain de fécule est un organe très-compliqué, qu'il est essentiellement formé d'une mince enveloppe insoluble dans l'eau et dans tous les réactifs, et d'une matière gommeuse contenue dans ce tégument et soluble dans l'eau. Partant de là, il fut amené successivement à élaguer de la science un grand nombre de matières organiques aussi mal étudiées et qui avaient reçu des dénominations distinctes. Il n'en fallait pas tant pour lui attirer l'animosité et les colères d'un grand nombre de chimistes d'alors.

Menant de front la science et la politique, il apporta dans l'une comme dans l'autre la même indépendance, ne ménageant pas davantage les institutions vicieuses que les erreurs scientifiques. Par suite, à l'inimitié de

ces faux savants, moins avides de progrès que d'éloges et d'honneurs lucratifs, vinrent s'ajouter les persécutions du pouvoir qui voyait en lui un adversaire d'autant plus dangereux que dans ses actes il n'était guidé par aucune ambition.

Mais que lui importaient les persécutions de tous genres qui vinrent pour ainsi dire l'abreuver d'amertume à chaque instant de son existence; il avait pour les amortir un puissant palladium : l'étude. Écoutons avec quelle éloquence il se dépeignit sous ce rapport, dans la superbe défense qu'il prononça le 19 mai 1846, à l'occasion du procès qui lui avait été intenté pour exercice illégal de la médecine :

« L'on m'en offrit des titres, depuis lors, de bien autres que les vôtres, s'écria-t-il, et je répondais: Il n'y a plus de place dans mon âme, il n'y a plus de passion dans mon cœur. Je me débarrassai alors et au plus vite des étreintes de l'ambition, pour me jeter dans les bras de l'étude; cette bonne amie du sage, cette confidente de ses peines, cette divine fée de ses recherches, cette douce consolatrice de ses afflictions! Triste, découragé par toutes les entraves que le proscrit rencontre sous ses pas dans cette ville d'intrigants, je fuyais loin des palais si étroits dans leur somptuosité d'esclaves, où tout me repoussait, pour me réfugier dans l'immensité de l'horizon, où l'homme redevient libre; et là je rencontrai..... la nature... cette bonne paysanne, si douce et si bienveillante dans sa mâle fierté, si divinement belle sous ses traits hâlés, si gracieuse dans sa haute stature, si tendre dans son œil de feu, divine nature qui me prit par la main; et me conduisant, rapide comme l'air, dans les champs, son immortel empire: « Viens, me disait-elle, ne tourne pas tes regards en arrière, ne me fais pas l'injure de rien regretter; j'ai des trésors pour ton es

prit et ton cœur ; j'ai des délices pour ton âme, et des harmonies pour ton imagination; dans ce brin d'herbe verdoyant, je te ferai découvrir la formation de l'embryon et l'origine de la vie; dans ces carrières arides, tu liras l'histoire imposante des premiers jours; dans ces républiques d'êtres animés de toutes les tailles et de toutes les classes, tu découvriras l'avenir du monde ; dans cette goutte arrondie d'eau, tu gagneras un troisième œil qui va te révéler, avec un univers nouveau, avec une création nouvelle, le mot de l'énigme de l'amour qui associe les êtres organisés et de l'affinité qui combine les atomes. Laisse là les vieilles institutions qui te ferment la porte, et suis-moi partout; je t'apprendrai ce qu'on ignore, ici, dans ces prés qui verdoient, sur le bord de ces eaux qui foisonnent de vie, sur ces coteaux où la pensée s'agrandit avec l'horizon; on apprend tant de choses à la face du ciel! » Vous qui me connaissez, vous savez déjà, sans doute, que je l'ai suivie seule cette bonne nature; et elle m'a suivi aussi jusque dans mes cachots, et sur mon lit de paille et de captivité! Jeunes gens, je vous désire autant de bonheur que j'en ai eu ! Ce bonheur est au bout d'un travail de huit heures par jour.....

<«< Il y a trente ans que certaines gens en avaient autant que j'en ai peu, et que leurs titres ne me faisaient pas plus d'envie. Des titres, me dis-je alors, des titres comme ceux qu'ils portent ne me sourient pas ; car je ne veux rien avoir de semblable à certains hommes au lieu de les puiser à cette source toujours un peu suspecte, je vais les demander à l'étude, cette chaste sœur de l'intelligence, qui n'accorde pas ses faveurs au plus offrant, mais au plus aimant ; je lutterai, dans la misère et dans l'isolement, contre ces vieilles institutions frappées d'impuissance; je n'aurai pour moi ni le pouvoir ni la presse; ma patience me tiendra lieu des deux; ma passion du travail m'apla

nira tous les obstacles. Frappé, mais jamais abattu; ruiné, mais jamais découragé; abreuvé d'humiliations, mais jamais avili, je m'élèverai si haut, que l'œil de mes ennemis aura de la peine à me suivre. Un jour, fils de mes œuvres et dépendant de moi seul, d'un bout de l'univers à l'autre, aux yeux des savants, je serai Raspail. Et je le suis! offrez-moi donc un titre qui me vaille ! »

Un des premiers descendus dans la rue, le fusil à la main, le 27 juillet 1830, il fut blessé à la prise de la caserne de Babylone. Il reçut la croix de Juillet. Il ne tenait qu'à lui, à cette époque, de faire sa fortune : la royauté nouvelle, en effet, manifesta de suite l'intention de s'attacher un savant dont la réputation était déjà européenne. On voulut créer exprès pour lui la place de conservateur général du Muséum d'histoire naturelle; il mit comme condition à son acceptation, de faire servir sa position nouvelle à un plan de réorganisation du Muséum, ne voulant pas bénéficier d'une sinécure. Cela ne pouvait plaire à M. Cuvier, et M. Raspail se retira. A l'offre d'autres emplois, il répondit par la demande de la modeste chaire universitaire que la Restauration lui avait enlevée; mais encore ne voulait-il l'obtenir que par la voie du concours. Cette satisfaction ne lui fut pas accordée. M. Raspail écrivit alors une lettre d'adieu aux places, en octobre 1830.

Le gouvernement fit encore plusieurs tentatives pour se rattacher le savant et en même temps pour désarmer l'homme politique qui engageait ouvertement la lutte contre lui. Au moment où des poursuites judiciaires étaient dirigées contre M. Raspail, une ordonnance du roi, en date du 12 mars 1831, le nommait chevalier de la Légion d'honneur. M. Raspail refusa énergiquement par une lettre insérée dans les journaux de l'opposition, et s'opposa à l'insertion du décret au Moniteur.

Dès ce moment le parquet s'acharne après lui; plusieurs condamnations viennent le frapper coup sur coup. Rien ne le décourage; ses heures de prison, il les consacre à préparer les matériaux de ses deux grands ouvrages, le Nouveau Système de chimie organique et celui de la Physiologie végétale.

Le 5 juillet 1833, M. Geoffroy Saint-Hilaire, alors président de l'Académie des Sciences, lui annonça, par une lettre conçue dans les termes les plus élogieux, l'intention qu'avait l'Académie de récompenser ses beaux travaux sur la chimie organique, en lui décernant le prix Montyon de 10,000 francs. Il n'en fut rien. Le ministère mit son veto à cette décision, en disant qu'il ne voulait pas que cet argent servît à grossir la caisse de l'émeute.

En 1834, M. Raspail fonde le Réformateur, soutient la lutte jusqu'en 1835, malgré les amendes qui s'élèvent, en une année, à 115,000 francs. Mais arrive l'attentat Fieschi le ministère saisit l'occasion et fait arrêter M. Raspail aux portes de Nantes où il allait présider un banquet démocratique. Il est ramené de brigade en brigade à Paris, ignorant les évènements qui viennent de s'y passer. Il reste six mois en prévention; le Réformateur succombe, faute de son rédacteur en chef tenu au secret. Le but était atteint; une ordonnance de non-lieu fut aussitôt rendue.

Mais cette droiture inflexible qu'apportait M. Raspail dans la ligne qu'il suivait en politique, devait lui attirer bien des haines, même dans son propre parti. Ceux, en effet, qui masquent leur ambition sous le couvert d'un zèle plus ou moins sincère pour le bien public, ne peuvent sympathiser avec ces caractères austères incapables d'aucune transaction et toujours prêts à démasquer les basses intrigues et les trahisons.

Aussi vers 1837, désillusionné sur les hommes politiques du moment, renonça-t-il à la politique militante;

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