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NOTICE

SUR

F.-V. RASPAIL

François-Vincent Raspail est né à Carpentras le 24 janvier 1794, et non le 29 de ce mois ainsi que l'indiquent la plupart des biographies; cette dernière date est celle du jour où il fut baptisé clandestinement par un ecclésiastique réfractaire, qui lui donna le nom de François de Sales, le saint du calendrier.

Il était fils de Joseph Raspail, renommé dans le Comtat-Venaissin pour son esprit et ses improvisations en vers patois, et qui exerçait le métier de restaurateur des vice-légats à l'époque où cette petite province appartenait au pape. Sa mère, Marie Laty, descendait de la famille noble d'Italie connue sous ce nom. A cette époque du gouvernement papal, quand un membre d'une famille noble se ruinait à Rome, on l'envoyait refaire sa fortune dans le Comtat-Venaissin, où souvent il finissait par se fixer et par s'allier à quelque plus ou moins riche bourgeoise du pays.

La famille Raspail est originaire de la Suisse; elle vint s'établir dans le Comtat-Venaissin, à l'époque des guerres de religion, vers le xve siècle.

R.

a

Avant la réunion du Comtat-Venaissin à la France, Joseph Raspail jouissait d'une certaine aisance; mais, ayant placé toute sa fortune en hypothèques, elle lui fut restituée en assignats: il ne put supporter une telle ruine; il mourut de chagrin, laissant dans la misère sa veuve avec cinq jeunes enfants.

Le jeune François-Vincent Raspail dont l'intelligence se manifesta dès ses premières années et qui donnait bientôt des leçons à son vieux maître d'école Dupuytren, fut pris en amitié par le vénérable abbé Eysseric, savant studieux en grec, latin, hébreu et même syriaque, qui le mena si loin qu'à l'âge de douze ans il commençait à lire couramment les grands auteurs de ces langues.

Pour complaire à son excellente mère, il entra, muni d'une demi-bourse, au séminaire d'Avignon, où l'année suivante il devenait professeur de philosophie, après avoir gagné le premier prix de cette science; puis, la seconde année, il fut nommé professeur de théologie après avoir obtenu le premier prix sur des théologiens de quatrième année, dont l'un, Mer d'Auvergne, est devenu patriarche d'Orient. Il avait alors dix-huit ans.

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Mais déjà, entraîné par son insatiable désir d'apprendre à creuser les profondeurs de la science, son esprit ne pouvait plus admettre ce qui ne lui était pas démontré c'est ainsi qu'en professant la théologie, il perdit la foi; à partir de ce moment, il devint un fervent adepte de la libre-pensée; dès lors, sa conscience ne lui permettant pas de suivre une voie que sa raison condamnait, il se retira, et descendit des hauteurs du professorat pour accepter une chaire de basse latinité, la seule disponible en ce moment au collège de Carpentras.

On était alors en 1813. Le prestige de Bonaparte venait d'être profondément atteint par la désastreuse campagne de Russie; l'Empire touchait à l'époque de la décadence ;

aussi l'ancien pays des papes commençait-il à mal payer les impôts, et pas un prêtre n'osait se charger de prendre part à la célébration de la fête commémorative de la bataille d'Austerlitz. Les autorités de la ville jetèrent les yeux, pour remplir ce devoir, sur le jeune professeur du collège; celui-ci se soumit et s'acquitta avec éclat de cette tâche délicate en s'attachant à montrer la nécessité de se grouper autour du Chef de l'État pour défendre la patrie contre l'invasion. Ce discours, d'une éloquence entraînante, fut accueilli avec enthousiasme; le lendemain, les impôts furent payés. Au sortir de la cathédrale, le tribunal et toutes les autorités étaient venus complimenter la mère de l'orateur; et le discours envoyé à l'empereur revint avec cette annotation de sa main : «Surveillez ce jeune homme, il ira loin. »

Dans le département, dès ce moment, on ne désignait plus le jeune professeur que sous le nom du Petit

Bossuet.

De ce triomphe, la roche tarpéienne n'était pas loin : l'abdication de Napoléon, qui survint le 11 avril 1814, en fut la première étape. Le jeune Raspail perdit sa place de professeur, et après les Cent-Jours il fut inscrit sur les listes des cours prévôtales dont Pointu était l'exécuteur dans le Vaucluse. Il fut obligé de mener une vie de fugitif, pendant laquelle il assista, à Avignon, à l'égorgement du brave maréchal Brune. Pendant six mois que dura la Terreur blanche, il courut plusieurs fois les plus grands dangers. Il ne recouvra sa liberté que lorsque la Cour de cassation, se rendant au cri d'indignation de toute la France, eut mis hors la loi Trestaillon et Pointu, les chefs des égorgeurs dans le Midi.

Il quitta sa ville natale en 1816 et vint à Paris; il avait alors vingt-deux ans. Dépourvu de toute ressource, il donna des leçons pour vivre ; c'est ainsi qu'il

eut pour élève le fils du marquis d'Argence et qu'il entra comme précepteur dans la famille de Tolozan. Plus tard, maître d'études à Sainte-Barbe, puis préparateur pour le baccalauréat, il trouva encore le temps d'étudier le droit et de commencer avec ardeur l'étude des sciences physiques et naturelles dans lesquelles il n'allait pas tarder à prendre une place importante.

L'existence aussi laborieuse que précaire qu'il menait ne l'empêcha pas de s'occuper activement de politique il fut affilié aux Carbonari en 1822.

Les premiers travaux qu'il publia sur la botanique attirèrent immédiatement sur lui l'attention du monde savant. C'est en 1824 qu'il commença à faire connaître à l'Académie des Sciences les résultats de ses remarquables découvertes sur les graminées, puis dans le domaine de la zoologie, de l'anatomie microscopique et de la chimie organique. Tous ces travaux, qui ouvraient des voies nouvelles à l'avancement de ces différentes sciences et qui suffisaient pour faire à M. Raspail une réputation considérable dans le monde scientifique, parurent successivement dans les Annales des Sciences naturelles, les Mémoires du Muséum, les Mémoires de la Société d'Histoire naturelle, le Répertoire général d'anatomie. Il devint aussi un des principaux collaborateurs du Bulletin universel des Sciences de Férussac, pour la partie botanique, depuis 1825 jusqu'en 1829.

Quelles étaient les ressources pécuniaires mises à la disposition de M. Raspail pour exécuter en quelques années tant de recherches toujours suivies de découvertes importantes? La Biographie des Contemporains de Rabbe va nous l'apprendre : « Ce ne sont pas de beaux instruments d'optique, de riches collections d'histoire naturelle, de grandes bibliothèques, qui ont fait découvrir à M. Raspail ce que tant d'autres n'avaient point aperçu une mauvaise loupe montée,

quelques gouttes de réactifs, des pots de terre placés devant une fenêtre en guise de serres chaudes, le terrain des carrières de Montrouge pour jardin botanique, et à l'heure de ses repas un morceau de pain en face d'un verre d'eau, voilà quelles étaient ses ressources. »

Il fit servir cette pauvreté même aux progrès de la science. Fabricant lui-même les instruments dont il avait besoin pour mettre à profit la hardiesse de ses idées d'investigation, il s'attacha à inventer des procédés économiques de fabrication pour les vulgariser et les mettre à la portée de tout le monde. C'est ainsi qu'il construisit le microscope qui porte son nom, sur des procédés d'optique si simples et si peu compliqués que les savants purent se procurer à très-bas prix un instrument qui, jusque-là, coûtait fort cher.

La méthode qui devait le conduire à rédiger le Nouveau Système de chimie organique, consistait à prendre l'être organisé depuis sa naissance jusqu'à sa mort, pour noter successivement toutes les transformations qu'il subit, non-seulement sous le rapport de son organisation, mais encore sous les rapports physiques, chimiques et physiologiques; à s'armer, enfin, de toutes les ressources des diverses sciences d'observation pour étudier les objets en eux-mêmes, abstraction de toute classification des connaissances humaines. Ce n'est donc pas l'emploi seul du microscope qui a fait le succès de ses premiers travaux; avant lui, beaucoup de naturalistes s'en étaient servi, mais pour se borner à l'inspection des objets; ils ne les avaient pas disséqués, manipulés comme l'avait fait M. Raspail; comme lui, ils n'avaient pas ensuite rapproché leurs observations, coordonné leurs idées, raisonné l'ensemble des faits; ils ne pouvaient donc pas entrevoir les vérités nouvelles dont la science allait s'enrichir, grâce à cette méthode mise au service d'un esprit dirigé par les plus puissantes conceptions.

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