Page images
PDF
EPUB

roïne de plusieurs ouvrages de Rétif; cette femme, née de parents trèshonorables, et qui l'a tendrement aimé, ne méritait pas d'être compromise comme il l'a fait. C'était, du reste, son habitude, et j'en pourrais citer de nombreux exemples si je ne m'étais promis d'être discret.

En fixant une autre date à la naissance de Rétif, je ne commets aucune erreur: j'ai encore le registre sous les yeux en écrivant ces lignes, et je m'en assure encore une fois en regardant l'acte qui précède et celui qui suit; ils sont également du mois d'octobre, et non pas novembre. Cela est donc incontestable, et doit servir de base à une rectification devenue nécessaire. Son frère, Thomas Rétif, déjà cité dans l'acte de baptême, est né le 22 novembre 1720; c'est peut-être là, pour le mois seulement, l'origine de l'erreur, si toutefois il était besoin d'en chercher une.

Je me suis peut-être un peu trop étendu sur ce sujet, et je ferme ma lettre. Si ces renseignements, puisés à des sources authentiques, pouvaient offrir quelque intérêt aux lecteurs du Bouquiniste, j'autorise mon vieux camarade Aubry à leur donner les honneurs de l'impression. Son bien dévoué.

SYLVAIN-PUYCHEVRIER.

COURRIER ANGLAIS.

ANTHOLOGIE DE L'HISTOIRE DE FRANCE
TIRÉE D'OUVRAGES ANGLAIS 1.

(2o ARTICLE.)

La lettre suivante, du duc d'Aiguillon, fut adressée à miss Alderson un an environ après celle que j'ai traduite ci-dessus; elle est assez curieuse.

A Hambourg, chez M. Fortuné de la Vigne, négociant; ce 6 février 1796.

« Mademoiselle,

« Daignez agréer l'assurance bien sincère de la vive reconnaissance que m'inspire la marque aimable de souvenir et d'intérêt que vous avez bien voulu me donner. Je vous dois mille remerciements, et de la lettre dont vous avez chargé M. le chevalier de Bercley, et de m'avoir

1 Voyez pour le 1er article le no du 1 5 juin 1864.

procuré le plaisir de le connaître. Je l'ai vu assez pour que le peu de séjour qu'il a fait ici m'ait laissé beaucoup de regrets. J'ai mille excuses à vous faire d'avoir autant tardé à vous répondre; mais j'ai été pendant plus de quinze jours tellement malade d'un rhume mêlé de fièvre et de goutte (ma constante ennemie) que j'étais dans l'impossibilité absolue d'écrire un seul mot. Croyez, je vous prie, mademoiselle, qu'il a fallu une raison aussi forte pour m'empêcher de vous exprimer plus tôt toute ma gratitude, et le plaisir que j'ai d'être assuré par vous que je ne partage pas le sort ordinaire aux absents.

« Recevez mes remerciements des jolis airs que vous m'avez envoyés. Je les conserverai avec soin, et ne les donnerai, quoique vous disiez, à personne. Ils ont renouvelé mes regrets, en me rappelant ces tendres et jolies romances que vous chantiez avec l'expression de la musique et toute celle du sentiment, ce qui vaut bien mieux.

« Je vous rends grâces, mademoiselle, des souhaits vraiment pleins de bonté que vous faites en ma faveur. Je crains qu'ils ne soient encore longtemps à s'accomplir; cependant, je n'en suis pas moins sensible à votre obligeance. Mais vous? Que désirer pour votre bonheur? La nature n'a-t-elle pas pourvu à tout, en vous donnant les qualités du cœur, celles de l'esprit, des grâces, des talents? Je me bornerai donc à souhaiter que vous soyez toujours aussi heureuse que vous méritez de l'être et c'est tout dire.

«Il me paraît que vous avez à Norwich une société de Français assez agréable. Je ne connais point ceux que vous me nommez, mais j'envie leur sort, d'être auprès de vous, et de vous plaire. A propos! sur quoi peut-on fonder ce reproche d'aristocratie fait à mon ami M. de L.? Voilà, vraisemblablement, la première fois qu'il en est accusé. Cela est assez plaisant, et la singularité du fait l'empêche, en vérité, d'être aussi affligé qu'il le serait, d'être jugé par vous aussi sévèrement.

« Adieu, mademoiselle, adieu! Croyez que je regarderais comme un vrai bonheur d'être instruit quelquefois de ce qui peut vous intéresser. << Veuillez bien agréer l'hommage du tendre respect et de l'attachement sincère que je vous ai voués.

« D'AIGUILLON. »

Aimant tout ce qui se rapporte à la France, appréciant avec impartialité les mœurs, les habitudes, les travers de ce pays, miss Alderson ne pouvait se lasser d'étudier aussi une littérature qui avait pour elle le charme de la nouveauté, et dont ses amis les émigrés lui vantaient souvent les chefs-d'œuvre. Sir James Mackintosh lui envoyait des Indes où ses occupations le retenaient (1805) des avis et des fragments

de critique improvisés, « Vous avez, je pense, » lui disait-il, & lu la Duchesse de la Vallière, par madame de Genlis. Ce n'est pas précisément un roman, mais c'est bien assurément un ouvrage enchanteur. Vous êtes-vous hasardée à lire la traduction du Paradis perdu, par l'abbé Delille? Ce doit être un crime capital d'en faire l'éloge en Angleterre, et peut-être en défendra-t-on l'importation. Le Moniteur, à ce que je vois, en parle sur le ton du panégyrique le plus outré, et la seule faute que les critiques français y trouvent, c'est que Delille n'ait pas suffisamment changé Milton....

Il ne manquait plus à miss Alderson, ou plutôt à mistress Opiecar elle était mariée (1802), que de faire le voyage de Paris. Elle put enfin mettre à exécution un projet qu'elle nourrissait depuis longtemps; et, profitant de la paix d'Amiens, elle débarqua à Calais. Je rapporterai ici seulement les incidents les plus remarquables de cette expédition; et laissant de côté tout ce qui est relatif aux préliminaires, aux voituriers et aux incidents de la route, je supposerai les voyageurs arrivés. «Enfin, » écrit mistress Opie, « nous entrâmes dans les faubourgs de la capitale. Sur les murs on voyait partout tracés en grandes lettres à la chaux, ces mots : Indivisibilité de la République; mais les vestiges de républicanisme disparaissaient si promptement que, selon moi, on aurait pu supprimer la seconde syllabe de la légende et lire tout bonnement invisibilité.... »

Le surlendemain, un petit incident eut lieu qui était bien fait pour impressionner la jeune et enthousiaste Anglaise. Je la laisse parler.

« Je me trouvais dans la galerie du Louvre, seule devant le Déluge du Poussin, lorsque j'entendis quelqu'un dire que le premier consul allait monter en voiture pour se rendre au Sénat conservateur. « Si je pouvais seulement le voir!» m'écriai-je tout haut, en français; sur quoi un des gardiens de la galerie me répondit : «Eh bien, mademoiselle, suivez-moi et vous le verrez. » Sans oser perdre un moment à prévenir les autres personnes de ma société, je suivis rapidement mon guide. Il me fit sortir par une porte à l'extrémité de la galerie et me mena dans une pièce qui donnait sur la place du Carrousel. Près de la fenêtre étaient assises des dames. Elles m'offrirent un siége avec beaucoup d'obligeance aussitôt que mon conducteur les eut priées d'admettre une étrangère, une Anglaise, parmi elles.

« Le cortége se formait au moment même où je m'installai. La voiture de Bonaparte, attelée de huit chevaux baisétait déjà à la porte du palais, et elle fut bientôt suivie de celle des deux autres consuls, Cambacérès et Lebrun, attelée de six chevaux noirs. Les corps d'élite, la garde consulaire, les mameluks parurent ensuite; Roustan, le ma

meluk favori de Napoléon, était aussi à son poste, attendant son maître. Enfin, au bruit croissant qui se fit à la porte, je compris qu'il arrivait et je regardai avec une ardeur pénible pour obtenir, ne fût-ce qu'une échappée de cet homme extraordinaire; mais il s'élança dans sa calèche avec une telle rapidité que pas une d'entre nous ne put le voir. Roustan monta vite derrière, et le cortége se mit en marche. C'était, il faut l'avouer, un coup d'œil frappant; je ne crois pourtant pas qu'on puisse le comparer à celui qu'offre la procession dont notre roi est accompagné lorsqu'il va à la Chambre des lords, ouvrir ou proroger le Parlement.

Mistress Opie devait être plus heureuse une autre fois, et dans mon prochain extrait, je dirai comment elle réussit à voir le premier consul tout à son aise.

Gustave MASSON.

P. S.-L'article précédent contient deux fautes d'impression assez considérables:

1o Au lieu de Ch. Lamotte, lisez partout Ch. Lameth; 20

Desport, lisez Duport.

HISTOIRE ET DESCRIPTION DE LA BIBLIOTHÈQUE DE BORDEAUX, par J. B. GERGERÈS, bibliothécaire. 1863, in-8, 272 p. 5 › On connaît trop peu les richesses que renferment les bibliothèques publiques des provinces. Quelques-unes d'entre elles ont fait imprimer leur catalogue; mais ce sont des livres qu'il n'est pas toujours facile de se procurer; et d'ailleurs, qui lit un catalogue? à moins qu'il ne s'agisse de celui qui fait connaître les bouquins précieux réunis par un riche amateur, et qu'un motif quelconque livre aux enchères, ce catalogue-là, les bibliophiles le dévorent; mais un inventaire de livres qui nécessairement sont, pour la très-grande partie, dénués de valeur, et qui ne sont point à vendre, il faudrait pour le parcourir un bibliographe acharné doué d'une rare patience et possesseur de longs loisirs. La bibliothèque de Bordeaux possède sept ou huit gros volumes imprimés de ses inventaires; y a-t-il en France trois personnes qui les aient feuilletés? J'en doute fort.

Il y a donc utilité à recourir à un autre moyen pour faire connaître une bibliothèque, et c'est ce que M. Gergerès a voulu faire. La collection d'imprimés confiés à ses soins est une des plus considérables, des mieux choisies qu'il y ait en France (hors Paris, s'entend, et en

core, excepté la bibliothèque colossale de la rue de Richelieu, les autres dépôts de la capitale ne sont-ils pas déplorablement dépourvus de livres modernes ?) J'ai vu les bibliothèques de Rouen et de Lyon, et, quel qu'en soit le mérite, je crois que celle de Bordeaux peut très-bien leur disputer les honneurs du pas.

Le travail de M. Gergerès a été lu à un congrès scientifique, revu, corrigé et notablement augmenté (ce dont nous nous félicitons); il forme aujourd'hui un assez gros volume. On y trouve l'indication en tous genres des livres les plus précieux que possède ce vaste dépôt; les incunables, les éditions aldines et elzéviriennes sont énumérées avec soin. Un chapitre est consacré aux reliures anciennes, objet bien intéressant aujourd'hui pour les amateurs. J'ai eu ces trésors sous les yeux, je les ai palpés de mes mains, et je n'oublierai jamais un exemplaire du Miroir historial de Vincent de Beauvais, en 5 volumes petit in-folio, maroquin rouge, aux armes de madame de Pompadour; les beaux yeux de la favorite ne se fatiguèrent sans doute jamais à déchiffrer les types gothiques de cette impression; mais elle prouva du moins l'estime respectueuse pour ces livres antiques en les faisant somptueusement habiller. J'ai touché aussi quelques délicieux livrets: un Eutrapel, une Comédie du pape malade, qui a pris rang autrefois dans la célèbre collection du duc de la Vallière; si, chose impossible, ces volumes pouvaient courir les chances des enchères publiques, quelles luttes ne provoqueraient-ils pas? On verrait dépasser ces prix qui, aux ventes Solar et Double, ont étonné le monde bibliographique par l'explosion d'une hausse désolante pour tout amateur qui n'est pas millionnaire.

Je ne dirai rien de l'inappréciable trésor que possède la bibliothèque de Bordeaux: cet exemplaire des Essais de Montaigne, tout couvert de corrections, d'additions autographes. Que d'interlignes! que de mots raturés à diverses reprises! Que de phrases tracées, rayées, refaites! Je sais fort bien que déjà ce volume a été examiné par des éditeurs des Essais. L'atrabilaire Naigeon en fit usage en 1804; mais il a laissé encore une mine bien précieuse à exploiter. Ce qu'elle recèle sera-t-il enfin mis au jour? Nous devons l'espérer, si M. le docteur Payen, si profondément au fait de tout ce qui concerne la personne et les écrits de l'immortel philosophe, se décide à mettre sous presse cette édition optima, à laquelle il travaille depuis plus de trente ans, et qu'il perfectionne chaque jour, qu'il améliore chaque nuit.

Un chapitre est consacré aux manuscrits. Je dois le dire avec impartialité, cette partie m'a paru faible dans la bibliothèque municipale de Bordeaux; peut-être est-ce ma faute: je les aurai vus trop vite. J'ai

« PreviousContinue »