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NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

DES OUVRAGES

PUBLIÉS SOUS LE NOM D'ANA.

QUOIQUE depuis long-tems on porte sur les Livres en

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ANA un jugement peu favorable, il n'est pas moins vrai qu'ils plaisent à beaucoup de personnes, par la variété des objets qu'ils offrent à la curiosité du lecteur, et par les anecdotes peu connues qu'on y trouve. Ce sont des

sources d'érudition et de bons matériaux d'histoire littéraire pour celui qui sait choisir avec discernement et prendre ce qu'ils renferment de meilleur. D'ailleurs on est charmé d'y voir les grands hommes en négligé, s'il est permis de se servir de ce terme, et de juger de leur sentiment particulier sur toutes sortes de matières. Il semble que nous vivions avec eux, et que la liberté de la conversation leur permette de se montrer tels qu'ils sont.

Rien n'était mieux imaginé que ces sortes de Recueils; mais ceux qui les ont donnés au public, n'ont pas toujours su faire un choix judicieux des dits et gestes de leurs héros; et il est rarement arrivé que ces sortes de Livres aient parfaitement rempli l'attente du lecteur (1). Il faut les lire avec beaucoup de circonspection, parce qu'étant presque tous faits après la mort de ceux dont ils portent le nom,

(1) » Ces recueils, dit la Monnoye, seraient très-dignes de notre curiosité, s'ils répondaient à l'idée que nous avons coutume de nous en faire. Nous nous attendons à y trouver des bons mots, des traits singuliers d'érudition, des corrections de passages jusques-là désespérés, de petits contes originaux, de fines anecdotes, quelqu'épigramme bien tournée. C'est à ce coin que les bons ANA doivent, ce me semble, être marqués «. ( Préface du Ségraisiana ).

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il s'y rencontre souvent des futilités, des choses inconvenantes et même des bévues grossières que ces savans se seraient bien gardés d'avouer. C'est sans doute ce qui a fait tomber les ANA dans un grand discrédit.

Lorsqu'ils ont commencé à paraître (vers 1666), le public les recherchait avec beaucoup d'avidité; ensuite son empressement s'est réfroidi, et une espèce de dégoût a succédé à ce réfroidissement. Il me semble qu'on aurait pu tenir le milieu entre l'enthousiasme qu'ils ont d'abord inspiré et le mépris où ils sont tombés par la suite; car si les ANA ne sont pas les meilleurs des Livres, il s'en faut beaucoup qu'ils soient les plus ennuyeux, les plus mauvais et les plus inutiles. Nous pensons qu'il y aurait un moyen de remettre ce genre de littérature à sa vraie place; et ce moyen, l'abbé d'Artigny nous l'indique » ce serait, dit-il, de donner de nouvelles éditions des bons ANA (1), avec des remarques et des corrections; ou il faudrait qu'un homme de goût et d'érudition choisît dans chacun ce qu'il y aurait de meilleur, et en formât un nouveau Recueil, en indiquant avec exactitude les sources où il aurait puisé. Je suis persuadé qu'un semblable travail bien exécuté serait favorablement reçu du public ». L'abbé

(1) On vend à Paris une collection d'ANA, en 10 vol. in-8°: elle a pour titre: ANA, ou Collection de bons mots, Contes, Pensées détachées, Traits d'histoire et Anecdotes des hommes célèbres, depuis la renaissance des lettres jusqu'à nos jours; suivis d'un Choix de Propos joyeux, Mots plaisans, Réparties fines et Contes à rire, tirés de différens recueils. Amsterdam, Paris, Belin, an VII, 10 vol. in-8°. Ce titre est ajouté, et cette collection qui est bien imprimée, renferme Fureteriana et Poggiana, 1 vol.; Ménagiana, 3 vol.; VigneulMarvilliana, 2 vol.; Carpentariana, Naudéana, Patiniana, 1 vol.; Huetiana et Origine des romans, 1 vol.; Chevréana, 1 vol.; Sévigniana, Bolæana, 1 vol, Il y a des corrections dans ces différens ANA; mais le Chevréana qui devrait avoir deux volumes, dont le second doit être terminé par Ségraisiana, n'en a qu'un; le Ségraisiana manque.

d'Artigny a raison, ce Recueil bien fait serait un véritable trésor, où l'on puiserait toujours avec un nouveau plaisir.

Les Livres en ANA ne sont pas les seuls qui renferment un grand nombre d'anecdotes littéraires ou de dissertations curieuses. Il existe encore beaucoup d'ouvrages, qui, sous le titre de Mélanges, de Variétés, de Mémoires, de Délassemens, de Singularités, de Récréations, de Diversités, de Réflexions, d'Aménités, etc., etc., etc. (1), sont précisément dans le genre des ANA. Il n'y a que le titre de différent. Il est présumable que si les auteurs n'ont pas mis le mót ANA, en tête de ces sortes de Recueils, c'est par la raison que les ANA étaient alors peu estimés, et ils ont craint de se servir du mot. Mais ils n'ont pas voulu pour cela priver le public de leurs recherches intéressantes; ils ont changé le titre en conservant la chose.

Les Recueils, Variétés, Mélanges, etc. n'ont point été inconnus aux anciens; nous avons les Dits et les Faits de Socrate, par Xénophon; les Dialogues de Platon; les Dipnosophistes d'Athénée, les Symposiaques de Plutarque, les Nuits attiques d'Aulu-Gelle, les Apophtegmes des philosophes, par Diogène-Laërce; les Sentences de Pythagore, d'Epictete; les ouvrages de Stobée, de Macrobe, d'Isidore de Séville, etc, etc.

(1) Baillet a donné dans ses Jugemens des savans, une liste assez étendue de ces différens titres, dont quelques-uns sont extraordinaires et bizarres. Voici cette liste Diverses Leçons; Leçons antiques; Leçons nouvelles ; Leçons suspectes; Lectures mémorables; Mélanges nommés par les uns Symmictes, et par les autres Miscellanées; Cinnes; Schediasmes ou Cahiers; Adversaires ou Recueils; Collectanées; Philocalies; Observations ou Remarques; Animadversions ou Corrections; Scolies ou Notes; Commentaires; Expositions; Soupçons; Conjectures; Conjectanées; Lieux communs; Éclogues ou Électes ou Extraits ou Florides; Parergues; Vrai-semblables; Novantiques; Saturnales; Seimestres; Nuits; Veilles, Journées; Heures subsecives ou succisives: Præcidanées; Succidanées; Centurionats; etc, etc.

A la renaissance des lettres, les auteurs des XVe et XVIe siècles nous ont donné, d'une manière plus érudite qu'agréable, beaucoup de Miscellanea, d'Adversaria, de Variæ lectiones, d'Observationes, de Méditationes historicæ, etc.

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A la fin du XVIe siècle, on a commencé à écrire en français dans le même genre. Les Mélanges historiques de Pierre Messie de Séville, furent traduits par Claude Gruget, Parisien; Antoine du Verdier y ajouta une suite; c'est-àdire un recueil de ses propres observations, sous le titre de Leçons diverses. Pierre de la Primaudaye donna quelques tomes d'une Académie française: ce sont de gros billots, aussi pesans par le style que par le volume. Jean de Caures publia des Euvres morales diversifiées; Louis Guyon a aussi des Leçons diverses. Les Erreurs populaires de Laurent Joubert et Gaspard Bachot, parurent, ainsi que celles de Primerose et Brown. Le Jésuite Binet mit au jour son Essai des merveilles de la nature; Tabourot fit imprimer ses Bigarrures et Touches, qu'on recherche encore aujourd'hui. Pierre de Saint-Julien donna ses Gemelles ou Pareilles; ce sont des histoires qui se ressemblent. Charles-Etienne publia ses Paradoxes, et Honorat de Meynier, ses Demandes curieuses et ses Réponses libres. L'évêque de Belley, Pierre Camus, composa ses volumineuses Diversités; l'abbé Bordelon a aussi publié des Diversités qui ne valent pas mieux que ses autres ou vrages. Les Jours caniculaires de Simon Majole, évêque de Valtoure, ont été traduits par François Rosset. Gabriel Chapuys a donné dans notre langue les Histoires de Tor quemade, distribuées par journées en forme de dialogues. Chevreau a traduit les Considérations fortuites de Joseph Hall. Le frère aîné de Paul Pelisson a donné un petit recueil de divers problêmes, à l'imitation de Garembert ;

nous ne finirions pas, si nous voulions parler de tous les vieux ouvrages français qui renferment des mélanges.

Quant aux ouvrages modernes du même genre, il en existe un grand nombre; nous avions fait la Bibliographie de plus de quatre cents recueils de cette espèce; et nous comptions la mettre à la suite du Catalogue raisonné des ANA, mais cela nous entraînerait trop loin.

Revenons aux ANA, et parlons d'abord de l'étymologie de ce mot; elle n'est pas connue; nous allons hasarder deux conjectures à ce sujet; voici la première : on sait que les Livres dont le titre se termine en ANA, ne renferment ordinairement que des pensées et des anecdotes peu connues sur ceux qui en sont l'objet; ne pourrait-on pas regarder le mot ANA comme un diminutif du mot Anecdota; celui-ci est composé d'a privatif et d'ekdotos, livré, mis au jour, dérivé ďek, dehors, et didômi, donner, c'est-à-dire, chose qui n'a pas encore été publiée? Le Recueil des pensées d'un savant, auquel on donne le nom d'ana, n'ayant point encore été publié, est donc une vraie anecdote, prise dans la véritable acception du mot (1); mais comme ce mot Anecdota ajouté à un nom propre ne serait point agréable à l'oreille, (Menagianecdota, par exemple), on a retranché une partie du mot ajouté, et on a donné une terminaison (le neutre plurier) à la partie que l'on a conservée; ainsi Menagiana peut provenir de Menagi anecdota, ou Verba nondum edita. Passons à la seconde conjecture, qui paraîtra peut-être plus vraisemblable: la terminaison latine ANA ne formerait-elle pas

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(1) Nous disons: véritable acception du mot, car on n'entend plus mair.tenant par anecdote une chose qui n'a point encore été publiée, mais un petit trait d'histo ́re détaché, un évènement particulier. Nous avons sous le titre d'Anecdotes, des livres qui ont été réimprimés plus de vingt fois.

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