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NOTICE

BIOGRAPHIQUE

SUR

PIERRE ELSEVIER, PETIT-FILS DE JOOST,

LIBRAIRE A UTRECHT.

Comme sur Louis 11, le père Adry nous a induit en erreur sur Pierre Elsevier, d'Utrecht, qu'il dit petit-fils d'Arnout et arrière-petit-fils de Matthieu, fils de Louis Ier. Cela ne pouvait pas être, parce que de cette manière il indique cinq générations là où il n'y a d'espace que pour quatre, et parce que la découverte du testament de la veuve de Joost nous a fourni la preuve irrécusable, que ce même Pierre était son petit-fils et neveu de Louis III.

Le testament nous apprend en outre que son père, qui portait aussi le prénom de Pierre, en épousant Anna Dirks Vandermast, s'était marié contre le gré de sa mère, et que par ce motif, sauf pour sa part légitime, il a été exclu de sa succession. Il alla d'abord s'établir à Rotterdam, où son fils Pierre naquit et fut baptisé le 8 Mars 1645. Plus tard ils fixèrent leur demeure à Amsterdam, et les parents y étant décédés avant l'année 1657, le jeune Pierre eut pour tuteurs ses oncles Louis Elsevier III et André Hellerus (mari de Marie Elsevier, sa tante), qui le firent étudier en droit à l'université d'Utrecht et lui frayèrent ainsi le chemin aux fonctions qu'il remplit depuis dans l'administration de cette ville.

Entre-temps il se fit connaitre par quelques poésies flamandes. J'ai indiqué, en 1843, quatre facéties en vers, qu'il fit imprimer de 1662 à 1666, sous les titres de Scheele Griet of de Gestrafte Wellust, De Gestoorde Vreught, De Springende Doctor, De Broekdragende Vrouw. En 1666, il épousa à Utrecht Aletta Van Benthem, fille de Jean et de Claire Van Wyckersloot, dont il eut deux filles il la perdit après deux années de mariage, et à la suite d'un assez long veuvage, il épousa en secondes noces, le 25 Mars 1677, Sophie Van Luchtenberg, dont naquirent deux fils, Jonathan et Pierre, qui sont morts sans progéniture.

Il paraît qu'avant le décès de sa première femme, Pierre avait entrepris le commerce de la librairie, et j'ai fait mention à la page x11 de l'Introduction, de l'autorisation qu'il obtint du magistrat d'Utrecht, le 3 Juin 1667, pour vendre seulement des livres non reliés, avec défense formelle d'en vendre de reliés et d'en relier ou d'en faire relier chez lui; défense contre laquelle il réclama, mais qui fut confirmée par une nouvelle résolution du 22 Juillet de la même année.

Les livres qui portent le nom de Pierre Elsevier, à Utrecht, ne sont pas nombreux, et encore en est-il à peu près un tiers qu'il faut ranger parmi les faux Elseviers, parceque évidemment ils ont été imprimés en France sans sa participation ou à une époque où il s'était déjà retiré des affaires. Sept éditions, signées par lui, parurent de 1668 à 1672, et même sur la première, qui est d'une impression plus ancienne, son nom ne figure qu'au moyen d'un titre renouvelé. Il y en a une huitième qu'il ne fit que commencer ou du moins qui ne fut achevée que trois ans après, et parut avec une autre signature. Il existe en outre trois éditions où son nom se trouve; mais, comme je viens de le dire, elles ne lui ont jamais appartenu.

C'est trop peu, en quatre ans, que six à sept volumes d'une assez médiocre importance typographique, pour que je puisse admettre que Pierre ait imprimé lui-même, et j'ai la conviction qu'il se borna à être libraire-éditeur, faisant entreprendre l'im

pression des éditions qui portent son nom. Mr Rammelman partage cette opinion, après avoir fait inutilement toutes les recherches possibles pour découvrir quelques traces de son imprimerie ou quelque document constatant qu'il eut des presses.

Je sais que l'on peut m'objecter que le Sylloges Epistolarum de Burmann contient plusieurs passages qui le qualifient formellement d'imprimeur mais il me semble que même dans l'opinion des gens de lettres, cette qualification pouvait fort bien s'appliquer à un libraire qui avait entrepris l'impression et la publication d'une édition, quoiqu'il eut fait imprimer cette édition à façon et hors de chez lui. Il ne s'agit d'ailleurs dans ces quelques passages du Sylloges que d'une seule édition, des OEuvres posthumes du savant Meursius, et la suite de la correspondance qui y est relative me paraît indiquer assez clairement que ce n'était pas à Utrecht même qu'on l'imprimait. Voici, du reste, une analyse de cette correspondance qui met à mème d'en juger, et je copie textuellement le manuscrit d'Adry :

« Au mois de Mars 1669, Grævius écrivait à Heinsius qu'il « avait peine à trouver un imprimeur pour se charger des opus«cules de Meursius, quelques excellents qu'ils fussent; enfin, « dit-il, j'ai trouvé ici (à Utrecht) notre affaire is est Petrus « Elsevier; movebit Præla dès qu'il aura reçu le manuscrit du <«< commentaire De trium Insularum antiquitatibus. Plus tard, << en 1672, il écrit que l'ouvrage de Meursius, entrepris par « Pierre Elsevier, va bientôt paraître, et il laisse Heinsius maître « de la préface: au mois de juin de cette année, il écrit encore qu'une armée est dans les environs d'Utrecht et qu'il ne peut « avoir des nouvelles du livre de Meursius, dont il avait reçu « 15 feuilles trois mois auparavant. En effet, Louis XIV s'emparait alors de la Hollande et le 1er Juillet 1672 les Français « se rendirent maîtres d'Utrecht. Dans le même mois, Heinsius répond à Grævius qu'il a rencontré à Amsterdam le libraire « d'Utrecht qui s'est chargé du Meursius, mais que rien ne peut <«< avancer dans les circonstances présentes, et en Août, le libraire

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<< (Pierre Elsevier) disait à Grævius que les troubles l'avaient « empêché de réunir les feuilles imprimées : cependant Grævius <«< écrit qu'il espère obtenir ces feuilles le lendemain, pour les « envoyer à Elsevier d'Amsterdam (Daniel sans doute) pour les << relier. >>

Il est évident que la réunion de ces feuilles n'eut pas été difficile si elles avaient été tirées à Utrecht: mais elle l'était, à cause de l'occupation d'Utrecht par les Français, parce que l'impression avait été faite à Amsterdam, et elle n'y fut complètement achevée qu'en 1675, par le motif que la préface dont Heinsius avait refusé de se charger, se fit attendre. Adry nous le prouve sans replique par son catalogue qui indique « qu'avec la date de cette même << année 1675, le livre de Meursius parut l'année suivante, Am« stelodami, apud Abrahamum Wolfgangum; puis il ajoute entre << parenthèses (sans doute à Utrecht, chez Pierre Elsevier) : » mais ceci ne me parait pas probable, parce que c'est d'Octobre 1674 à Mars 1675 que sont datées toutes les lettres de Grævius, relatives à la cessation du commerce de Pierre et à la vente de ses livres avec leurs tablettes.

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Pour ces détails, je copie encore Adry : « Pierre fit sans doute « des pertes considérables, par suite des malheureux événements qui se passaient alors en Hollande; les vainqueurs, comme on « le voit par plusieurs lettres de Grævius, se conduisirent dans « les villes avec assez de modération mais les campagnes furent. « ravagées, les manufactures détruites ou hors d'état d'être mises « en exercice de longtemps, et ces événements ne paraissent « cependant dans l'histoire que sous des traits brillants et une << pompe qui nous éblouit et nous empèche d'en apercevoir toute «< l'horreur. Au mois d'Octobre 1674, Grævius annonce à Hein<< sius que l'infortuné Pierre allait être obligé de vendre tous «ses livres; Omnes Taberniæ suæ Libros præconio subjiciet cum « ipsis foris; et le 18 du même mois il lui écrit encore: Illi jam veneunt et primo Licitatori addicientur, non tamen emtores «< invenient facile in tantis angustiis pecuniæ. »

Cependant cette vente doit avoir été momentanément suspendue, soit à défaut d'acheteurs, soit peut-être, comme la Bibliotheca Wyckerslotiana, dont à cette même époque le magistrat d'Utrecht fit remettre la vente à cause des circonstances; et au mois de Février 1675, il est de nouveau question des livres de Pierre Elsevier Heinsius remercie Grævius de lui en avoir envoyé le catalogue, il lui marque quelques livres qu'il le prie de lui acheter, s'ils sont propres, et dont la vente alors se trouvait fixée au 8 Mars.

Depuis il n'est plus question de Pierre avant le 10 Décembre 1677 (1); alors Grævius écrit d'Utrecht à Heinsius, que Petrus Elsevirius Albo Senatorum est adscriptus, et Adry ajoute qu'il pouvait s'appliquer :

<< Excussus propriis aliena negocia curo. »

Le 17 Octobre 1678 il fut nommé échevin d'Utrecht, et le 20 Novembre suivant il prêta serment en qualité de trésorier de la même ville.

On a longtemps ignoré la date précise de la mort de cet Elsevier; en 1845 seulement, les Uitkomsten de Mr Rammelman nous ont appris qu'il a été inhumé à Utrecht le 22 Septembre 1696: toutefois il se trompe quand il en conclut qu'il fut encore l'éditeur d'un livre qui porte son nom avec l'année 1692. Non, l'Histoire d'Olivier Cromwell, en 2 vol. pet. in-12, de 1691, et les Mélanges historiques de Colomies, en 1 vol. du même format, de 1692, avec la souscription d'Utrecht, chez Pierre Elsevier, sont deux éditions médiocres, que Brunet et Motteley considèrent comme ayant été imprimées en France et que je n'hésite pas non plus à classer parmi les faux Elseviers.

(1) La Notice imprimée d'Adry, dit 1667; mais c'est très certainement une faute d'impression.

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