traits fort marqués, et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n'était pas tout à fait nette, il lisait ses vers avec force, mais sans grâce. Il savait les belles-lettres, l'histoire, la politique; mais il les 5 prenait principalement du côté qu'elles ont rapport au théâtre. Il n'avait pour toutes les autres connaissances ni loisir, ni curiosité, ni beaucoup d'estime. Il parlait peu, même sur la matière qu'il entendait si parfaitement. Il n'ornait pas ce qu'il disait; et pour trouver le grand Corneille, il le fallait lire. 10 Il était mélancolique; il lui fallait des sujets plus solides pour espérer et pour se réjouir que pour se chagriner ou pour craindre. Il avait l'humeur brusque, et quelquefois rude en apparence: au fond il était très-aisé à vivre, bon mari, bon parent, tendre, et plein d'amitié. Il avait l'âme fière et indépendante; nulle 15 souplesse, nul manége: ce qui l'a rendu très-propre à peindre la vertu Romaine, et très-peu propre à faire sa fortune. Il n'aimait point la cour; il y apportait un visage presque inconnu, un grand nom qui ne s'attirait que des louanges, et un mérite qui n'était point de ce pays-là. Rien n'était égal à son incapacité 20 pour ses affaires que son aversion; les plus légères lui causaient de l'effroi et de la terreur. Quoique son talent lui eût beaucoup rapporté, il n'en était guère plus riche. Ce n'est pas qu'il eût été fâché de l'être; mais il eût fallu le devenir par une habileté qu'il n'avait pas, et par des soins qu'il ne pouvait prendre. Il 25 ne s'était point trop endurci aux louanges à force d'en recevoir: mais, s'il était sensible à la gloire, il était fort éloigné de la vanité. Quelquefois il se confiait trop peu à son rare mérite, et croyait trop facilement qu'il pût avoir des rivaux. A beaucoup de probité naturelle, il a joint, dans tous les 30 temps de sa vie, beaucoup de religion, et plus de piété que le commerce du monde n'en permet ordinairement. Il a eu souvent besoin d'être rassuré par des casuistes sur ses pièces de théâtre, et ils lui ont toujours fait grâce en faveur de la pureté qu'il avait établie sur la scène, des nobles sentiments qui 35 règnent dans ses ouvrages, et de la vertu qu'il a mise jusque dans l'amour. (Dorante paraît écrivant dans une prison, et le geôlier ouvrant la porte à Cliton, et le lui montrant.) Cli. Ah! monsieur, c'est donc vous? Do. Cliton, je te revoi! Des prisons de Lyon fait votre hôtellerie? Do. Tu le sauras tantôt. Mais qui t'amène ici? 5 Cli. Les soins de vous chercher. Do. Tu prends trop de souci ; Et bien qu'après deux ans ton devoir s'en avise, S. M. 2 ΤΟ Qu'impatients désirs de posséder Lucrèce ; Rien ne semblait plus sûr qu'un si proche hyménéc; Comme il ne fut jamais d'éclipse plus obscure, 15 20 25 Et, tout simple et doucet, sans chercher de finesse, Attendant le boiteux, je consolais Lucrèce. 30 Do. Je l'aimais, je te jure; et, pour la posséder, Mon amour mille fois voulut tout hasarder: Mais quand j'eus bien pensé que j'allais à mon âge 35 40 Je combats toutefois : mais le temps qui s'avance Et la tentation de tant d'argent touché ACTE I. SCÈNE I Que l'argent est commode à faire une folie! Mais, dis-moi, que fit-elle ? et que dit lors son père? Le mien, ou je me trompe, était fort en colère? Cli. D'abord de part et d'autre on vous attend sans bruit; 50 Chante, danse, discourt, rit; mais, sur mon honneur, 55 Ce grand bruit s'accommode, et, pour plâtrer l'affaire, Et, rongeant dans son cœur son déplaisir secret, D'un visage content prend le change à regret. 60 L'éclat d'un tel affront l'ayant trop décriée, Il n'est à son avis que d'être mariée ; Et comme en un naufrage on se prend où l'on peut, J'apprends qu'on vous a vu cependant à Florence, 65 70 75 20 Pour vous donner avis je pars en diligence; Je veux voir ce que c'est; et je vois, ce me semble, So 85 Do. La mienne est bien étrange, on me prend pour un autre. Do. Tu dis vrai; mais écoute. Après une querelle Je pars seul et de nuit, et prends ma route en France. 90 95 100 Cli. (bas). N'aurons-nous point ici de guerres d'Allemagne ? Do. Que dis-tu? Cli. Rien, monsieur ; je gronde entre mes dents Du malheur qui suivra ces rares incidents; J'en ai l'âme déjà toute préoccupée. Do. Donc à deux cavaliers je vois tirer l'épée ; Et, pour en empêcher l'événement fatal, J'y cours la mienne au poing, et descends de cheval. 105 |