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Ils marchaient après vous deux ou trois mille pas;
Ils vous ont vu courir, tomber le mort à bas,
L'autre vous démonter, et fuir en diligence:
Ils ont vu tout cela de sur une éminence,
Et n'ont connu personne, étant trop éloignés.
Voilà, quoi qu'il en soit, tous nos procès gagnés,
Et plus tôt de beaucoup que je n'osais prétendre.
Je n'ai point perdu temps, et les ai fait entendre;
Si bien que, sans chercher d'autre éclaircissement,
Vos juges m'ont promis votre élargissement.

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Mais, quoiqu'il soit constant qu'on vous prend pour un autre, Il faudra caution, et je serai la vôtre:

Ce sont formalités que pour vous dégager

Les juges, disent-ils, sont tenus d'exiger;

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Mais sans doute ils en font ainsi que bon leur semble. 1135
Tandis, ce soir chez moi nous souperons ensemble:
Dans un moment ou deux vous y pourrez venir;
Nous aurons tout loisir de nous entretenir,
Et vous prendrez le temps de voir votre lingère.
Ils m'ont dit toutefois qu'il serait nécessaire
De coucher pour la forme un moment en prison,
Et m'en ont sur-le-champ rendu quelque raison;
Mais c'est si peu mon jeu que de telles matières,
Que j'en perds aussitôt les plus belles lumières.
Vous sortirez demain, il n'est rien de plus vrai ;
C'est tout ce que j'en aime, et tout ce que j'en sai.
Do. Que ne vous dois-je point pour de si bons offices!
Ph. Ami, ce ne sont là que de petits services;
Je voudrais pouvoir mieux, tout me serait fort doux.
Je vais chercher du monde à souper avec vous.
Adieu je vous attends au plus tard dans une heure.

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SCÈNE V.

DORANTE, CLITON.

Do. Tu ne dis mot, Cliton. Cli. Elle est belle, ou je

meure.

Do. Elle te semble belle? Cli. Et si parfaitement

Que j'en suis même encor dans le ravissement.

Encor dans mon esprit je la vois, et l'admire,
Et je n'ai su depuis trouver le mot à dire.

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Do. Je suis ravi de voir que mon élection
Ait enfin mérité ton approbation.

Vous verriez comme quoi je la trouve charmante,

Cli. Ah! plût à Dieu, monsieur, que ce fût la servante !

Et comme pour l'aimer je ferais le mutin.

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Do. Admire en cet amour la force du destin.

Cli. J'admire bien plutôt votre adresse ordinaire,

Qui change en un moment cette dame en lingère.
Do. C'était nécessité dans cette occasion,

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De crainte que Philiste eût quelque vision,

S'en formât quelque idée, et la pût reconnaître.

Cli. Cette métamorphose est de vos coups de maître ;
Je n'en parlerai plús, monsieur, que cette fois :
Mais en un demi-jour comptez déjà pour trois.
Un coupable honnête homme, un portrait, une dame,
A son premier métier rendent soudain votre âme ;
Et vous savez mentir par générosité,
Par adresse d'amour, et par nécessité.
Quelle conversion! Do. Tu fais bien le sévère.
Cli. Non, non, à l'avenir je fais vœu de m'en taire ;
J'aurais trop à compter. Do. Conserver un secret,
Ce n'est pas tant mentir qu'être amoureux discret ;
L'honneur d'une maîtresse aisément y dispose.

Cli. Ce n'est qu'autre prétexte, et non pas autre chose.

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Croyez-moi, vous mourrez, monsieur, dans votre peau,
Et vous mériterez cet illustre tombeau,

Cette digne oraison que naguère j'ai faite :
Vous vous en souvenez sans que je la répète.
Do. Pour de pareils sujets peut-on s'en garantir ?
Et toi-même à ton tour ne crois-tu point mentir ?
L'occasion convie, aide, engage, dispense;
Et pour servir un autre on ment sans qu'on y pense.
Cli. Si vous m'y surprenez, étrillez-y moi bien.
Do. Allons trouver Philiste, et ne jurons de rien.

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ACTE IV.

SCÈNE I.

MÉLISSE, LYSE.

Mé. J'en tremble encor de peur, et n'en suis pas remise.
Ly. Aussi bien comme vous je pensais être prise.
Mé. Non, Philiste n'est fait que pour m'incommoder.
Voyez ce qu'en ces lieux il venait demander,
S'il est heure si tard de faire une visite.

Ly. Un ami véritable à toute heure s'acquitte ;
Mais un amant fâcheux, soit de jour, soit de nuit,
Toujours à contre-temps à nos yeux se produit;
Et, depuis qu'une fois il commence à déplaire,
Il ne manque jamais d'occasion contraire,

Tant son mauvais destin semble prendre de soins
A mêler sa présence où l'on la veut le moins!

Mé. Quel désordre eût-ce été, Lyse, s'il m'eût connue !
Ly. Il vous aurait donné fort avant dans la vue.

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Mé. Quel bruit et quel éclat n'eût point fait son courroux !

Ly. Il eût été peut-être aussi honteux que vous.

Un homme un peu content et qui s'en fait accroire,

Se voyant méprisé, rabat bien de sa gloire,
Et, surpris qu'il en est en telle occasion,
Toute sa vanité tourne en confusion.

Quand il a de l'esprit, il sait rendre le change;
Loin de s'en émouvoir, en raillant il se venge,
Affecte des mépris, comme pour reprocher
Que la perte qu'il fait ne vaut pas s'en fâcher;
Tant qu'il peut, il témoigne une âme indifférente.
Quoi qu'il en soit enfin, vous avez vu Dorante,
Et fort adroitement je vous ai mise en jeu.
Mé. Et fort adroitement tu m'as fait voir son feu.

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Ly. Eh bien! mais que vous semble encor du personnage ?
Vous en ai-je trop dit? Mé. J'en ai vu davantage.

Ly. Avez-vous du regret d'avoir trop hasardé?
Mé. Je n'ai qu'un déplaisir, d'avoir si peu tardé.

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Ly. Vous l'aimez? Mé. Je l'adore. Ly. Et croyez qu'il

vous aime ?

Mé. Qu'il m'aime, et d'une amour, comme la mienne,

extrême.

Ly. Une première vue, un moment d'entretien,

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Vous fait ainsi tout croire, et ne douter de rien !

Mé. Quand les ordres du ciel nous ont fait l'un pour l'autre,

Lyse, c'est un accord bientôt fait que le nôtre:

Sa main entre les cœurs, par un secret pouvoir,
Sème l'intelligence avant que de se voir;

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Il prépare si bien l'amant et la maîtresse,

Que leur âme au seul nom s'émeut et s'intéresse.

On s'estime, on se cherche, on s'aime en un moment;

Tout ce qu'on s'entredit persuade aisément;

Et, sans s'inquiéter d'aucunes peurs frivoles,

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La foi semble courir au-devant des paroles;

La langue en peu de mots en explique beaucoup;

Les yeux, plus éloquents, font tout voir tout d'un coup;
Et, de quoi qu'à l'envi tous les deux nous instruisent,

Le cœur en entend plus que tous les deux n'en disent. 1240
Ly. Si, comme dit Sylvandre, une âme en se formant,
Ou descendant du ciel, prend d'une autre l'aimant,
La sienne a pris le vôtre, et vous a rencontrée.

Mé. Quoi! tu lis les romans? Ly. Je puis bien lire Astrée ;
Je suis de son village, et j'ai de bons garants
Qu'elle et son Céladon étaient de mes parents.

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Mé. Quelle preuve en as-tu? Ly. Ce vieux saule, madame,
Où chacun d'eux cachait ses lettres et sa flamme,
Quand le jaloux Sémire en fit un faux témoin.
Du pré de mon grand-père il fait encor le coin;

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Et l'on m'a dit que c'est un infaillible signe
Que d'un si rare hymen je viens en droite ligne.
Vous ne m'en croyez pas? Mé. De vrai, c'est un grand

point.

Ly. Aurais-je tant d'esprit, si cela n'était point?
D'où viendrait cette adresse à faire vos messages,
A jouer avec vous de si bons personnages,
Ce trésor de lumière et de vivacité,
Que d'un sang amoureux que j'ai d'eux hérité?
Mé. Tu le disais tantôt, chacun a sa folie;
Les uns l'ont importune, et la tienne est jolie.

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SCÈNE II.

CLEANDRE, MÉLISSE, LYSE.

Clé. Je viens d'avoir querelle avec ce prisonnier,
Mé. Avec Dorante? avec ce cavalier

Ma sœur.

Dont vous tenez l'honneur, dont vous tenez la vie?
Qu'avez-vous fait? Clé. Un coup dont tu seras ravie.
Mé. Qu'à cette lâcheté je puisse consentir!

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