Page images
PDF
EPUB

L'élégance est encore plus nécessaire à la poésie que l'éloquence, parce qu'elle est une partie de cette harmonie si nécessaire aux vers.

Un orateur peut convaincre, émouvoir même sans élégance, sans pureté, sans nombre ; un poëme ne peut faire d'effet s'il n'est élégant. C'est un des principaux mérites de Virgile; Horace est bien moins élégant dans ses satires, dans ses épîtres aussi est-il moins poëte, sermoni propior.

Le grand point dans la poésie et dans l'art oratoire, c'est que l'élégance ne fasse jamais tort à la force; et le poëte, en cela comme dans tout le reste, a de plus grandes difficultés à surmonter que l'orateur; car, l'harmonie étant la base de son art, il ne doit pas se permettre un concours de syllabes rudes; il faut même quelquefois sacrifier un peu de la pensée à l'élégance de l'expression : c'est une gêne que l'orateur n'éprouve jamais.

Il est à remarquer que si l'élégance a toujours l'air facile, tout ce qui est facile et naturel n'est cependant pas élégant. Il n'y a rien de si facile, de si naturel que,

La cigale ayant chanté

Tout l'été,

LA FONTAINE, liv. 1, fab. 1.

et

Maître corbeau sur un arbre perché...

LE MÊME, liv. I, II.

Pourquoi ces morceaux manquent-ils d'élégance? C'est que cette naïveté est dépourvue de mots choisis et d'harmonie.

Amans,

heureux amans, voulez-vous voyager?

Que ce soit aux rives prochaines.

LA FONTAINE liv. IX, II.

et cent autres traits ont, avec d'autres mérites, celui de l'élégance.

On dit rarement d'une comédie qu'elle est écrite élégamment : la naïveté et la rapidité d'un dialogue familier excluent ce mérite propre à toute autre poésie.

L'élégance semblerait faire tort au comique; on ne rit point d'une chose élégamment dite: cependant la plupart des vers de l'Amphitryon de Molière, excepté ceux de pure plaisanterie, sont élégans. Le mélange des dieux et des hommes dans cette pièce unique en son genre, et les vers irréguliers qui forment un grand nombre de madrien sont peut-être la cause.

gaux,

Un madrigal doit bien plutôt être élégant qu'une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, et que l'épigramme tient du comique; l'un est fait pour exprimer un sentiment délicat, et l'autre un ridicule.

Dans le sublime, il ne faut pas que l'élégance se remarque; elle l'affaiblirait. Si on avait loué

l'élégance du Jupiter-Olympien de Phidias, c'eût été en faire une satire : l'élégance de la Vénus de Praxitele pouvait être remarquée.

ÉLIE ET ÉNOCH.

Elie et Énoch sont deux personnages bien importans dans l'antiquité; ils sont tous deux les seuls qui n'aient point goûté de la mort, et qui aient été transportés hors du monde. Un très savant homme a prétendu que ce sont des personnages allégoriques. Le père et la mère d'Élie sont inconnus. Il croit que son pays Galaad ne veut dire autre chose que la circulation des temps; on le fait venir de Galgala, qui signifie révolution. Mais le nom du village de Galgala signifiait-il quelque chose?

Le mot d'Élie a un rapport sensible avec celui d'Élios, le soleil. L'holocauste offert par Élie, et allumé par le feu du ciel, est une image de ce que peuvent les rayons du soleil réunis. La pluie qui tombe après de grandes chaleurs est encore une vérité physique.

Le char de feu et les chevaux enflammés qui enlèvent Élie au ciel sont une image frappante des quatre chevaux du soleil. Le retour d'Élie à la fin du monde semble s'accorder avec l'ancienne opinion que le soleil viendrait s'éteindre dans les eaux, au milieu de la destruction générale que les

hommes attendaient; car presque toute l'antiquité fut long-temps persuadée que le monde serait bientôt détruit.

Nous n'adoptons point ces allégories, et nous nous en tenons à ce qui est rapporté dans l'ancien Testament.

Énoch est un personnage aussi singulier qu'Élie, à cela près que la Genèse nomme son père et son fils, et que la famille d'Élie est inconnue. Les Orientaux et les Occidentaux ont célébré cet Énoch.

La sainte Écriture, qui est toujours notre guide infaillible, nous apprend qu'Enoch fut père de Mathusala ou Mathusalem, et qu'il ne vécut sur la terre que trois cent soixante-cinq ans, ce qui a paru une vie bien courte pour un des premiers patriarches. Il est dit qu'il marcha avec Dieu, et qu'il ne parut plus, parce que Dieu l'enleva. << C'est «< ce qui fait, dit dom Calmet, que les pères et le «< commun des commentateurs assurent qu'Énoch « est encore en vie, que Dieu l'a transporté hors «< du monde aussi bien qu'Élie, qu'ils viendront << avant le jugement dernier s'opposer à l'ante« christ, qu'Élie prêchera aux Juifs, et Énoch aux « Gentils. >>

Saint Paul, dans son Épitre aux Hébreux (qu'on lui a contestée), dit expressément : « C'est par la « foi qu'Énoch fut enlevé, afin qu'il ne vit point la

<< mort; et on ne le vit plus, parce que le Seigneur «< le transporta. »

Saint Justin, ou celui qui a pris son nom, dit qu'Enoch et Élie sont dans le paradis terrestre, et qu'ils y attendent le second avénement de JésusChrist.

Saint Jérôme, au contraire, croit' qu'Enoch et Élie sont dans le ciel. C'est ce même Énoch, septième homme après Adam, qu'on prétend avoir écrit un livre cité par saint Jude*.

2

Tertullien dit que cet ouvrage fut conservé dans l'arche, et qu'Enoch en fit même une seconde copie après le déluge.

Voilà ce que la sainte Écriture et les pères nous disent d'Énoch; mais les profanes de l'Orient en disent bien davantage. Ils croient en effet qu'il y a eu un Énoch, et qu'il fut le premier qui fit des esclaves à la guerre ; ils l'appellent tantôt Énoch, tantôt Édris; ils disent que c'est lui qui donna des lois aux Égyptiens sous le nom de ce Thaut appelé par les Grecs Hermès Trismégiste. On lui donne un fils nommé Sabi, auteur de la religion des Sabiens ou Sabéens.

Il y avait une ancienne tradition en Phrygie sur un certain Anach, dont on disait que les Hébreux avaient fait Énoch. Les Phrygiens tenaient

1 Jérôme, Commentaires sur Amos. -* Voyez l'article APOCRYPHEs. — Lib. 1, De cultu fæminarum, etc.

-3

« PreviousContinue »