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l'huile commence à s'élever, à jaillir, à paraître bouillonner quand l'eau commence à frémir; et cette huile n'a encore acquis que très peu de chaleur. On semble alors mettre sa main dans l'eau bouillante, et on l'humecte d'une huile qui la pré

serve.

Un champion peut très facilement s'être endurci jusqu'à tenir quelques secondes un anneau jeté dans le feu, sans qu'il reste de grandes marques

de brûlure.

Passer entre deux feux sans se brûler n'est pas un grand tour d'adresse quand on passe fort vite, et qu'on s'est bien pommadé le visage et les mains. C'est ainsi qu'en usa ce terrible Pierre Aldobrandin, Petrus Igneus (supposé que ce conte soit vrai), quand il passa entre deux bûchers à Florence, pour démontrer, avec l'aide de Dieu, que son archevêque était un fripon et un débauché. Charlatans! charlatans! disparaissez de l'histoire.

C'était une plaisante épreuve que celle d'avaler un morceau de pain d'orge, qui devait étouffer son homme s'il était coupable. J'aime bien mieux Arlequin, que le juge interroge sur un vol dont le docteur Balouard l'accuse. Le juge était à table, et buvait d'excellent vin quand Arlequin comparut; il prend la bouteille et le verre du juge; il vide la bouteille, et lui dit : Monsieur, je veux

DICTIONN. PHILOS. T. IV.

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que ce vin-là me serve de poison si j'ai fait ce

dont on m'accuse.

ÉQUIVOQUE.

Faute de définir les termes, et surtout faute de netteté dans l'esprit, presque toutes les lois, qui devraient être claires comme l'arithmétique et la géométrie, sont obscures comme des logogriphes. La triste preuve en est que presque tous les procès sont fondés sur le sens des lois, entendues presque toujours différemment par les plaideurs, les avocats et les juges.

Tout le droit public de notre Europe eut pour origine des équivoques, à commencer par la loi salique Fille n'héritera point en terre salique ; mais qu'est-ce que terre salique? et fille n'héritera-t-elle point d'un argent comptant, d'un collier à elle légué, qui vaudra mieux que la terre ?

Les citoyens de Rome saluent Karl, fils de Pepin-le-Bref l'Austrasien, du nom d'imperator. Entendaient-ils par là: Nous vous conférons tous les droits d'Octave, de Tibère, de Caligula, de Claude; nous vous donnons tout le pays qu'ils possédaient? Mais ils ne pouvaient le donner, puisque, loin d'en être les maîtres, ils l'étaient à peine de leur ville. Jamais il n'y eut d'expression plus équivoque, et elle l'était tellement qu'elle l'est encore.

L'évêque de Rome, Léon III, qui, dit-on, dé

clara Charlemagne empereur, comprenait-il la force des termes qu'il prononçait? Les Allemands prétendent qu'il entendait que Charles serait son maître; la daterie a prétendu qu'il voulait dire qu'il serait maître de Charlemagne.

Les choses les plus respectables, les plus sacrées, les plus divines, n'ont-elles pas été obscurcies par les équivoques des langues?

On demande à deux chrétiens de quelle religion ils sont; l'un et l'autre répond: Je suis catholique. On les croit tous deux de la même communion; cependant l'un est de la grecque, l'autre de la latine, et tous deux irréconciliables. Si l'on veut s'éclaircir davantage, il se trouve que chacun d'eux entend par catholique, universel, et qu'en ce cas universel a signifié partie.

L'ame de saint François est au ciel, est en paradis. Un de ces mots signifie l'air, l'autre veut dire jardin.

On se sert du mot esprit pour exprimer vent, extrait, pensée, brandevin rectifié, apparition d'un corps mort.

L'équivoque a été tellement un vice nécessaire de toutes les langues formées par ce qu'on appelle le hasard et par l'habitude, que l'auteur même de toute clarté et de toute vérité daigna condescendre à la manière de parler de son peuple : c'est ce qui fait qu'héloïm signifie en quelques endroits des

juges, d'autres fois des dieux, et d'autres fois des

anges.

<< Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon << assemblée,» serait une équivoque dans une langue et dans un sujet profane; mais ces paroles reçoivent un sens divin de la bouche qui les prononce, et du sujet auquel elles sont appliquées.

« Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob: «< or Dieu n'est pas le dieu des morts, mais des << vivans. >> Dans le sens ordinaire, ces paroles pouvaient signifier: Je suis le même Dieu qu'ont adoré Abraham et Jacob, comme la terre qui a porté Abraham, Isaac et Jacob porte aussi leurs descendans; le soleil qui luit aujourd'hui est le soleil qui éclairait Abraham, Isaac et Jacob; la loi de leurs enfans est leur loi. Et cela ne signifie pas qu'Abraham, Isaac et Jacob soient encore vivans. Mais quand c'est le Messie qui parle, il n'y a plus d'équivoque; le sens est aussi clair que divin. Il est évident qu'Abraham, Isaac et Jacob ne sont point au rang des morts, mais qu'ils vivent dans la gloire, puisque cet oracle est prononcé par le Messie; mais il fallait que ce fût lui qui le dît.

Les discours des prophètes juifs pouvaient être équivoques aux yeux des hommes grossiers qui n'en pénétraient pas le sens; mais ils ne le furent pas pour les esprits éclairés des lumières de la foi.

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Tous les oracles de l'antiquité étaient équivoques : l'un prédit à Crésus qu'un puissant empire succombera; mais sera-ce le sien? sera-ce celui de Cyrus? L'autre dit à Pyrrhus que les Romains peuvent le vaincre, et qu'il peut vaincre les Romains. Il est impossible que cet oracle mente.

Lorsque Septime Sévère, Pescennius Niger et Clodius Albinus disputaient l'empire, l'oracle de Delphes consulté (malgré le jésuite Baltus, qui prétend que les oracles avaient cessé) répondit : « Le brun est fort bon, le blanc ne vaut rien, l'afri<< cain est passable. »> On voit qu'il y avait plus d'une manière d'expliquer un tel oracle.

Quand Aurélien consulta le dieu de Palmyre (et toujours malgré Baltus), le dieu dit que les colombes craignent le faucon. Quelque chose qui arrivât, le dieu se tirait d'affaire. Le faucon était le vainqueur, les colombes étaient les vaincus.

Quelquefois des souverains ont employé l'équivoque aussi bien que les dieux. Je ne sais quel tyran, ayant juré à un captif de ne le pas tuer, ordonna qu'on ne lui donnât point à manger, disant qu'il lui avait promis de ne le pas faire mourir, mais non de contribuer à le faire vivre1,

Voy. l'article ABUS DES MOTS.

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