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gros qu'un moulin, et les bras aussi longs que les ailes du moulin; mais de quelle supposition peut partir un homme sensé pour se persuader que la moitié de la lune est entrée dans une manche, et qu'un Sammonocodom est descendu du ciel pour venir jouer au cerf-volant à Siam, couper une forêt, et faire des tours de passe-passe?

Les plus grands génies peuvent avoir l'esprit faux sur un principe qu'ils ont reçu sans examen. Newton avait l'esprit très faux quand il commentait l'Apocalypse.

Tout ce que certains tyrans des ames désirent, c'est que les hommes qu'ils enseignent aient l'esprit faux. Un fakir élève un enfant qui promet beaucoup; il emploie cinq ou six années à lui enfoncer dans la tête que le dieu Fo apparut aux hommes en éléphant blanc, et il persuade l'enfant qu'il sera fouetté après sa mort pendant cinq cent mille années s'il ne croit pas ces métamorphoses. Il ajoute qu'à la fin du monde l'ennemi du dieu Fo viendra combattre contre cette divinité.

L'enfant étudie et devient un prodige; il argumente sur les leçons de son maître; il trouve que Fo n'a pu se changer qu'en éléphant blanc, parce que c'est le plus beau des animaux. Les rois de Siam et du Pégu, dit-il, se font la guerre pour un éléphant blanc; certainement si Fo n'avait pas été caché dans cet éléphant, ces rois n'auraient pas

été si insensés que de combattre pour la

sion d'un simple animal.

posses

L'ennemi de Fo viendra le défier à la fin du monde; certainement cet ennemi sera un rhinocéros, car le rhinocéros combat l'éléphant. C'est ainsi que raisonne dans un âge mûr l'élève savant du fakir, et il devient une des lumières des Indes; plus il a l'esprit subtil, plus il l'a faux, et il forme ensuite des esprits faux comme lui.

On montre à tous ces énergumènes un peu de géométrie, et ils l'apprennent assez facilement; mais, chose étrange! leur esprit n'est pas redressé pour cela; ils aperçoivent les vérités de la géométrie, mais elle ne leur apprend point à peser les probabilités; ils ont pris leur pli; ils raisonneront de travers toute leur vie, et j'en suis fâché pour eux.

II

y a malheureusement bien des manières d'avoir l'esprit faux: 1o de ne pas examiner si le principe est vrai, lors même qu'on en déduit des conséquences justes; et cette manière est commune1;

2o De tirer des conséquences fausses d'un principe reconnu pour vrai. Par exemple, un domestique est interrogé si son maître est dans sa chambre, par des gens qu'il soupçonne d'en vouloir à sa vie : s'il était assez sot pour leur dire la vérité, sous prétexte qu'il ne faut pas mentir, il

1 1 Voy. l'article Conséquence.

est clair qu'il aurait tiré une conséquence absurde d'un principe très vrai.

Un juge qui condamnerait un homme qui a tué son assassin, parce que l'homicide est défendu, serait aussi inique que mauvais raisonneur.

De pareils cas se subdivisent en mille nuances différentes. Le bon esprit, l'esprit juste, est celui quí les démêle: de là vient qu'on a vu tant de jugemens iniques, non que le cœur des juges fût méchant, mais parce qu'ils n'étaient pas assez éclairés.

ESSÉNIENS.

Plus une nation est superstitieuse et barbare, obstinée à la guerre malgré ses défaites, partagée en factions, flottante entre la royauté et le sacerdoce, enivrée de fanatisme, plus il se trouve chez un tel peuple un nombre de citoyens qui s'unissent pour vivre en paix.

Il arrive qu'en temps de peste, un petit canton s'interdit la communication avec les grandes villes; il se préserve de la contagion qui règne, mais il reste en proie aux autres maladies.

Tels on a vu les gymnosophistes aux Indes; telles furent quelques sectes de philosophes chez les Grecs; tels les pythagoriciens en Italie et en Grèce, et les thérapeutes en Égypte ; tels sont aujourd'hui les primitifs nommés quakers et les dunkards en Pensylvanie; et tels furent à peu

près les premiers chrétiens qui vécurent ensemble loin des villes.

Aucune de ces sociétés ne connut cette effrayante coutume de se lier par serment au genre de vie qu'elles embrassaient; de se donner des chaînes perpétuelles; de se dépouiller religieusement de la nature humaine, dont le premier caractère est la liberté; de faire enfin ce que nous appelons des vœux. Ce fut saint Basile qui le premier imagina ces vœux, ce serment de l'esclavage. Il introduisit un nouveau fléau sur la terre, etil tourna en poison ce qui avait été inventé comme remède.

Il y avait en Syrie des sociétés toutes semblables à celle des esséniens. C'est le Juif Philon qui nous le dit dans le Traité de la liberté des gens de bien. La Syrie fut toujours superstitieuse et factieuse, toujours opprimée par des tyrans. Les successeurs d'Alexandre en firent un théâtre d'horreurs. Il n'est pas étonnant que parmi tant d'infortunés, quelques uns, plus humains et plus sages que les autres, se soient éloignés du commerce des grandes villes, pour vivre en commun dans une honnête pauvreté, loin des yeux de la tyrannie.

On se réfugia dans de semblables asiles en Égypte, pendant les guerres civiles des derniers Ptolémée; et lorsque les armées romaines subjuguèrent l'Égypte, les thérapeutes s'établirent dans un désert auprès du lac Moris.

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Il paraît très probable qu'il y eut des thérapeutes grecs, égyptiens et juifs. Philon ', après avoir loué Anaxagore, Démocrite, et les autres philosophes qui embrassèrent ce genre de vie, s'exprime ainsi : << On trouve de pareilles sociétés en plusieurs « pays; la Grèce et d'autres contrées jouissent de << cette consolation; elle est très commune en Égypte dans chaque nome, et surtout dans « celui d'Alexandrie. Les plus gens de bien, les plus austères se sont retirés au dessus du lac « Moeris dans un lieu désert mais commode, qui « forme une pente douce. L'air y est très sain, les bourgades assez nombreuses dans le voisinage « du désert, etc. >>

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Voilà donc partout des sociétés qui ont tâché d'échapper aux troubles, aux factions, à l'insolence, à la rapacité des oppresseurs. Toutes, sans exception, eurent la guerre en horreur: ils la regardèrent précisément du même ceil que nous voyons le vol et l'assassinat sur les grands chemins. Tels furent à peu près les de lettres qui

gens

s'assemblèrent en France, et qui fondèrent l'Académie. Ils échappaient aux factions et aux cruautés qui désolaient le règne de Louis XIII. Tels furent ceux qui fondèrent la société royale de Londres, pendant que les fous barbares nommés puritains et épiscopaux s'égorgeaient pour quelques pas

Philon, De la Vie contemplative.

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