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précieux pour les alliés que glorieux pour nous; les insignes du grand Frédéric son épée, son écharpe, son grand cordon de l'Aigle noir, son hausse-col, ainsi que les drapeaux que portait sa garde pendant la guerre de Sept ans, et qui, déposés d'abord aux Tuileries, furent placés dans une tribune en planches, sous l'orgue de l'église des Invalides, avec les drapeaux d'léna. Ceci se passait en 1807. Sept années après, sous l'empire d'une panique inexplicable, tout fut détruit, brisé, cousumé, autant qu'on peut le croire, sans qu'on sache sur qui faire retomber la responsabilité d'un tel acte, car les ordres ont dû être verbaux, puisqu'on n'en trouve aucun écrit. Qui pourra et osera suspecter le dévouement et la bravoure du maréchal Sérurier, alors gouverneur de l'Hôtel? A-t-il provoqué cette mesure? a-t-il été devancé ou mal compris ? a-t-il reculé devant la responsabilité qui lui incombait? n'a-t-il pas mieux aimé détruire ces trophées que d'avoir la douleur de les voir retomber, par la nécessité de la guerre, entre les mains des alliés? Libre à chacun de penser ce qu'il voudra, d'adopter l'opinion qui lui agréera, cependant, si on voulait dire que le vieux maréchal a été conseillé par la peur, et on sait que tel qui brave la mitraille dans le combat, peut manquer du courage civique, — on peut répondre que le gouverneur des Invalides resta fidèlement à son poste. Comment alors expliquer cette mesure extrême, quand il était si facile de brûler les moins précieux de ces drapeaux et de cacher les autres, ou de les mettre, comme au Musée d'artillerie, dans des fourgons, et de les envoyer au delà de la Loire, ou de les faire disparaître comme à l'Hôtel de ville, au Corps Législatif et au Sénat, où il suffit du dévouement individuel pour faire ce miracle? Qui ne sait qu'alors, les soldats cachaient leurs aigles et leurs étendards dans leurs gibernes, n'ignorant pas qu'ils trouveraient des hampes partout; quand on vit des régiments presque entiers, conserver la cocarde tricolore jusqu'en 1815, pendant la première Restauration, du consentement tacite des chefs? « Je trouve cette idée de destruction si malheureuse, dit M. Lallemand (et nous partageons parfaitement son avis), que je voudrais ne laisser retomber le bláme que sur ceux qui en furent vraiment coupables.» Malheureusement, si on ne peut nier le fait, les coupables sont restés inconnus. Les cendres furent jetées dans la Seine en face des Invalides, une pièce officielle citée plus haut en fait foi; mais, à différentes époques on retira du fleuve des lances et des sabots, avec des débris de cuivre et d'or, car une grande partie de ces étendards, ou drapeaux, étaient brodés et galonnés en or, ce qui, au rapport de M. Lallemand, constituait une somme de plus de 16,000 francs que l'on confia aux flots.

Une singulière coïncidence nous mit sous les yeux un article du Constitutionnel (10 octobre 1864), comme nous achevions ces lignes; il est intitulé les Quatre panoplies des Invalides. On peut regretter que l'auteur, qui n'a pas signé, n'ait pas eu connaissance de la brochure de M. Lallemand; il n'eût probablement pas accusé aussi péremptoirement le maréchal Sérurier de cette désastreuse mesure; elle lui aurait rappelé que, dans ce moment de trouble, il n'y avait plus d'administration. Les faits (cités complètent les Souvenirs de 1814, malgré quelques légères erreurs de détail qui ne préjudicient en rien au fond des choses. Ainsi, nous apprennons que des débris de ce triste autodo-fé ont rempli deux voitures; qu'en 1815, avertis par un pêcheur, deux personnes retirèrent de la Seine une certaine quantité de débris qui furent renfermés dans une caisse ; qu'à l'avénement de Charles X on lui en révéla l'existence; que sur le rapport favorable d'une commission, on la transporta aux archives des Invalides; qu'en 1830, le maréchal Jourdan, ayant voulu connaître ce qu'elle contenait, l'officier chargé du nouveau rapport concluait au versement, à titre de vieille ferraille hors de service, de tous ces débris, au dépôt de l'artillerie. Heureusement le maréchal ne fut pas de cet avis. Après un séjour de trente et quelques années, le conservateur actuel, le colonel d'état-major en retraite Michel proposa au gouverneur marquis de Lawœstine d'en composer des panoplies destinées à orner le chœur de l'église des vieux soldats, ce qui fut fait avec bonheur et habileté au Musée d'artillerie, sous la direction du conservateur, M. Penguilly l'Haridon, dont la science et le goût sont également appréciés des archéologues et des artistes. Après l'histoire, la légende, et l'ère impériale en fournit plus d'une de ce genre. On lit dans un ouvrage, sérieux d'ailleurs : « L'invasion des troupes coalisées le trouva dans ce « poste (gouverneur des Invalides), où, pour soustraire aux ennemis a des drapeaux pris dans nos victoires et qui décoraient les voutes de a l'église des Invalides, il les fit enlever et brûler. Les soldats invalides « voulurent, dit-on, avaler les cendres de ces glorieux débris. » (De Chesnel, Dict. des armées de terre et de mer, v° SERRURIER.) Félicitons M. Lallemand qui a recueilli ses souvenirs et soulevé un coin du voile qui cachait ce point obscur de notre histoire contemporaine, et de l'avoir fait avec dignité et succès.

L'abbé Valentin DUFOUR.

Sérurier est la vraie orthographe du nom du maréchal, c'est ainsi qu'il signait; M. Lallemand le constate et le Constitutionnel a suivi la même version, qui est la bonne.

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LA VIE ET LE RÊVE, poésies, par le marquis Eugène de MONTLAUR. Paris, Aubry, 1864, un vol. in-48, papier vergé.

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Des études sérieuses de critique, d'histoire et de politique, des œuvres littéraires publiées dans diverses revues et réunies ensuite par l'auteur, ont donné à M. le marquis de Montlaur une place éminente dans la littérature. Il vient aujourd'hui, cet infatigable moissonneur de la pensée, poser sur sa gerbe d'épis un gracieux bouquet de fleurs. J'ai lu presque d'une haleine, sans fatigue et toujours avec plaisir, l'aimable livre de M. de Montlaur. Par le temps de poésie échevelée qui court, c'est chose assez rare qu'une muse douce et pure, dont les chants charment à l'égal du murmure d'un ruisseau dans les bois : O fons Blandusiæ, splendidior vitro !

Je pourrais bien reprocher à M. de Montlaur quelques taches oubliées, et des imperfections plutôt encore que des taches; un manque de suite dans les idées qui jette un peu d'embarras dans deux ou trois passages; mais, en ôtant au ruisseau ses cailloux, on risquerait de lui ôter aussi ses doux murmures.

J'aime mieux signaler çà et là de ces pièces qui font monter un soupir au cœur ou jaillir une larme des yeux, telles que: DESPERANZA, SUR UNE TOMBE DOULEUR, CACHÉE, RICORDANZA; d'autres d'une suavité charmante et qui révèlent un sentiment profond de la nature et de Dieu: AMIGA SILENTIA LUNE, AU SOMMET DES ALPES, etc. ; d'autres enfin sont inspirées par des souvenirs d'histoire, de voyage, de tableaux étudiés avec l'œil de l'artiste et vivement reproduits à la pensée, dans un style brillant et coloré.

Mais je n'ai voulu que donner l'idée à d'autres de lire le livre qui m'a charmé. Je vais, pour les tenter davantage, en détacher un feuillet, comme on prend au hasard une cerise dans un panier.

LE VOYAGE.

J'ai voyagé souvent sur les ailes des rêves;
J'ai vu bien des pays lointains et merveilleux :
Des flots d'argent roulaient sur le sable des grèves;
Des églises dressaient leurs flèches dans les cieux.
Dans des cadres d'or fin, enrichis de topazes,
Des vierges m'ont souri de leurs lèvres de miel;
Ni Sassoferrato, ni le grand Raphaël,

Ne peignirent ainsi, même aux heures d'extases.

De doux parfums montaient des buissons du chemin ;
Au bout de tout brin d'herbe il croissait une rose;

Les paysans chantaient des airs de Cimarose,
Et les enfants dansaient se tenant par la main.

O poésie! ainsi quand ton souffle m'emporte,
Le siècle furieux, dans sa marche indompté,
Hurlant et blasphémant, en vain frappe à ma porte,
Je voyage avec toi dans un monde enchanté !

Ne serait-il pas à propos d'ajouter, à l'adresse des bibliophiles, que le livre est coquet, imprimé en caractères elzéviriens sur beau papier vergé de Hollande et tiré à très-petit nombre.

Prosper BLANCHEMAIN.

CHRONIQUES DE SAINT MATHURIN DE LARCHANT, en Gastinais, par Émile BELLIEr de la ChavigneRIE 1.

En lisant avec un vif intérêt ces chroniques rédigées par un de nos contemporains sur l'histoire d'une petite ville du Gastinais, célèbre autrefois et presque oubliée aujourd'hui, je me suis rappelé cet écrivain belge, Hoverlant de Brauwelaere, qui a passé toute sa vie à rassembler des documents relatifs à Tournay, sa ville natale, et qui a trouvé moyen de publier, dans l'espace de trente-quatre ans, cent quatorze volumes, sous le titre modeste d'Essai chronologique pour servir à l'histoire de Tournay. M. Émile Bellier de la Chavignerie n'a publié, lui, qu'une simple brochure de 130 pages, mais il aurait pu certainement donner à cette brochure les proportions d'un ouvrage en vingt-cinq volumes, s'il eût voulu mettre au jour tous les documents qu'il avait recueillis en fouillant les archives pour y découvrir les matériaux de l'histoire de Larehant. Il a eu le bon goût de savoir se borner, et les amas de notes qu'il avait tirées des parchemins et des papiers poudreux que personne n'ira remuer après lui se sont condensées dans le cadre de cette brochure, qui renferme certainement la matière de plusieurs volumes.

La ville de Larchant, qui avait au moyen âge une citadelle avec capitaine-gouverneur, des murailles et des tours, plusieurs hôpitaux, léproséries et maladreries, des marchés et des foires, n'est plus qu'un village abandonné et dépeuplé, avec une magnifique église du xve sièclé, qui tombe en ruine. Mais cette église est dédiée à saint Mathurin, un grand saint un peu déchu, auquel nos pères accordaient une impo

1 In-42 de 130 pages, avec une vue de Larchant au xvIe siècle, gravée à l'eau-forte par M. Jules de Goncourt. Chez Aubry. Prix. 3

»

sante autorité dans le ciel, lorsqu'il se mêlait naguère de guérir toutes les maladies et surtout la folie. De là, le proverbe encore usité dans le peuple « Il faut l'envoyer à Saint-Mathurin.» Cyrano de Bergerac disait dans sa comédie du Pédant joué : « Il est fol! Il doit une belle chandelle à saint Mathurin. » On venait donc, de tous les coins de la France et de tous les pays de l'Europe, au pèlerinage de Larchant, pour y brûler des chandelles devant la châsse de saint Mathurin.

M. Bellier de la Chavignerie a raconté l'histoire, ou plutôt les histoires du pèlerinage et souvent celles des pèlerins; mais il ne paraît pas avoir connu celle-ci, qui fit assez de bruit sous le règnes du roi Louis XII. Maître Évrard, organiste du roi et trésorier de Saint-Martin de Tours, était un joyeux compère, qui buvait comme un sonneur et qui laissait souvent sa raison au fond du verre; comme il devait se rendre auprès du roi qui était alors à Cléry, quelqu'un lui conseilla d'aller faire une neuvaine à Saint-Mathurin de Larchant. Maître Évrard répondit qu'il n'avait pas si grande hâte de visiter Saint-Mathurin, que de voir le roi, « à qui estoit plus tenu que à saint de paradis.» Sa punition ne se fit pas attendre: «Le benoist sainct, comme est à penser, mal content de ce parler imprévu et volage propos, pour luy monstrer un tour de baston de quoy il frappe les fols, luy donna sur la teste soubdain, et tel coup, que sens lui faillit, esprits luy troublèrent, raison luy fuit, sçavoir oublia et mode ne sut. » Maître Évrard, devenu fou furieux, prit un épieu d'une main et une dague de l'autre et jura qu'il tuerait quiconque voudrait l'approcher. Les archers de la garde du roi accourent avec leurs hallebardes, se saisissent du pauvre insensé, le désarment et le lient. « Ce fait fut mené, tout enferré, à son voyage à SainctMathurin, et là fit sa neuvaine si à poinct, que le bon sainct oublia le meffaict du défaillant et envers Dieu grâce impetra de guérison.» Voilà un beau miracle dont Jean d'Auton se porte garant (voy. l'édition que j'ai publiée de ses Chroniques, t. II, p. 243 et suiv.), et qui fit sans doute beaucoup d'honneur à saint Mathurin de Larchant.

Je suis tout surpris de citer un fait relatif à Larchant, que M. Bellier de la Chavignerie n'ait pas signalé avant moi, car il a consacré plusieurs années à glaner çà et là dans le vaste champ des livres imprimés et des manuscrits, et il peut dire aux écrivains qui effleurent à peine les sujets qu'ils traitent : « Le sujet le plus minime en apparence, quand il est élaboré et approfondi soigneusement, grandit et se développe de manière à fournir une mine inépuisable de détails neufs et curieux. » Mais il faut savoir se borner; c'est pourquoi M. Bellier de la Chavignerie s'est renfermé dans les limites d'une brochure. Il n'a pas négligé cependant d'ajouter aux chroniques de la ville de Larchant

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