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Jean III des priviléges que lui méritaient sa rare culture intellectuelle et sa vie honorable; mais il est certain que c'était comme gentilhomme de haute naissance qu'il était environné de considérations. Il n'avait pas fait assez pour la gloire comme soldat, et l'on ignorait pour ainsi dire ce qu'il était, comme poëte; car son titre véritable à la réputation littéraire ne parut qu'après sa mort. De son vivant Corte-Real était donc un seigneur d'une réelle distinction, ayant payé à son pays par, quelques expéditions heureuses le tribut que le siècle exigeait encore des jeunes gentilshommes portugais, et se délassant de ses voyages par la culture de la poésie ou celle des beaux-arts. Deux ans après l'apparition des Lusiades on pouvait lire déjà sans doute son second poëme de Diù; mais quelques passages énergiques ne suffisaient point pour lutter avec les magnificences du poëme national, et lorsque l'Austriada parut, en 1577, un an précisément avant la chute de D. Sébastien, ce chant épique, quelque peu monotone, écrit d'ailleurs en espagnol, n'eut guère de succès qu'auprès de quelques littérateurs de profession ou à la cour de Philippe II. Comme s'il eût voulu faire oublier l'hommage qu'il avait rendu à l'Espagne, Corte-Real se plaisait à montrer une suite de dessins dans lesquels il avait représenté les phases les plus brillantes du siége mémorable déjà chanté par lui (1); et s'il se consacrait à la grande peinture religieuse, c'était pour orner les églises de son pays. Un souvenir touchant, conservé dans sa famille, le rendit tout entier aux gloires du Portugal, et lui donna une renommée posthume, qui va toujours grandissant.

mes, en oubliant malheureusement que la pensée chrétienne suffit à la grandeur du sacrifice et repousse toute pompe étrangère.

Corte-Real savait tout le mérite de son œuvre; son gendre, qui tira ce poëme touchant de l'oubli, aime à le répéter. « C'était, disait l'auteur de l'Austriada, ce qu'il avait fait de mieux; et toutefois il ne le publia point, il le réserva pour les lectures intimes de la famille. » L'année fatale de 1580 avait sonné depuis longtemps, et peut-être pensa-t-il qu'au milieu du deuil de son pays toute gloire littéraire devenait frivole: il se tut noblement. Loin de se prévaloir du poëme qu'il avait composé naguère en l'honneur du frère de Philippe II, Corte-Real s'était retiré dans ses terres d'Evora, aussitôt après l'invasion espagnole; il y vécut dans une paix profonde. Mais quelques mots d'une épître dédicatoire donnent à supposer qu'il y avait chez lui un profond attachement pour la maison de Bragance. Après sa mort, dont nous ne savons pas même la date précise, ce fut au duc de Bragance que le gendre même de l'auteur, Antonio de Souza, crut devoir dédier le Naufrage de Sepulveda : c'était à cette époque une double preuve de patriotisme et de courage. La première édition, qui est devenue pour ainsi dire introuvable, parut sous le titre suivant : Navfragio e lastimoso-svccesso da perdiçam de Manoel de Souza de Sepulueda e dona Lianor de Sà, sua molher, e filhos, vindo da India para este reyno na nao chamada o Galião Grande S. João, que se perdeo no cabo de Boa Esperança, na terra do Natal; perigrinação que tiverão rodeando terras de Cafres, mais de 300 legoas tè sua morte, etc., etc.; Lisboa, Simão Lopes, 1594, pet. in-4°.

E a

Les temps malheureux qui suivirent l'apparition de ce beau livre expliquent suffisamment pourquoi il resta si longtemps sans être réimprimé. Parmi les éditions que l'on en donna par la suite, nous signalons comme l'une des plus correctes celle de Lisbonne, 1849, 2 vol. in-32. C'est en grande partie la reproduction du texte primitif. Le poëme entier a été traduit en français par M. Ortaire Fournier; Paris, 1848, in-8° (1).

Obéissant à un amour profond, qui, dit-on, ne diminua jamais, Corte-Real avait épousé une jeune dame, de l'une des familles les plus distinguées de Goa. Dona Luisa de Sylva l'entretenait fréquemment d'un déplorable naufrage durant lequel elle avait perdu sa parente,' la belle Lianor de Sà. Lui-même, dit-on, il avait visité les régions désolées où s'était accompli le trépas douloureux de la jeune mère et de ses deux enfants'; il résolut de consacrer son talent poétique, déjà apprécié mais peu populaire, au récit d'un événement circulant dans toutes les bouches et encore présent à toutes les mémoires. Ce fut alors qu'en unissant les événements mémorables de l'Inde aux annales de sa famille, il composa pieusement, et dans le recueillement de la solitude, un poëme uniquement consacré d'abord à rendre plus vivants les souvenirs d'une femme qu'il aimait tendrement. Trois siècles avant Bernardin de Saint-Pierre, et en peignant aussi les plages de l'Afrique, il consacra à la pudeur qui triom-fielmente copiado da ediçam de 1574, por phe des terreurs de la mort quelques vers subli

(1) C'est lui-même qui nous fait connaître l'existence de ces dessins consacrés au siége de Diu; ses peintures religieuses ornaient jadis la chapelle das Alinas, paroisse de San-Antão, à Évora. On faisait voir encore au dixhuitième siècle un Saint Michel dû à son pinceau.

Nous connaissons deux éditions du premier ouvrage portugais publié par Corte-Real; il fut d'abord intitulé: A verdadeira Historia do segundo cerco de Diu; Lisboa, 1574, in-4°. La seconde porte au titre : Svccesso do segundo cerco de Div. Estando Dom Joham Mascarenhas por capitam da Fortaleza, anno de 1546,

Bento José de Souza Farinha; Lisboa, Thaddeo Ferreira, 1784, pet. in-8° esp. Il y a dans ce poëme quelques tableaux d'une grande vérité,

(1) Il a été aussi trad. en espagnol par Francisco Contrecas, sous le titre de Nave tragica de India de Portugal; Madrid, 1624, et dédié à Lope de Vega.

dont Simonde de Sismondi a signalé l'élévation et l'énergie.

que Cortes en est l'auteur; » puis, au grand chagrin ¦ de ses parents, il revint au logis, mener une vie cisive et turbulente. Se sentant un penchant tout particulier pour la carrière des armes, ou plutôt pour la vie aventureuse du soldat, il songea vers dix-sept ans à s'enrôler sous la bannière de Gonsalve de Cordoue; il se décida ensuite à partir pour le Nouveau Monde avec Nicolas de Ovando, successeur de Colomb. Une chute qu'il fit en escaladant un mur, dans un rendez-vous d'amour, le retint au lit jusque après le départ de l'expédition d'Ovando, et le força d'attendre deux ans encore une nouvelle occasion. Enfin, en 1504, il s'embarqua sur une petite flotte marchande, et dit adieu au rivage natal, l'année même de la mort d'Isabelle la Catholique.

Arrivé à Hispaniola, après une traversée orageuse, il se rendit à l'instant chez le gouverneur, qu'il avait connu personnellement en Espagne. Ovando était absent pour une expédition dans l'intérieur; son secrétaire reçut le jeune aventurier avec bienveillance, et lui assura qu'il obtiendrait sans peine une importante concession de terre. « Je viens pour trouver de l'or, repliqua Cortés, et non pour labourer la terre comme un

De tous les ouvrages de Corte-Real, le moins estimé, et, il faut le dire, le moins connu, est celui qu'il écrivit en espagnol au temps de la chute da Portugal. Dès 1576 le poëte l'avait dédié à Philippe; et après son apparition non-seulement n'alla pas en Espagne, mais il protesta par d'autres poëmes, restés inédits, contre toute idee de servilisme. Son Austriada est intitulée: Felicissima victoria concedida del cielo al señor D. Juan de Austria, en el golfo de Lepanto, de la poderosa armada othomana, en el ano de nuestra salvacion de 1572; Lisboa, Antonio Ribeiro, 1578, in-4°. De fausses indications bibliographiques nous avaient fait répéter à tort que ce poëme en XV chants avait été réimprimé en 1577 pour la deuxieme fois. Les œuvres de ce poëte éminent devraient être enfin réunies: on pourrait alors y joindre plusieurs ouvrages manuscrits dont, grâce à Barbosa Machado, il serait encore possible de trouver la trace; le plus important est intitulé : Perdição del rey D. Sebastião em Africa e das calamidades que se seguirão a este reyno. A la mort de l'auteur, ce poëme avait plu-paysan. I accepta cependant, en attendant sieurs chants, et il n'est guère probable qu'on en ait perdu toutes les copies. - Nous citerons encore: Elegia a huma dama illustre natural de Evora, dont une portion a paru dans la première partie de la Monarchia portugueza de Brito. - Le dernier ouvrage inédit de CorteReal avait été probablement écrit en prose; c'est l'Epilogo de capitaens insignes portuquezes, une sorte de Plutarque portugais, qui aurait offert un vif intérêt, écrit par un homme de cette haute intelligence et que ses voyages avaient dû conduire sur le théâtre de tant de grandes actions. FERDINAND DENIS.

Simonde

Barbosa Machado, Bibliotheca lusitana, de Sismondi, Histoire de la littérature du midi de l'Europe. Bouterweck, Geschichte, etc., - Ferdinand Denis, Chroniques chevaleresques de l'Espagne et du Portugal, t. II; Résumé de l'histoire litteraire du Portugal et du Brésil; in-18. - Le comte A. Raczynski, Dictionnaire historico-artistique du Portugal; Paris, 1847, in-8°.

CORTÉS OU CORTEZ (Fernand), le plus grand des hardis aventuriers ou conquistadores qui, au seizième siècle, fondèrent la domination espagnole en Amérique, naquit à Medellin, en 1485, et mourut à Castilleja de la Cuesta, près de Séville, le 2 décembre 1547. Il était fils de Martin Cortés de Monroy, gentilhomme peu fortuné, mais fort honorable, et de doña Catalina Pizarro Altamirano. Cortés avait, dit-on, dans sa jeunesse une constitution faible, mais qui se fortifia avec l'âge. A quatorze ans, il fut envoyé à Salamanque par son père, qui le destinait à la profession de légiste. Le jeune homme ne répondit pas aux vues paternelles. Dans un séjour de deux ans au collége, il fit une petite provision de latin, apprit à écrire en bonne prose et même à tourner des vers « de quelque mérite, dit Argensola, si l'on considère

mieux, une concession de terre avec un repartimiento d'Indiens, et fut nommé notaire de la ville ou de l'établissement d'Acua. Malgré ces graves fonctions, il consacrait une grande partie de son temps à des intrigues amoureuses, à des duels, et à des expéditions contre les indigènes. Ce fut sous les ordres du lieutenant d'Ovando, Diego Velasquez, que Cortés, s'initiant à la sauvage tactique des guerriers indiens, se familiarisa avec la fatigue, avec le danger, et malheureusement aussi avec les actes de cruauté qui souillèrent trop souvent les exploits des Espagnols dans le Nouveau Monde. En 1511, lorsque Velasquez entreprit la conquête de l'île de Cuba, Cortés le suivit ; sans montrer dès lors les grandes qualités qu'il devait déployer dans la suite, il se fit remarquer par son activité, son courage, ses manières cordiales et ouvertes, sa bonne humeur et ses vives saillies. Après la soumission de l'île, il paraît avoir joui d'une grande faveur auprès de Velasquez, qui venait d'en être nommé gouverneur. Selon Las Casas, ce dernier le choisit pour un de ses secrétaires. Une de ces affaires d'amour qui avaient déjà plus d'une fois compromis la position et la vie de Cortès vint le brouiller avec son protecteur.

Cortés avait fait à Catalina de Xuarez, jeune fille fort belle, mais de fortune médiocre et de noblesse au moins doutouse, une promesse de mariage qu'il ne se pressait point de tenir. Velasquez voulut l'y contraindre; et Cortès, pour se dérober à ses instances, se lia avec les nombreux mécontents de Cuba, et offrit d'aller exposer leurs griefs contre le gouverneur aux autorités supérieures d'Hispaniola. Velasquez, averti du complot, fit saisir son ingrat secrétaire; on assure

même qu'il l'aurait fait pendre sans l'intervention de quelques amis. Cortés, jeté dans les fers, s'échappa deux fois, fut deux fois repris, et ne recouvra la liberté qu'en épousant Catalina Xuarez. Sans être rétabli dans ses fonctions de secrétaire, il reçut un considérable repartimiento d'Indiens et un vaste territoire dans le voisinage de SantIago. Il fut bientôt nommé alcade de cette ville. Vivant presque toujours dans ses terres, il s'occupa d'agriculture avec plus de zèle qu'autrefois, et enrichit sa plantation de plusieurs espèces de bétail. Il ne négligea pas non plus l'exploitation des mines d'or tombées dans son lot. Il amassa ainsi en peu d'années trois mille castellanos, somme considérable dans sa position. « Dieu seul sait ce qu'il en coûta de vies indiennes! s'écrie LasCasas; et il lui en demandera compte! » Telle était l'existence de Cortés lorsque Alvarado rapporta la nouvelle des découvertes de Grijalva et les riches produits de son trafic avec les indigènes. Le gouverneur, décidé à poursuivre les nouvelles découvertes avec un armement considérable, ne cherchait qu'un homme assez riche pour partager les frais de l'expédition et capable de la commander. Il crut trouver l'un et l'autre dans Cortés, et le mandant au palais, il lui annonça son intention de le créer capitaine général de son armada.

A compter de ce jour la conduite de Cortés subit un changement complet. Ses idées se concentrèrent toutes sur un grand objet : il avait atteint le but constant de ses voeux. Désormais son ambition ne serait plus renfermée dans les limites d'une petite île. Il allait paraître sur un théâtre nouveau, avec une complète indépendance d'action. La perspective qui s'ouvrait devant lui était de nature à enflammer la double soif d'or et de renommée commune à tous les aventuriers du temps. Il consacra sa fortune à l'équipement d'une flotte, composée de six vaisseaux, dont plusieurs de grandes dimensions. Trois cents volontaires s'enrôlèrent en peu de jours, impatients de chercher fortune sous la bannière d'un chef hardi et populaire. Les instructions que Velasquez donna à son lieutenant ne furent point dictées par un esprit mercenaire. Le premier objet du voyage était de rejoindre Grijalva. Les deux commandants devaient ensuite agir de concert. Cordova, au retour de sa première visite au Yucatan, avait apporté la nouvelle que six chrétiens étaient retenus captifs dans l'intérieur du pays. On supposait qu'ils devaient être compagnons de l'infortuné Nicuessa. L'ordre était donné de les découvrir, s'il était possible. Mais le but principal de l'expédition étant de nouer des relations de commerce avec les indigènes, il fallait éviter de leur faire aucun tort et les traiter avec douceur et humanité. Cortés ne devait pas oublier que le roi d'Espagne avait sur emur la conversion des Indiens. Il irer une haute idée de la grané de son royal maître, en les

invitant « à reconnaître sa suzeraineté, et à iui faire de beaux présents d'or, de perles, de pierres précieuses, afin d'obtenir, par ce témoignage de leurs bons sentiments, sa faveur et sa protection ». Il devait explorer avec soin la côte, sonder ses baies et l'embouchure de ses rivières, dans l'intérêt des futurs navigateurs; chercher à connaître les produits naturels du pays, le caractère de ses différentes races, leurs institutions, leurs progrès, et envoyer une relation détaillée de tout cela au gouverneur, avec le produit des échanges.

Un incident imprévu faillit arrêter Cortés au début de l'entreprise. Velasquez, redoutant son ambition et cédant aux conseils de quelques envieux, résolut de lui enlever le commandement de la flottille. Cortés, averti à temps, leva l'ancre; et au point du jour Velasquez, accouru sur le rivage, eut à peine le temps d'échanger quelques mots avec son lieutenant, qui fit voile aussitôt pour le port de Macaca (18 novembre 1518). De là il se dirigea vers la ville de La Trinité, où il arbora son étendard. Il fit, dans une pro clamation, les offres les plus libérales aux personnes qui consentiraient à se joindre à lui. Des volontaires accoururent de tous côtés. Il vint plus de cent soldats de Grijalva, qui, de retour à peine de leur premier voyage, brûlaient de continuer leurs découvertes sous un chef plus entreprenant. On vit aussi arriver au camp un grand nombre de cavaliers nobles, entre autres Pedro de Alvarado et ses frères Christoval de Olid, Alonzo de Avila, Juan Velasquez de Léon, proche parent du gouverneur, Alonzo Fernandez de Puertocarrero et Gonzalo de Sandoval. Cortés déploya, malgré de nouveaux obstacles suscités par Velasquez, la plus grande activité pour l'achat des vivres et des munitions et l'acquisition d'autres vaisseaux. Pendant que son lieutenant Alvarado se dirigeait par terre vers La Havane avec un petit corps de soldats, Cortés s'y rendit avec sa flottille. Arrivé dans ce port, il arbora de nouveau son grand étendard de velours noir brodé d'or, portant une croix rouge au milieu de flammes bleues et blanches, et au-dessous cette légende, en latin : « Amis, suivons la Croix, et si nous avons la foi, nous vaincrons par ce signe. » Les préparatifs n'étaient pas encore achevés à La Havane, quand le commandant de la ville, don Pedro Barba, reçut à son tour de Velasquez l'ordre d'arrêter Cortés et de s'opposer au départ des vaisseaux. Cet officier n'avait ni la volonté ni le pouvoir d'exécuter un pareil ordre, et le 10 février 1519 la petite escadre leva l'ancre, et se dirigea vers le cap Saint-Antoine, lieu du rendez-vous. Quand tous les vaisseaux furent réunis, leur nombre s'élevait a onze. Celui que montait Cortés était de cent tonneaux; il y en avait trois autres, de soixante-dix à quatre-vingts; le reste se composait de caravelles et de brigantins non pontés. La flottille entière fut placée sous la direction d'Antonio Ala

minos, vieux marin, le pilote de Colomb dans
son dernier voyage, ainsi que celui de Cordova
et de Grijalva, dans les premières expéditions
du Yucatan. Débarqué au cap Saint-Antonio, Cor-
tés y passa la revue de ses forces; elles se mon-
taient à cent dix marins, cinq cent cinquante-
trois soldats, dont trente-deux arbalétriers et
treize arquebusiers, sans compter deux cents In-
diens de l'ile, et quelques femmes indiennes pour
les travaux domestiques. L'armée avait dix pièces
de canon, quatre fauconneaux, et d'abondantes
munitions. On s'était procuré avec beaucoup de
peine, et à des prix fabuleux, les seize chevaux
qui formaient toute la cavalerie de l'expédition.
Avant de s'embarquer, Cortés adressa une courte
et chaleureuse barangue à ses soldats. Il toucha
les cordes les plus sensibles chez les aventuriers
d'alors, l'ambition, l'avarice, le zèle religieux.
Son discours fut accueilli par d'unanimes accla-
mations. On célébra la messe. La flotte, placée
sous la protection immédiate de saint Pierre,
patron de Cortés, leva de nouveau l'ancre, et
fit voile, le 18 février 1519, pour la côte du
Yucatan.

Cortés suivit la même route que Grijalva,
aborda dans l'île de Cozumel, où il recueillit un
Espagnol nommé Aguilar, prisonnier depuis long-
temps chez les Indiens, et qui servit d'interprète
à ses compatriotes, et alla jeter l'ancre à l'em-
bouchure de la rivière de Tabasco. Il s'y trouva
en présence de ses premiers ennemis. Pour s'em-
parer de Tabasco, il dut livrer deux batailles,
dont la seconde surtout (18 mars 1519), long-
temps disputée, se termina par la déroute et la
Soumission des Indiens. Ceux-ci se reconnurent
vassaux de la couronne d'Espagne, et promirent
l'embrasser la religion catholique, Entre autres
résents, ils offrirent vingt jeunes filles, toutes
lies, annoncées comme fort habiles dans les
avaux du ménage, surtout dans l'art de faire
u pain de maïs. Ces jeunes Indiennes furent
aptisées le jour même où Cortés changea le nom
Tabasco en celui de Santa-Maria de la Vic-
ria. L'une d'elles, qui reçut de ses nouveaux
altres le nom de Marina, devait avoir une grande
fluence sur la destinée des conquérants du
exique. Cortés quitta, au bout de quelques
irs, un pays qui ne contenait pas d'or, et alla
er l'ancre dans le port de Saint-Jean-d'Ulloa.
çu avec confiance par les Indiens, qui se rap-
laient le bon accueil de Grijalva, il apprit d'eux,
r l'intermédiaire de Marina, qu'ils étaient sujets
l'empire du Mexique. Cet empire occupait
pays qui, sous le nom d'Anahuac, s'étendait de
tlantique à l'océan Pacifique, entre les 14° et 20°
latitude nord. Au milieu de cette région, un
I plus près toutefois de la mer Pacifique que
'océan Atlantique, la célèbre vallée de Mexico,
ée à sept mille cinq cents pieds au-dessus du
eau de la mer, forme un bassin ovale, d'en-
on soixante-sept lieues de circonférence, en-
né par un haut rempart de roches porphyri-

tiques, que la nature semble avoir destinées,
mais en vain, à le garantir d'une invasion, La
plus remarquable des races qui occupèrent l'A-
nahuac est celle des Toltèques, peuple myste-
rieux, qui rappelle les Pélasges de la Grèce et de
l'Italie. Venus du nord-ouest, ils pénétrèrent dans
l'Anahuac vers le septième siècle de l'ère chré-
tienne, et y introduisirent une civilisation dont if
restait encore des vestiges au commencement
du seizième siècle. Après une période de quatres
cents ans, ils disparurent de l'Anahuac, et
furent remplacés par plusieurs tribus barbares,
dont les principales étaient les Aztèques ou
Mexicains, et les Alcothnes, plus connus sous le
le nom de Tezcucans, dérivé de leur capitale,
Tezcuco, sur le bord oriental du lac mexicain. Ces
deux tribus et le petit royaume voisin de Tlacopan
formèrent une confédération, dans laquelle les
Aztèques occupaient la première place. Au mo-
ment même de l'arrivée des Espagnols, la domi
nation de ces derniers s'étendait sur toute la
largeur du continent, de l'Atlantique à la mer Pa-
cifique. Ils possédaient une civilisation très-su-
périeure à celle des tribus errantes de l'Amérique
du Nord, mais fortement entachée de barba-
rie; leur gouvernement était despotique, avec
de vigoureuses institutions judiciaires. Leur culte
était le polythéisme. A côté de rites semblables
à ceux des chrétiens, tels que le baptême et la
confession, leur religion offrait les plus abjectes
et les plus sanguinaires superstitions, les sacri-
fices humains et même l'anthropophagie (1).
Lorsque Cortés débarqua, le 21 avril 1519 ( jour
du vendredi saint) sur la plage déserte où
s'élève aujourd'hui la ville de Vera-Cruz, les
Atzèques étaient gouvernés par Montezuma
(Moctheuzoma). Ce prince, qui avait porté an
plus haut point la puissance de l'empire mexi-
cain, avait donné de nombreuses preuves de con-
rage, d'habileté, et même de grandeur; mais il
était superstitieux, et cette faiblesse devait être
la première cause de sa perte. Après avoir établi
son camp, et l'avoir mis à l'abri d'une surprise
de la part des indigènes, Cortés entra en relations
avec leur cacique Teuhtile, par la double entre-
mise de Marina et d'Aguilar. Il demanda à vi-
siter Montezuma, et le cacique promit de trans-

(1) Les sacrifices humains furent adoptés par les Aztè-
ques vers le commencement du quatorzième siècle.
Très-rares d'abord, ils devinrent plus fréquents après
l'agrandissement de l'empire, et finirent par souiller
toutes les cérémonies religieuses: on immolait tous les
prisonniers de guerre; on sacrifiait aussi des enfants. A
peine trouve-t-on un historien qui évalue a moins de
vingt mille âmes le nombre des victimes annuellement
immolées, et plusieurs portent ce nombre cinquante
mille. Lors de la dédicace du grand temple d'Huilzilopot-
chil, en 1486, soixante-dix mille captifs périrent, dit-on,
sur les autels de cette horribls divinité. Pour comble
d'horreur, le corps du prisonnier immolé était envoyé
aux guerriers qui l'avaient pris, et ceux-ci l'offraient en
festin à leurs amis. Et ce n'était pas un grossier repas de
cannibaies affamés, mais un banquet où abondaient des
breuvages délicieux, des viandes délicatement préparées;
un banquet où les deux sexes prenaient place et se com-
portaient avec le plus grand décorum.

mettre la demande à son souverain : c'était le jour
de Pâques. L'entrevue, commencée par la célé-
bration de la messe, se termina par une collation
et un échange de présents.

Les premiers rapports des conquérants et de
leurs futures victimes furent tout pacifiques, et
les Indiens soulagèrent de leur mieux les Es-
pagnols, accablés de chaleur sur la plage mal-
saine et brûlante de la Terra Caliente. Au bout
de sept à huit jours, des ambassadeurs aztèques
rapportèrent la réponse de Montezuma : il en-
voyait de magnifiques présents aux étrangers, et
leur interdisait sa capitale; c'était leur révéler à
la fois son opulence et sa faiblesse. Cortés ren-
voya les ambassadeurs avec quelques légers
présents et en demandant de nouveau avec ins-
tance la permission de se rendre à Mexico. Au
bout de dix jours les ambassadeurs revinrent
avec de nouveaux présents et la défense formelle
d'approcher de la capitale. Cortés reçut cet ordre
avec une feinte soumission, et se prépara à em-
porter de force ce qu'on lui refusait de bonne
grâce.

Il commença par fonder la colonie de Villa-
Ricca de la Vera-Cruz, et se fit décerner par la
municipalité de la nouvelle ville les titres de ca-
pitaine général et grand-juge de la colonie, avec
le cinquième de l'or et de l'argent qu'on pourrait
acquérir par commerce ou conquête. Il se dirigea
ensuite sur Cempoalla, dont les habitants, les
Totonaques, récemment conquis par les Aztèques
et impatients de secouer le joug, lui avaient en-
voyé des ambassadeurs. Cortés comprit que
pour renverser l'empire des Aztèques il fallait
soulever contre eux les peuples qu'ils avaient
soumis et qu'ils opprimaient. En conséquence,
il décida les Totonaques à ne plus payer tribut
à Montezuma et à se placer sous la protection de
l'Espagne. Il répondit d'une manière évasive à
une troisième ambassade de Montezuma, qui lui
apportait avec des présents l'ordre de partir, et
renversa les idoles à Cempoalla, comme il l'avait
fait à Cozumel. Les Totonaques, voyant leurs
divinités incapables de se défendre contre la
profanation, concurent une triste opinion du pou-
voir de ces dieux, comparé à celui des mysté-
rieux étrangers, et ce mépris pour leurs propres
idoles les rendit dociles aux prédications des
conquérants. Cortés, craignant que Velasquez
essayât de le perdre auprès de la cour d'Espa-
gne, prit les devants, et expédia à Charles-
Quint un navire qui, avec un riche présent,
portait au monarque une lettre qui s'est perdue,
mais dont on connaît la substance et qui conte-
nait le récit des débuts et des premiers résul-
tats de l'expédition. Ce vaisseau, conduit par
Alaminos, mit à la voile le 26 juillet.

| nouvelles défections, il résolut de fermer ce
refuge à tout le monde. Sous prétexte que sa
flotte, avariée par des coups de vent et rongée
par les vers, était hors d'état de soutenir la mer,
il ordonna de couler bas tous les vaisseaux qui
la composaient, moins un petit bâtiment. La
destruction de la flotte est regardée avec raison
comme un des actes les plus audacieux de Cor-
tés, et qui rappelle Agathocle en Afrique. Le
succès en a fait une action héroïque : en cas d'é-
chec, elle eût passé pour un trait de folie. Cette
destruction avait d'ailleurs l'avantage immédiat de
rendre disponibles les cent hommes d'équipage.

Pendant que Cortés prenait ses précautions
contre un danger éloigné, un complot se formait
dans son propre camp. Il le réprima sévèrement
et facilement; mais, persuadé que tant que le re-
a serait possible il aurait à craindre de

Cortés, laissant une garnison de cent cinquante
hommes environ dans Vera-Cruz, sous le com-
mandement de Juan de Escalante, partit de Cem-
poalla le 16 août 1519, avec une armée composée
de quatre cents fantassins et quinze cavaliers, avec
sept pièces de canon; de treize cents guerriers in-
diens auxiliaires, et mille Tamanes pour trainer
les canons et transporter le bagage. Après une
quinzaine de jours de marche, l'armée espagnole
arriva sur le territoire de la petite et vaillante
république de Tlascala, qui depuis plusieurs
siècles maintenait son indépendance contre toutes
les forces du Mexique. Entourée de tous côtés
d'ennemis, étroitement bloquée par eux, elle n'a-
vait qu'une existence précaire; mais il lui restait
encore de nombreuses ressources, et elle étai
forte surtout par le caractère indomptable de ses
habitants. Aucune alliance ne pouvait être plus
utile aux Espagnols. Les Tlascalans, alarmés pour
leur indépendance, ne songèrent d'abord qu'à re-
pousser les étrangers qui avaient envahi leur
territoire. Le 22 septembre les quatre cents
Espagnols et leurs Indiens auxiliaires, au nombre
de trois mille, eurent à combattre trente mille
Tlascalans. La supériorité des armes et de la
tactique des Européens leur assura la victoire.
Ils marchèrent sur la ville de Tlascala; mais il
leur fallut livrer une nouvelle bataille, le 5 sep-
tembre: Peut-être auraient-ils été vaincus si la
discorde et la désertion ne s'étaient inises
dans les rangs de leurs ennemis. Xicotencat!,
général des Tlascalans, fut forcé d'accepter la
paix; et le 23 septembre 1519 les Espagnols
firent leur entrée dans Tlascala, au milieu de
l'enthousiasme général, car ces vaillants répu-
blicains voyaient dans les étrangers non plus
des ennemis, mais des libérateurs et des ven-
geurs. Ces événements produisirent une pro-
fonde impression sur Montezuma. Depuis quel-
ques années ce prince laissait à ses capitaines le
commandement de ses troupes, pour se livrer
tout entier aux fonctions sacerdotales. Il consul-
tait les oracles dans les moindres circonstances,
et cherchait à se rendre les dieux propices par
des hécatombes humaines. Une tradition surtout
l'inquiétait : Quetzalcoatl, la divinité bienfaisante,
au teint blanc, à la barbe flottante, après avoir
rempli sa mission de paix parmi les Aztèques,
s'était embarqué sur l'Atlantique pour les inys-

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