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BL3 R4

REVUE

UNIV. OF

DE

L'HISTOIRE DES RELIGIONS

INTRODUCTION

Le titre de la Revue définit à lui seul son objet avec toute la précision désirable. Dans le vaste domaine de l'histoire, nous avons fait choix d'un champ particulier, dont l'étude nous occupera exclusivement.

Les travaux relatifs à l'histoire des religions anciennes n'ont point chez nous d'organe régulier. Un certain nombre de recueils périodiques: philologiques, artistiques, littéraires, philosophiques, leur accordent, à l'occasion, une hospitalité dont leurs auteurs n'ont qu'à se louer, mais qui donne lieu à une dispersion, à un émiettement regrettables. Nous citerons particulièrement le Journal asiatique, pour les études relatives à l'Orient; la Revue archéologique, pour les études relatives à la mythologie classique; la Revue critique, pour la bibliographie scientifique. A mesure que les recherches d'histoire religieuse prennent plus de développement, elles sentent le besoin de se concentrer dans une publication qui leur soit propre. Nous voudrions leur offrir ce terrain de ren

contre commune.

I

Ce n'est pas que nous songions à détacher ces travaux de leur base philologique. Sans philologie, il n'est point d'études historiques dignes de ce nom, et, par conséquent, point

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d'études d'histoire religieuse, point d'hiérographie (qu'on nous permette d'acclimater cette expression plus brève et plus précise) solide et satisfaisante. Ce n'est point ici une question de méthode, mais une question de division du travail. Tant que le substratum philologique de la connaissance d'un peuple de l'antiquité, sous les différentes faces de son activité, n'est point établi avec rigueur, il serait dangereux de s'en détacher. Toute construction qui s'élèverait sur des bases mal affermies manquerait de la première condition d'un travail utile, la sécurité, ou si l'on préfère, la probabilitė suffisante. Les linguistes sourient et ils ont raison des généralisations hâtives que présentent sans hésitation des écrivains non accoutumés à l'examen de détail des textes et des monuments authentiques. Sera-t-il permis de rappeler, en revanche, que les plus audacieux et les plus systématiques d'entre ces auteurs étaient parfois des philologues, auxquels manquait une vue plus large, un sentiment précis des grandes lignes de l'histoire religieuse?

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Nous n'avons donc nulle prévention contre la philologie quand nous pensons qu'une revue de l'histoire des religions peut s'établir, qui abandonne à des recueils spéciaux la discussion des textes; l'interprétation des monuments de l'Inde, de la Perse, de l'Assyrie, de l'Égypte, de la Phénicie a pris rang parmi les sciences établies, et nos constructions peuvent s'appuyer sur un terrain résistant. Nous croyons au contraire répondre à un besoin généralement ressenti dans les cercles savants, tous les premiers, en donnant à l'hiérographie l'organe spécial qui lui a fait défaut jusqu'à ce jour; nous espérons que l'on voudra accueillir avec quelque sympathie et quelque bienveillance la tentative que nous faisons d'établir ainsi un échange régulier, soit entre les spécialistes, souvent séparés par les barrières hérissées des idiômes antiques, soit entre ces derniers et le public. Il nous semble plus nécessaire, plus utile, de justifier la résolution que nous avons prise de traiter concurremment deux études que l'on s'est jusqu'ici habitué à séparer, à savoir celles auxquelles on

donne de préférence le nom de mythologie comparée et les études qui ressortissent à la critique biblique.

Il y a là, en effet, dans le vaste domaine de l'histoire religieuse, deux champs qui ont été abordés le plus souvent d'une manière très différente et avec des intentions également diverses: l'un, le terrain de la science profane; l'autre, le terrain de la science sacrée. Il va sans dire que ces désignations, dont l'usage tend à disparaître d'ailleurs, n'ont qu'une valeur relative, puisque, aux Indes, à Constantinople, en Chine, la littérature sacrée comprend des livres que nous mettons au rang des profanes, et que ceux auxquels nous décernons ce brevet d'estime particulière sont ramenés aux simples conditions humaines par les adhérents de religions dont les sectateurs se comptent par centaines de millions. Il n'est donc pas besoin d'une longue comparaison pour sentir tout ce qu'aurait d'artificiel un classement fondé sur des données aussi subjectives, nous allions dire sur des données purement géographiques et locales.

Or nous appliquons sans hésitation aux religions de l'Inde et de l'Égypte les procédés exacts que l'on comprend sous le nom de règles de la critique historique. Nous scrutons les documents, nous épluchons les textes, nous contrôlons sévèrement les assertions, nous déterminons avec rigueur le point de vue des écrivains et des époques afin de redresser les lignes infléchies par le sentiment du jour, de façon à ramener à une règle générale, plus uniforme et partant plus équitable, les paroles dictées par la passion religieuse ou nationale. Devrons-nous traiter autrement les monuments qui nous renseignent sur l'histoire religieuse du Judaïsme et les origines du Christianisme? Aurons-nous deux poids et deux mesures?

Qu'on se représente les inconvénients qu'il y aurait à éli-. miner purement et simplement la Bible du champ de nos recherches! Quelle lacune dans le domaine des études sémitiques! Quoi! nous déchiffrerions péniblement le nom des dieux et des déesses qui composent le Panthéon babylonien,

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nous reconstruirions, au prix de conjectures souvent osées, la religion des Phéniciens et des Syriens, et nous laisserions de côté les textes qui nous racontent, avec un luxe et une précision sans exemple, quelles vicissitudes a subies le développement religieux dans celui des peuples sémitiques qui a donné à la religion sa forme la plus haute! Je ne sais si l'on devrait appeler terreur ou timidité le sentiment qui nous priverait ainsi des ressources qu'offre à l'histoire religieuse la précieuse collection des livres dits de l'Ancien-Testament. De toutes parts, d'ailleurs, la brèche a été faite dans cette muraille artificielle qui devait séparer à jamais le Judaïsme des autres religions sémitiques. La comparaison des idées, des formes du culte, des rites, s'est imposée avec l'insurmontable pression des choses qui sont dans la vérité et dans la justice. Qui contesterait aujourd'hui que la religion israélite ne plonge ses racines dans le polythéisme de l'Asie occidentale? Qui contesterait que la révolution qui a transporté pour un temps ses principaux représentants à Babylone et les a mis en contact successivement avec la religion des Chaldéens et celle des Perses, ne doive être prise en haute considération par l'historien des religions? Le fleuve profane et le fleuve sacré mêlent leurs eaux par tant de bras que force est de ne plus les traiter comme appartenant à deux régimes différents. Aussi bien, est-ce aujourd'hui une cause gagnée. Prétendre soustraire à l'examen critique le développement intellectuel et religieux du peuple juif sous le prétexte que les livres qui nous renseignent à son égard sont encore employés à l'édification d'un grand nombre de nos concitoyens et honorés comme tels d'une manière particulière, ne serait-ce pas précisément confondre deux choses que, pour ce qui nous concerne, notre ferme intention est de séparer absolument l'usage que telle église contemporaine fait des livres qu'il lui plaît dans une intention pieuse, la rigueur de l'étude scientifique, invariable dans l'emploi des procédés de reconstruction exacte à l'aide desquels elle reproduit, de la façon approximativement la plus vraie, l'image

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