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objet quelconque (auspicia caduca) est un présage fâcheux par lui-même; les bruits de toute nature (dirae obstrepentes) le sont également, parce qu'ils se produisent contre le grẻ de l'auspiciant et en dépit de ses précautions. Un incident semblable suffit pour « vicier » la journée, comme on disait à Rome, et pour obliger à attendre une occasion plus favorable.

Après cette première prise d'auspices, le magistrat Iguvien purifie la colline Fisienne et procède, soit par lui-même, soit par le ministère de l'augure assistant, à la délimitation du nouveau temple augural. Nous savons, par les incertitudes qui planent sur le tracé du temple étrusque, combien sont difficiles, dans l'état actuel de nos renseignements, ces questions de géométrie liturgique. Le document ombrien n'offre rien qui aide à préciser les points obscurs. Il indique la position des quatre angles du carré et les lieux que traversent les lignes idéales du temple', mais l'on ne saurait dire si ce temple est orienté par ses axes ou par ses diagonales, quelle est la position des faces antérieure et postérieure, droite et gauche, par rapport aux points cardinaux, et celle de l'augure par rapport au temple lui-même. Nous continuerons donc à supposer que l'usage ombrien, semblable à l'usage étrusque, était de tracer et d'orienter le temple par les diagonales et les angles extérieurs. C'est, du reste, de ces angles que s'occupe tout d'abord le rituel iguvien.

<< Dès que l'auspiciant a récité la formule pour la purification « de la colline, alors, qu'il limite le temple depuis l'angle « inférieur, qui est près de l'Autel Divin (Asa Deveia), jus« qu'à l'angle supérieur, qui est près des Pierres-aux« Oisillons (Lapides avieculi), et de l'angle supérieur, près << des Pierres-aux-Oisillons, jusqu'à la borne urbaine; de « l'angle inférieur, près de l'Autel-Divin, jusqu'à (l'autre?)

(1) « L'énumération des lieux qui marquent les limites extérieures du temple, dit M. Bréal (p. 49), est intraduisible: c'est un fragment du cadastre igurien que le hasard de la conservation de ces tables met devant nos yeux. >>

<< borne urbaine, et, entre les bornes urbaines, qu'il observe.'» Le sens de ces prescriptions paraît être que l'officiant doit d'abord tirer de l'angle dit inférieur à l'angle supérieur, la ligne directrice, celle que suivra le regard de l'observateur et qui divise le champ visuel en droite et gauche. Les deux autres points de repère, appelés les Bornes, joints aux premiers par des lignes droites, ferment le temple au dehors et au dedans, le divisent en partie antérieure et partie postérieure. C'est entre les deux bornes et en deçà des limites extérieures que doivent apparaître les signes célestes.

<< En deçà des limites ci-dessus spécifiées, que (l'augure) << observe l'épervier à droite, la corneille à droite; au delà de << ces limites; le pic à gauche, la pie à gauche. »

<«< Lorsque les oiseaux auront favorablement chanté, que, << restant assis sur la borne, il constate:

<< Interpellant par son nom l'auspiciant, (N. dira-t-il), je << vois l'épervier à droite, la corneille à droite, le pic à << gauche, la pie à gauche, les oiseaux volants de gauche, << les oiseaux chantants de gauche étant favorables pour toi, << pour le peuple iguvien, dans ce temple déterminé2. »

Après ce spécimen du cérémonial ombrien, les habitudes romaines n'offriront plus rien d'étrange. Nous ne serons point étonnés de voir réussir comme par enchantement la prise des auspices que l'on croirait, d'après les exigences du rituel, une opération si chanceuse. Partout, dans ces cérémonies officielles, la fiction légale remplace, au besoin, la réalité. Les présages demandés sont censés avoir été obtenus toutes les fois qu'il n'y a pas contre-indication, c'est-à-dire, que quelque signe inattendu et fâcheux ne vient point donner une marque formelle du veto divin. Aussi, le rituel n'a point à prévoir le cas où les oiseaux précités ne se présenteraient point, ni même celui où ils prendraient des positions non stipulées. La voix de l'augure annonçant que les signes

(1) Tab., VI,8.

(2) Tab., VI, 15-17.

demandés ont apparu, crée, par le fait, un présage favorable que confirme le consentement tacite des dieux.

Mais ces idées, nous les connaissons surtout par la pratique des Romains; nous ne pouvons parler de l'art augural italique sans emprunter à celui des Romains ses théories sous-entendues et jusqu'à ses expressions. Il est temps, après avoir réuni en faisceau tous les débris d'institutions. divinatoires qui n'appartiennent ni à l'Étrurie, ni à Rome, d'aborder enfin l'histoire de la divination romaine. Celle-là s'est volontairement confinée dans les auspices et en a fait un des instruments les plus merveilleux qu'ait jamais forgés la religion appliquée à l'art de gouverner les hommes.

A. BOUCHÉ-LECLERCQ.

DE LA

RELIGION JUIVE

(JUDAISME ANCIEN)

Les recherches relatives à la religion israélite reposent presque exclusivement sur les livres de la Bible (Ancien Testament). Sans une connaissance un peu précise de ceux-ci, de leur contenu, de leur composition, de leur origine, ces recherches sont absolument stériles, et, sauf de rares et honorables exceptions, ç'a été le cas chez nous jusqu'en ces dernières années. Un écrivain et un savant de premier ordre, que nous avons toujours le droit de ranger parmi nos compatriotes, vient enfin de donner aux études qui feront l'objet de ce bulletin annuel une base solide en condensant sous une forme substantielle et originale l'immense travail critique accompli depuis une centaine d'années sur les livres sacrés du judaïsme. C'est une bonne fortune pour nous d'avoir sous les yeux cette publication magistrale au moment de déterminer l'état présent des questions bibliques; il suffira à notre objet de parcourir les différents volumes de la Bible de M. Edouard Reuss, en indiquant les termes des principaux problèmes et le degré d'avancement des solutions qui s'y rapportent '.

M. Reuss a commencé par laisser de côté les divisions littéraires adoptées par les traductions usuelles ; il ne s'en est pas même tenu au classement adopté par les compilateurs du canon hébraïque, qui distribue les livres bibliques sous les trois chefs de Loi (les cinq livres de Moïse), de prophètes (les

(1) La Bible, traduction nouvelle avec introductions et commentaires par Ed. Reuss, professeur à l'Université de Strasbourg. Paris, in 8o, Sandoz et Fischbacher (Ancien Testament, 8 volumes, 1875-1879.)

livres historiques et les livres prophétiques) et écrits (Psaumes, Job, Proverbes, Daniel, etc.) Il a voulu introduire dans sa traduction une division qui répondît à l'évolution religieuse et littéraire dont les livres de la Bible marquent les différentes étapes. Il a ainsi réparti sa matière de la manière suivante : PREMIÈRE PARTIE. Histoire des Israélites, depuis la conquête de la Palestine jusqu'à l'Exil. (Livres des Juges, de Samuel et des Rois).

SECONDE PARTIE. Les Prophètes (d'après l'ordre chronologique),

TROISIÈME PARTIE. L'Histoire sainte et la Loi (Pentateuque et Josué).

QUATRIÈME PARTIE. Chronique ecclésiastique de Jérusalem (Chroniques, Esdras, Néhémie).

CINQUIÈME PARTIE. Poésie lyrique (Psaumes, Lamentations, Cantiques).

SIXIÈME PARTIE. Philosophie religieuse et morale (Job, Proverbes, Ecclésiaste, Ecclésiastique, Sapience, Contes moraux, Baruch, Manassé).

SEPTIÈME PARTIE. Littérature politique et polémique (Ruth, 1 et 2 Machabées, Daniel, Esther, Judith, 3o livre des Machabées, etc.)

L'ouvrage est précédé d'une Préface et introduction générale où l'auteur a exposé son objet et sa méthode.

Il n'est pas besoin d'être très versé dans les études hébraïques pour voir tout ce qu'il y a d'original et d'ingénieux dans cette distribution de la matière. Je ne louerai pas M. Reuss d'avoir élargi les frontières du canon hébraïque, si rigoureusement maintenues par la théologie protestante, en restituant aux livres des Machabées, de l'Ecclésiastique, de la Sapience, de Judith, etc., la place qui leur revient légitimement dans le développement de la littérature religieuse israélite; M. Reuss avait secoué un trop grand nombre des préjugés de sa naissance et de son éducation pour retenir un des moins intelligents. Mais je le louerai très haut pour cette tentative hardie de reproduire, dans la progression de sa

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