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un': l'Asura, le Seigneur, n'était pas le Seigneur à la façon d'Adonaï. Il y avait à côté de lui, en lui, nombre de dieux, ayant leur action propre et souvent leur origine indépendante. Les vents, la pluie, le tonnerre; le feu sous ses trois formes, soleil au ciel, éclair dans la nuée, feu terrestre sur l'autel; la prière sous ses deux formes, prière humaine montant de l'autel au ciel, prière céleste retentissant dans le fracas de l'orage, dans la bouche d'un prêtre divin et descendant des hauteurs dans les torrents de libation versés de la coupe du ciel; toutes les forces de la nature, concrète ou abstraite, frappant à la fois l'œil et l'imagination de l'homme, s'élevaient du même coup à la divinité. Si le dieu du ciel, plus grand dans le temps et dans l'espace, toujours présent et partout présent, s'élevait sans effort au rang suprême, porté par son double infini, d'autres, d'une action moins continue, mais plus dramatique, se révélant par des coups de théâtre subits, maintenaient leur antique indépendance, et le développement religieux pouvait amener leur usurpation sur le roi du ciel. Déjà en pleine période védique, Indra, le dieu bruyant de l'orage, monte au plus haut du Panthéon et éclipse son majestueux rival de sa splendeur retentissante.

Il est le héros favori des Rishis védiques; ils ne se lassent point de conter comment il a foudroyé le serpent du nuage qui enveloppait dans ses replis la lumière et les eaux, comment il a brisé la caverne de Çambara, délivré les Aurores et les Vaches prisonnières qui vont répandre sur la terre à torrents leurs larges flots de lumière et de lait. C'est lui qui fait reparaître le soleil, reparaître le monde annihilé dans la nuit, c'est lui qui le recrée, qui le crée. Dans toute une série

(1)J'accentuerai très volontiers cette réserve en reproduisant les observations si justes de M. Barth (page 118 de ce volume): « Cette hiérarchie, ce monothéisme relatif n'était pas aussi net dans la conscience des hommes... Dans la pratique surtout, comme on le voit par les chants du Veda, il paraît avoir été fort voilé. Ces vieux adorateurs n'avaient pas le regard constamment fixé sur leurs Olympiens. A côté de cette religion céleste, il y en avait notamment une autre, toute d'actes et de rites, une sorte de religion de l'opus operatum, qui n'avait pas toutes ses racines dans la première, qui probablement ne lui a jamais été subordonnée. »

d'hymnes il monte aux côtés de Varuna et partage avec lui l'empire enfin il monte au-dessus de lui et devient le roi universel:

<< Celui qui, une fois né, aussitôt, dieu de pensée, a dépassé les dieux par la force de son intelligence, au frémissement duquel ont tremblé les deux mondes, à la puissance de sa virilité, -ô hommes, c'est Indra!

<«< Celui qui a fixé la terre chancelante, arrêté les montagnes branlantes, celui qui a donné ses dimensions à la large atmosphère, celui qui a étayẻ le ciel, ô hommes, c'est Indra!

<< Celui qui, ayant tué le Serpent, a lâché les sept rivières, celui qui a fait sortir les vaches de la cachette de la caverne, celui qui au choc des deux pierres a engendré Agni, ô hommes, c'est Indra!

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<< Celui par qui ont été faites toutes ces grandes choses, celui qui a abattu, forcé à se cacher la race démoniaque, qui, comme un joueur heureux, gagnant au jeu, enlève ses biens à l'impie, ô hommes, c'est Indra!

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« Quand on dit de lui où est-il? de l'impie qui répond: << il n'est pas » il enlève les biens comme le fait le dé vainqueur; croyez en lui, -ô hommes, c'est Indra!

<< Celui qui anime et le riche et le maigre, et le prêtre son chantre qui l'implore, le dieu aux belles œuvres, dieu protecteur à qui joint les pierres pour presser le Soma, ô hommes, c'est Indra!

<< Celui qui a dans sa main les troupeaux de chevaux et de vaches, qui les villes, qui les chars guerriers, celui qui a créé le soleil et l'aurore, celui qui conduit les eaux, - ô hommes, c'est Indra!

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<< Celui qu'invoquent les deux armées qui se choquent, ennemis des deux parts, triomphant, succombant, que sur le même char où ils se rencontrent dans l'assaut ils invoquent l'un contre l'autre, ô hommes, c'est Indra.

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<< Celui qui a découvert Çambara dans les montagnes où il s'était caché quarante années, celui qui a tué le serpent dans

tout le déploiement de sa force, qui l'a fait tomber mort sur Dânu', -ô hommes, c'est Indra!

<< Celui qui, puissant taureau, armé de sept rayons, a lâché, fait courir les sept rivières, qui foudre en main a foulé aux pieds le Rohina escaladant le ciel, ô hommes, c'est Indra!

<< La terre et le ciel devant lui s'inclinent, à son frémissement les montagnes tremblent; le buveur de Soma, voyez-le, la foudre au bras,la foudre en main,— ô hommes,c'est Indra3.» Mais l'usurpateur ne jouit pas longtemps de son triomphe: en pleine victoire, il est déjà mordu au cœur, frappé de mort par une nouvelle et mystique puissance qui croît à ses côtés, celle de la prière, du sacrifice, du culte, celle du Brahman, dont le règne commence à poindre à la fin de la période védique et aujourd'hui dure encore.

Ce qu'Indra a fait dans l'Inde dans une période historique, Perkun et Odin l'ont fait dans une période préhistorique, l'un chez les Lituaniens, l'autre chez les Germains. Perkun et Odin sont l'Indra de ces deux peuples et ont détrôné chez eux le dieu du ciel. Perkun était le dieu du tonnerre chez les Lituaniens païens et l'on reconnaît en lui un frère du Parjanya indien, une des formes du dieu d'orage dans la mythologie védique. Ce roi du Panthéon lituanien est un roi de fraîche date: ce qui le prouve, c'est que les Slaves, si étroitement apparentés aux Lituaniens de croyance comme de langue, et qui connaissent aussi le dieu Perkun, ont encore pour dieu suprême le dieu suprême de la vieille religion aryenne, le dieu du ciel.

Même révolution en Germanie, mais dans un passé plus reculé. Le dieu du ciel s'est éclipsé sans laisser de trace: il est remplacé par le dieu de l'atmosphère orageuse, Odin ou Wuotan, le Vâta de l'Inde, le dieu guerrier que l'on entend dans les fracas de la tempête conduire ses bandes échevelées de combattants ou mener à une curée céleste les meutes hurlantes de la chasse sauvage.

(1) Sa mère.

(2) RV. 2. 12.

Ainsi Grecs, Romains Slaves laissaient vaincre leur dieu par un dieu étranger; Germains, Lituaniens, Indous l'abandonnaient d'eux-mêmes pour une création inférieure. Chez un seul peuple il trouva des adorateurs fidèles jusqu'au bout, peu nombreux, mais qui n'ont point laissé entamer leur foi ni par le temps, ni par les hommes. Je veux parler des quelques milliers de Guèbres ou Parsis, qui, dans le grand naufrage politique et religieux de la Perse, fuyant devant le glaive victorieux du prophète, dérobèrent à l'Islam le trésor des vieilles croyances et qui, aujourd'hui encore, en l'an du Christ 1880, dans les temples du feu de Bombay, offrent leurs sacrifices au dieu même que, dans des temps qui échappent à l'histoire, chantaient les ancêtres inconnus de la race Aryenne.

JAMES DARMESTETER.

BULLETIN CRITIQUE

DE LA

RELIGION ASSYRO-BABYLONIENNE

Vivement sollicitée par la découverte, due au regretté George Smith, des tablettes babyloniennes relatives à la création et au déluge, l'attention du public lettrẻ se porte de plus en plus sur ces textes cunéiformes, hier encore indéchiffrables, qui, grâce aux efforts des Loewenstern, des Botta, des Sauley, des Rawlinson, des Hincks et des Oppert, nous ont enfin livré leur secret séculaire. Mais, en raison même de l'importance des questions qu'elle prétend résoudre, questions qui pendant si longtemps ont exercé en vain la sagacité des historiens, des théologiens et des philosophes, l'assyriologie n'a pu triompher complètement jusqu'ici des doutes qu'elle a soulevés tout d'abord. Malgré les ouvrages de vulgarisation de M. J. Ménant ', malgré les efforts de toute une pléiade de nouveaux adeptes, G. Smith, Norris, Fox Talbot, Sayce, Boscawen, Pinches, etc., en Angleterre; Schrader, Friedrich Delitzsch, Eneberg, Fritz Hommel, Paul Haupt, Horning, en Allemagne; Fr. Lenormant, J. Halévy, H. Pognon, A. Amiaud en France, le gros des théologiens et des sémitisants ne s'est point laissé convaincre, et la défiance n'a fait que s'accroître par la querelle des Suméristes ou Accadistes et des Nihilistes comme M. Halévy.

Il faut l'avouer, la suspicion en laquelle est encore tenue

(1) Voir surtout son exposé complet du déchiffrement, Mémoires de l'Acad. des Inscrip., savants étrangers, 1re série, t. VII.

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