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textes assyriens en font foi, avaient pour mission de garder les palais et d'en écarter les méchants et les maléfices'. On sait d'ailleurs, et M. Lenormant le fait observer, que, dans la Bible même, le mot kerub est synonyme de sûr « taureau. » Quant au glaive tournoyant, l'auteur, entrant dans les vues d'Obry, l'identifie avec le disque aux bords tranchants connu en Sanscrit sous le nom de cakra. Cette arme divine n'est pas exclusivement indienne comme le croyait Obry. M. Lenormant en signale une description dans un hymne assyrien.

Si court qu'il soit, ce résumé des trois premiers chapitres du livre de M. Lenormant suffit à en faire ressortir l'intérêt. Assurément tout n'y est pas neuf, et l'auteur a largement profité des travaux de Frantz et de Friedrich Delitzsch, de Schrader, de Goldziher, d'Obry et de bien d'autres. Mais c'est précisément l'abondance de ces informations et l'habileté avec laquelle il a su les mettre en œuvre qui assurent au livre de M. Lenormant un succès légitime. Les chapitres consacrés à la légende du fratricide, aux généalogies proprement dites, Schethites et Qaïnites, patriarches antédiluviens, ne sont pas moins attachants. L'auteur y a très judicieusement tiré parti de certaines données astronomiques babyloniennes.

La dernière question qu'il aborde est celle du déluge. Après avoir analysé tous les récits connus de ce cataclysme, l'auteur les rattache à une légende primitive dont le récit chaldéen serait la rédaction la plus ancienne.

La narration du déluge, telle que l'ont conservée les tablettes du Musée Britannique, est très développée. En voici

(1) Le passage relatif à ces colosses a été traduit peu exactement (p. 114): « dans ce palais, que le génie propice, gardien des pas de ma royauté, qui réjouit ma majesté, perpétue sa présence à toujours et jamais ses bras (de la majesté du roi ne perdront leur force. » Il faut ainsi comprendre (voir mes Notes de lex. ass., § 47): « dans ce palais, les sédi et les lamassi (noms des colosses ailés) propices, gardiens de ma promenade royale et réjouissant mon cœur, qu'ils veillent à jamais et qu'ils ne quittent jamais ses côtés (du palais). Le passage suivant doit être ainsi modifié : « Je fis fabriquer en cyprès, dont l'odeur est bonne, des battants de porte garnis d'argent et d'airain et je les fis placer dans les (orifices des) portes. Je fis dresser à droite et à gauche (de ces portes) des sédi et des lamassi de pierre qui sont placés là pour repousser (littéralement: qui conformément à leur installation repoussent) le méchant, etc. >>

la mise en scène. Le héros Istubar ', l'exterminateur des monstres, dont les travaux et les aventures rappellent invinciblement les douze travaux d'Hercule, accablé par la vieillesse et la maladie, s'abandonne au désespoir. Son serviteur lui conseille de se rendre au confluent des deux fleuves, où réside Hasisadra, qui, immortel lui-même, connaît le secret de l'immortalité et peut le délivrer de tous ses maux. Istubar se met en route, arrive chez Hasisadra et lui demande comment il a pu devenir immortel. Hasisadra, le Xisuthros des Grecs, lui apprend que Bel ayant résolu de détruire l'humanité par un déluge, Ea, le dieu de la mer, l'en avertit par un songe et lui enjoint de construire un vaisseau dans lequel il fera monter sa famille, ses serviteurs et tout ce qu'il pourra réunir d'hommes et d'animaux. Hasisadra obéit. Le déluge sévit pendant six jours et six nuits. Le septième jour, le vaisseau s'arrête sur la montagne de Nisir. Hasisadra lâche successivement une colombe et une hirondelle, qui, ne trouvant pas d'endroit où se poser, reviennent, puis un corbeau, qui ne revient pas. Alors, Hasisadra sort du vaisseau, dresse un autel et sacrifie aux dieux. Bel, à la vue du vaisseau, entre dans une violente colère et veut exterminer les derniers survivants de l'humanité. Mais, cédant aux prières des dieux, il fait grâce à Hasisadra, lui accorde la vie éternelle et l'établit à l'embouchure des fleuves. Ce récit terminé, Hasisadra plonge Istubar dans les eaux du fleuve et lui rend santé et jeunesse.

Il est curieux de retrouver quelques échos de ce récit dans la légende musulmane d'Alexandre le Grand ainsi que dans l'histoire coranique de Moïse et du prophète Khizr. Ce rapprochement ayant échappé à M. Lenormant, je le lui signale. D'après le Coran (chap. xvIII, vers. 59 et suivants), Moïse dit à son serviteur: « Je ne cesserai de marcher jusqu'à ce que je sois parvenu au confluent des deux fleuves. » Parvenu au confluent des deux fleuves, Moïse y trouve un homme, avec

(1) Ce nom n'est que provisoire, la vraie lecture en étant encore inconnue. M. Hommel croit po rleitvo uranscrire Nemrod.

lequel il a diverses aventures, et que tous les commentateurs arabes identifient à Khizr. Or, ce Khizr est précisément le prophète immortel qui, dans la légende d'Alexandre, conduit le héros à la source de l'eau de la vie. L'analogie est si frappante qu'il est inutile d'insister davantage. J'ajouterai seulement que le mot Khizr lui-même n'est rien autre qu'une contraction de la forme grecque Xisuthros.

J'aurais bien des observations à adresser à M. Lenormant à propos de sa traduction du déluge : leur place est ailleurs.Je devrais aussi m'occuper de la grosse question de l'accadien ou sumérien. Mais je me contenterai aujourd'hui de renvoyer nos lecteurs à un article de la Revue critique où, exposant en détail la théorie de M. Lenormant relative à l'origine touranienne de la civilisation chaldéenne ainsi que celle, tout opposée, de M. Halévy, j'opte pour la dernière.

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Et maintenant quelle conclusion tirer du livre de M. Lenormant? L'auteur, partisan de l'unité primordiale des races, est d'avis que les traditions diverses qu'il passe en revue reposent sur un fonds commun de croyances antérieur à la séparation des peuples. D'autres penseront, au contraire, que les Chaldéens sont les premiers auteurs de ces récits. Une critique approfondie pourrait seule trancher cette question: dans l'état actuel de la science, elle serait prématurée. STANISLAS GUYARD.

(1) N° 22 de 1880. (On en trouvera le résumé dans le Dépouillement des périodiques du présent numéro. Réd.)

BULLETIN CRITIQUE

DES

RELIGIONS DE LA CHINE

Nous ne saurions mieux commencer ce bulletin, qui devra annoncer périodiquement les travaux destinés à élucider les points encore obscurs des religions de la Chine, que par un exposé succinct des doctrines religieuses et philosophiques. du Céleste Empire. Tout en traçant ce tableau qui pourra servir d'introduction historique à l'étude de ces religions, nous parlerons des publications déjà faites et indiquerons les lacunes trop nombreuses qui restent à combler. Nous n'aurons pas la place nécessaire pour entrer dans le détail des questions et nous croyons d'ailleurs être davantage dans l'esprit de cette Revue en faisant de cette introduction un aperçu historique accompagné de nombreux renseignements bibliographiques plutôt qu'une discussion de doctrines ou de systèmes.

Les travaux sur l'ensemble des religions de la Chine ne manquent pas: Kircher, dans sa Chine illustrée, Bernard Picart, dans ses Cérémonies et Coutumes religieuses, Grosier, dans sa Description de la Chine, et tout dernièrement M. Samuel Johnson, dans ses Oriental Religions leur ont consacré des chapitres; Hager a osé livrer à l'impression son Panthéon chinois 2; le Dr. J. H. Plath a étudié la religion

(1) Oriental Religions and their Relation to Universal Religion. Boston, James Osgood, 1877, 2 vol. in-8.

(2) Panthéon chinois, ou Parallèle entre le culte religieux des Grecs et celui des Chinois; avec de nouvelles preuves que la Chine a été connue des Grecs et que les Sères des auteurs classiques ont été des Chinois. Paris, Didot, 1806, in-4.

des anciens Chinois; l'Asiatic Journal 2 et la Revue des Deux-Mondes 3, ont donné des articles intéressants; et M. Vassilief a fait paraître un volume en russe à SaintPétersbourg en 1873; toutefois le seul livre qui puisse avoir droit au nom de Manuel est celui du Dr. Edkins. Publié d'abord dans le Beacon, puis en volume en 1859 chez Routledge il a été augmenté et réimprimé chez Trübner il y a deux ans sous le titre de Religion in China. Ce n'est qu'une œuvre provisoire, ne pouvant en aucune façon prétendre à une première place et n'ayant que le mérite d'articles qui, pris séparément, offrent de l'intérêt mais manquent de cette cohésion, de cette unité de plan nécessaire à un ouvrage d'un seul jet. Il y a place, il y a même demande pour une histoire générale des religions de la Chine.

A la question quelles sont les religions de la Chine? il est d'usage de répondre elles sont au nombre de trois : le Jou kiao ou doctrine de Confucius, le Tao kiao ou doctrine de Lao tseu, le Fo kiao ou doctrine de Bouddha; c'est exact, et cependant il serait plus juste de dire que la croyance religieuse d'un Chinois pris en général, quelle que soit celle des trois doctrines à laquelle il appartienne, est basée sur le Culte des Ancêtres qui a son origine dans les préceptes de Confucius, et sur le Foung choué, mélange de superstitions grossières, dont une étude incomplète des phénomènes de la nature est la source et des pratiques dénuées de sens commun le résultat. Nous parlerons successivement des trois religions de la Chine, puis nous marquerons la place qu'oc

(1) Die Religion und der Cultus der alten Chinesen. Abt. I. Die Religion der alten Chinesen, mit 23 lith. Tafeln. München, 1862, in-4. Abt. II. Der Cultus der alten Chinesen. München, 1863, in-4. · Chinesische Texte. 1864. (2) On the three principal religions in China. IX, 1832, pp. 302/316. (3) Théodore Pavie: Les trois religions de la Chine, leur antagonisme, leur développement et leur influence, 1er février 1845.

(3) The Religious condition of the Chinese: with observations on the prospects of Christian conversion among that People. London, Routledge, 1859,

in-16.

(6) Religion in China: containing a Brief Account of the Three Religions of the Chinese: with observations on the prospects of Christian conversion among that people. Second Edition. London, Trübner, 1878, in-8.

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