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Si, au point de vue philosophique, l'insertion de l'ÉHEI ASCHER ÉHEIE dans le texte de l'Exode a eu directement la portée que nous venons de dire, elle a eu, indirectement, sous un rapport que j'appellerai pratique, un résultat non moins remarquable. Par son rapprochement avec le nom de Iahveh dans le texte en question, le éheié a permis aux traducteurs modernes de donner au nom ineffable dans leurs versions chez les Israélites un équivalent en harmonie avec le caractère que le Dieu national a pris finalement sous l'influence de l'enseignement prophétique. En se réglant sur l'usage reçu, les Septante, nous l'avons dit, avaient remplacé le nom de Iahveh par celui de xúptos, (Seigneur); après eux et sur leur modèle, les traducteurs latins, saint Jérôme notamment, avaient écrit Dominus. A leur tour, les traducteurs modernes, suivant les mêmes errements, ont employé l'appellation Seigneur. Luther lui-même, dans sa traduction, écrit encore pour Iahveh : der Herr. En Angleterre la Version autorisée (authorised version), depuis la première édition de 1611, et malgré les perfectionnements qu'elle a reçus, conserve l'appellation the Lord. Cependant, l'appellation Seigneur, empruntée au Panthéon assyrien et cananéen (Adon, Baal) est en plein désaccord avec la notion du lahveh des prophètes, Dieu de justice et de liberté C'est pour cela que dès 1588, les Pasteurs et professeurs de l'Église de Genève, dans la traduction révisée qu'ils donnèrent des livres saints, s'appuyant sur l'affinité supposée de Éheié et de Iahveh, adoptèrent comme équivalent de ce dernier nom, l'appellation: Éternel 1. Plus tard, les Israélites ont suivi cet exemple dans leurs traductions de la Bible, dans celles mêmes de leur rituel 2. Cette innovation a permis à la théologie juive de prendre, dans l'opinion philosophique, une place qu'assurément elle n'eût jamais pu acquérir avec le maintien de l'ancienne traduction du nom ineffable.

Cependant Eternel n'est encore qu'un équivalent incomplet du sens suggéré par Eheié. L'Être souverain n'est pas seulement infini selon le temps, il l'est aussi selon l'espace. Pour Être il ne peut y avoir d'autre dénomination adéquate que l'Étre. Tout au plus peut-on y ajouter la qualification de suprême. C'est ce qu'a fait la philosophie du XVIIIe siècle, et c'est au nom de l'Être suprême, dénommé par elle, qu'ont été promulgués les actes souverains, qui, à partir de 1789, ont constitué la nouvelle Société française. La France porte ainsi au front l'ineffaçable trace dell'EHEIÉ ASCHER ÈHEIÉ.

GUSTAVE D'EICHTAL.

(1) Cette appellation est aujourd'hui devenue d'un usage général chez les protestants; cependant à une époque récente, en Allemagne, en Angleterre, quelques traducteurs ont simplement reproduit le nom hébreu, sous la forme lehova. (Voy. De Wette, Die heilige Schrift des alten und neuen Testaments. 3te Ausgabe, Heidelberg, 1839. Rev. C. Wellbeloved. The Holy Bible, a new translation, London, 1838. (2) Ainsi Mendelssohn dans sa traduction allemande des cinq livres de Moïse (1778); Cahen dans sa traduction française de la Bible (1831); Wogue dans sa traduction française du Pentateuque (1861); Pour les rituels, voy. les Prières des Israélites, traduction de Créhange et autres. Dans les Actes du grand Sanhedrin de 1807, le nom correspondant au tétragramme est rendu par Seigneur Dieu d'Israel. Cependant le nom d'Eternel apparait une fois à l'article IV, et aussi dans les discours du Président Zinsheim, et du rapporteur Furtado.

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ÉLÉMENTS MYTHOLOGIQUES

DANS

LES PASTORALES BASQUES

La pastorale de La prise de Jérusalem est, parmi celles que j'ai pu lire jusqu'à ce jour, l'une des plus intéressantes. La Bibliothèque de Bayonne en possède une copie exécutée avec beaucoup de soin où les noms des acteurs et les indications de jeux de scène sont à l'encre rouge. La copie est signée « Bessiger, professeur de tragérie à Esquiule » et datée du 27 octobre 1827. Elle comprend 1,359 strophes c'est-à-dire 5,436 vers, et porte le titre suivant : « La belle représentation sur la destruction <«< de la ville de Jérusalem, par Vespasien, empereur des Romains, l'année << de notre salut 70; contenant d'autres mystères (sic) savoir le sujet prin«cipal est le prophète Jésus fils d'Annanus ».

Outre ce titre en français, on lit encore la note suivante en tête du second prologue: « L'auteur de cette pièce a cru de donner au publiq « (sic) un exemple pour renouveler la mémoire sur la destruction et ruine << entière de la ville de Jérusalem, qui fut détruite par Vespasien et Titus, <<< empereurs romains, l'an de notre salut 70, suivant quelques auteurs. <«< Les spectateurs verront ici comment Dieu punit les hommes obstinés << dans les crimes de péché ». Tout le reste du manuscrit est en basque.

Après les prologues, qui contiennent, comme d'habitude, un exposé général de la pièce, on voit paraître sur la scène Jésus, fils d'Annanus, qui se met à genoux et adresse à Dieu une prière. L'ange Gabriel vient lui ordonner, de la part du père éternel, d'aller prêcher la pénitence aux habitants de Jérusalem. Le prophète se met immédiatement en route.

Cependant, nous assistons à la mort des deux larrons, compagnons de supplice de Jésus-Christ. Ils vont en enfer où le mauvais larron, Gestas, est seul retenu, tandis que le bon, Dimas, est envoyé aux limbes; il y trouve Adam, David et St-Jean. L'ange Raphael vient les prendre tous les quatre pour les conduire au ciel. Ils font leur entrée dans le séjour des élus en chantant le Veni Creator « Javec réponse de la musique ». Raphael redescend sur la terre; il va à la prison de Jérusalem et met en liberté Nicodème, (1) Voyez la Revue, N° 1, p. 139.

(2) La mutation der et d'est ordinaire en basque. Soldado devient Soldaro.

Joseph d'Arimathie, et Gamaliel un autre «< chrétien », en les invitant à aller au Jourdain trouver Jésus (fils d'Annanus) et ses disciples.

Mais voici Jésus lui-même dans le temple où sont déjà trois juifs de distinction, Abraham, Nicodème et Caïphe. Caïphe chasse Jésus à coups de pierre; puis il se met en prières avec ses deux amis. Le temple tremble sur ses fondements; pris de peur, les juifs tombent sur le parvis et se relèvent en criant. Ils encensent l'autel et s'en approchent, mais l'édifice tremble de nouveau et sur l'autel apparaissent Hélion et Cariot << fils de Ruben » qui demandent à parler à Gamaliel et à Joseph d'Arimathie. A ces chrétiens, ils annoncent les malheurs prochains du peuple juif. Puis ils demandent du papier et une plume et écrivent une lettre qu'ils chargent Gamaliel de remettre au conseil suprême de la cité. Gamaliel sort avec Joseph du temple; ils rencontrent Jésus et l'emmènent avec eux. Le conseil est formé des juifs Barrabas, Abraham, Simon, Eléazar, Jean, Caïphe, de Pilate et du roi Archélaüs. Les chrétiens donnent la lettre à Pilate qui s'écrie: «Messieurs (jaunac), ceci est de l'hébreu, c'est mauvais à comprendre; quelqu'un de cette compagnie-pourra-t-il le lire? » Joseph propose de la faire lire à Jésus « qui comprend tous les langages ». Jésus prend le papier et en donne lecture. La lettre se termine ainsi (nous traduisons littéralement): «lisez aujourd'hui la prophétie de Daniel; là vous verrez la perte de Jérusalem; (Vous avez) injustement causéla mort de Jésus-Christ : parce que s'était accompli ce qu'avait dit l'Eternel: Et post hodomades (sic) — sexaginta duas - occiditus (sic) Christus

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non erat populus; David nous a dit; - Domine clamavi ad te exaudi me, intende, voce mea clamavero. — Adressez lui des prières :

in bonnitatem (sic) — lux, duce me,

vous serez heureux;

--

Bonnes es tu

Si vous justificationez tuas (sic). écoutez, mais, à adorer Jésus-Christ Vous devez vous mettre tout de suite ». Sur ces belles paroles, agrémentées d'un latin excentrique, une longue discussion théologique s'engage entre les chrétiens et les juifs. Puis, le roi délibére avec ses conseillers, tout le monde est d'accord que Jésus est un «< innocent » qu'il faut faire fustiger et chasser ensuite. «< Quant à nous, demeurons tranquilles ». Satan vient appuyer cet avis.

Pendant ce temps, à Rome, Vespasien trouve fort mauvais que, depuis sept ans, les juifs ne lui aient pas payé « les rentes »; il donne l'ordre de leur faire réclamer tout l'arriéré. On envoie à Jérusalem dans ce but le Sénéchal.

Au conseil réuni à cette occasion par Archelaüs, Pilate et Jean sont d'avis qu'il faut payer; les autres s'y refusent. Jésus pénètre dans la salle, se jette à genoux et récite deux strophes latines (?): « appropinque, domine justam eloquam tuam. — Da in conspectu tuo secundum

deprecatio mea mihi intellectum

in conspectu tuo, domine

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eloquam tuam eripe me ». Puis il supplie les conseillers de se ranger à l'avis de Pilate et de Jean. Nous sommes, dit-il, menacés de dangers terribles, si j'en crois les «< signes » : j'ai vu le soleil s'obscurcir, j'ai eu des visions d'armées en bataille, etc. Rien n'y fait; on se décide définitivement au refus, on lance un appel général de soldats et Jésus est mis en prison.

Le Sénéchal va chez Volages, roi d'Arménie, lui demander son alliance contre les Juifs. Elle lui est accordée et les troupes arméniennes marchent sur Jérusalem. Les Romains arrivent de leur côté et s'emparent du pays. Cependant Jésus, sorti miraculeusement de prison, reçoit la visite de Pilate qui vient le consulter et reconnaît sa faute. Jésus l'invite à faire pénitence.

Mais voici les Romains devant la citadelle. Titus, qui tout le temps s'adresse à Vespasien en l'appelant « papa », vient sommer Japhet, chef des assiégés, de se rendre. De son côté Domitien harangue ses soldats : «< Messieurs, déchargeons nos canons et renversons leurs murs ou bien qu'ils se rendent ! » Japhet capitule, les murs sont rasés, et toute l'armée arrive enfin devant Jérusalem.

Sommation de se rendre est faite aux Juifs qui sortent en masse et attaquent les Romains. Ceux-ci battus sont obligés de fuir. Mais ils reviennent et recommencent le combat; Japhet est avec eux et le roi d'Arménie ne tarde pas à venir joindre ses troupes aux leurs. Le combat est interrompu: Pilate et Archélaüs demandent grâce; on leur oppose un dédaigneux refus et la lutte est reprise. Tristesse de Pilate, qui, après un long entretien avec Satan, va se pendre.

Les assiégés délibèrent sur la situation. Jésus arrive au milieu d'eux pour <«< chanter avec musique (air triste, sic)». Il est fort mal reçu, accablé d'insultes et finalement lapidé.

Eleazar met le feu « à un canton du théâtre ». Jean, et Archélaüs échappé du combat, réunissent de nouveau le conseil. La lutte continue désespérée; Barrabas, Jean et Célestin sont faits prisonniers. Le reste des juifs se réfugient dans « Antonia » où ils sont vigoureusement assiégés.

Deux dames juives, Marie, reine de Jérusalem, et Rosalie, sur le point de mourir de faim, tuent l'enfant de la première et le mangent, ce dont leur cusinière se lamente en un long monologue. Simon vient interrompre ses doléances et, en en apprenant le motif, demande sa part de provisions: on lui livre le reste du festin, la moitié du corps de l'enfant. Archélaüs refuse d'en manger et fait tuer le trésorier qui ne voulait pas ouvrir ses magasins; pendant ce temps, Marie et Rosalie s'emparent de Caïphe, l'injurient violemment et le tuent à coups de poignard. Puis les Juifs mettent le feu partout. Mais les Romains ne les laissent point s'échapper. Ils sont tous faits prisonniers Archélaüs se tue de sa propre épée. On fait grâce à Joseph, Gamaliel, Jean, Joseph d'Arimathie. Tous les autres dont trente « à vendre » sont emmenés prisonniers.

Entrée triomphale à Rome de l'armée victorieuse «< avec des bouquets à la main ». Le pape Clément complimente Vespasien. Cantique général d'action de grâces à Dieu.

Vespasien fait comparaître les prisonniers devant lui et consulte son entourage sur le supplice à leur infliger. Titus propose de les faire fouetter, puis de les écarteler «< entre quatre chevaux », car ils ont causé la mort de onze mille soldats par leur résistance enragée. On les dépouille de leurs vêtements, on les fustige, on les écartèle. Le bon pape Clément remercie le ciel pour cette juste punition des persécuteurs de Jésus-Christ.

Mais Vespasien, qui a fini son œuvre, vient, soutenu par ses deux fils, mourir sur la scène. Le conseil choisit Titus pour empereur et le Sénéchal lui met la couronne sur la tête. Allégresse générale. Danses et chants. Un Romain distingué, Aurélien, rencontre Flavie, nièce du pape, et en devient ardemment amoureux. Il lui déclare sa flamme en ces termes : <«< Flavie, je prends plaisir à vous voir ici puisque en bonne santé vous vous trouvez. Votre beauté - m'a charmé le cœuravec vous — j'ai pensé.

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et à me marier Mais à vous le proposer j'ai longtemps déliparce que vous observez,-vous, la loi du Christ. — J'ai peur de re

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parce que Clément le saint Père

oncle. Il y a bien longtemps que j'étais

je n'osais pas

vous découvrir ce projet.

aime tendrement;

est votre

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il ne me parait pas qu'il y ait une plus charmante que vous.-Vos yeux, pleins d'amour,- ont saisi mon cœur- et vivre entiè

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du milieu de mon cœur ; étoile qui vous ressemble. pleine de tendresse,

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Je vous aime sincèrementil ne me semble pas qu'il y ait au ciel — une Belle fleur d'été,

charmante giroflée, au-dessus de toute autre, je ne puis vous cacher mon amour sincère tant je désire me marier avec vous! » La jeune chrétienne répond poliment à Aurélien qu'elle ne l'épousera que s'il veut se faire chrétien comine elle. Il y consent volontiers et les deux fiancés échangent leur foi.

Le pape Clément, dont la nièce convertit les païens par l'amour, essaie un autre procédé. Il discute avec Narbot, Sisime, Gilas et Andronic, prêtres de idoles, «< ministres de Bahomet (sic) ». Naturellement battus, ceux-ci forment le projet d'aller étudier les «< funciones » et «< exercices » des chrétiens, mais en secret, car le pape Clément est l'oncle de Titus. Ils se cachent derrière un rideau dans le lieu de réunion des fidèles. Arrivée de Clément, de Flavie et d'Aurélien. Le saint père, très triste, se plaint vivement de l'impiété générale, mais l'ange Michel lui apparait, le console et lui rend son courage. Andronic et Sisime, touchés de la grâce, se convertissent, se découvrent, confessent leur foi nouvelle, répondant on ne peut mieux aux questions qui leur sont posées et finalement sont baptisés par le pape avec l'eau qu'Aurélien a été chercher dans un verre.

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