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tique et plus dangereuse que celle, où Cobourg, retranché, de la manière la plus formidable, dans la forêt de Mormale, formait, avec soixante mille hommes, le blocus de Maubeuge, la seule place qui pût l'empêcher d'arriver, en vainqueur, sous les murs de Paris. Toute la France proclame encore, avec enthousiasme, le nom du général Jourdan, qui rendit par la victoire de Watignies un service immortel à son pays; mais il a fallu ła mort de Carnot, pour qu'une révélation posthume vint nous apprendre, qu'après avoir proposé au comité l'entreprise hardie d'attaquer l'ennemi, dans une position presque inexpugnable, il eut encore l'honneur d'assurer la victoire par ses avis dans le conseil, et par ses exemples sur le champ de bataille. Quiconque porte un cœur français, a conservé le souvenir des alarmes qu'il ressentit alors pour la patrie, et doit payer, jusqu'à son dernier jour, un

tribut de reconnaissance à Carnot pour cette journée. On voit avec plaisir Napoléon vainqueur se rappeler, en 1807, le déblocus de Maubeuge, et envoyer de Schoenbrun une pension à Carnot, comme la récompense d'un grand service rendu à la nation. Sans doute, par un retour naturel sur lui- mème, l'homme de Castiglione et de Rivoli, le général d'Austerlitz et de Friedland, se disait tout bas : Sans Carnot peut-être, point » de Bonaparte et de Napoleon. » Effectivement une défaite à Watignies et la chute inévitable de Maubeuge, après celle de son camp retranché, eussent changé l'ordre des événemens; la république aurait péri l'année même de sa naissance; et l'Alexandre et le César du siècle serait mort capitaine d'artillerie au service du roi de France et de Navarre.

Le but de sa mission rempli, Carnot rentre au comité de salut public pour

n'en plus sortir, qu'après la défaite de toutes les armées de la coalition. Dès ce moment il paraît un autre homme; son caractère prend une énergie de résolution qu'il n'avait jamais eue au même degré; sa volonté devient une puissance, parce qu'elle est une force; ses ordres sont exécutés avec fidélité, parce qu'ils portent le cachet du génie et de la prévoyance; il emprunte au gouvernement, dont il fait partie, une impulsion à laquelle rien ne résiste; un vaste plan d'opérations militaires se combine et se déroule dans sa tête; il en coordonne les diverses parties, et devient, en quelque sorte l'ame des quatorze armées que la révolution oppose aux efforts de la confédération européenne. Sans doute l'enthousiasme de la liberté produisit des miracles; sans doute le peuple français fut digne, par son dévouement, des plus sublimes exemples de l'antiquité,

Austère comme un Spartiate, dévoué comme un Romain, et cependant toujours fidèle au caractère national, alors un soldat français était plus qu'un homme: l'Europe a vu proclamer cette vérité, par la défaite des vieilles légions de Frédéric II et du maréchal Dawn. Mais ces justes considérations n'ôtent rien au mérite de Carnot; au contraire, elles rehaussent singulièrement les travaux qui lui assurent un nom dans l'avenir.

Il faut avoir vu cette époque; il faut se rappeler comment la brillante invasion de la Belgique fut suivie des revers qui mirent nos places fortes entre les mains de nos ennemis, et produisirent d'abord une consternation générale; il faut se remettre, devant les yeux, la capitale menacée une seconde fois, mais d'une manière bien plus sérieuse encore que lors de l'invasion en Champagne; il faut avoir jugé de près l'état d'anarchie dans laquelle une

guerre civile, comme celle de la Vendée, précipite à la fois et le peuple des contrées qu'elle envahit tout-à-coup, et les légions improvisées qui doivent combattre des bandes enflammées par le fanatisme; il faut avoir visité les frontières de la Moselle ou du Rhin au moment où, après nous avoir enlevé Mayence, les armées ennemies occupaient les lignes de Wissembourg; il faut avoir présente à la mémoire une autre guerre civile, allumée dans le Midi, et la profonde agitation d'une masse de vingt-cinq millions d'hommes, qui se sentent enveloppés de trahison, de périls de toute espèce, condamnés à tant d'épreuves et de sacrifices ; il faut avoir vu l'état d'exaltation qui régnait en France, dans les plus petits hameaux comme dans les plus grandes cités; il faut enfin rassembler toutes ces choses dans sa mémoire, et se les représenter avec les couleurs du temps, pour sentir la grandeur

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