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CHAPITRE XIV.

Des progrès de l'imprimerie.

BIEN que l'imprimerie eût déjà fait des progrès surprenans en 1455, cependant elle était encore dans un certain état d'imperfection. Les lettres étaient taillées grossièrement, les mots étaient chargés d'une multitude d'abréviations qui en rendaient la lecture fatigante; on voyait des capitales bizarres et sans proportion avec le corps du caractère; on ne voyait aucune ponctuation, excepté le point, et rien qui distinguât la citation d'avec le texte. Mais ce qui excitait surtout les plaintes des savans, c'était le nombre des fautes et des contre-sens que les copistes ignorans avaient glissés dans les manuscrits, et que les imprimeurs encore moins instruits avaient augmenté. Il n'est pas jusqu'aux éditions données par les Aldes auxquelles Erasme ne fasse des reproches, quoique ces célèbres imprimeurs eussent fait tous leurs efforts pour les rendre correctes en parlant du Cicéron, des OEuvres d'Homère et du Plutarque, qu'ils avaient publiés, il les désigne sous l'épithète de depravatissimæ.

Certes il n'était pas étonnant qu'il échappât quelques fautes aux imprimeurs, parce que les manuscrits en étaient remplis par l'ignorance des copistes, ignorance qui était presque générale avant l'invention de l'imprimerie. Aussi l'évêque d'Aleria, bibliothécaire du Vatican, en 1467, lors de l'établissement de l'imprimerie à Rome, se plaignait amèrement dans ses lettres à ses amis, de trouver la plupart des manuscrits de cette bibliothèque défigurés par des fautes grossières, ajoutant qu'il tâchait de les corriger, à mesure qu'il en découvrait quelques-unes; qu'il avait même été obligé de changer plusieurs mots, pour faire disparaître les contre- sens et rendre les phrases intelligibles.

A mesure que l'imprimerie prenait de l'accroissement, elle

faisait des progrès rapides vers une plus grande perfection La ponctuation prenait une forme régulière, les abréviations disparaissaient, on se servait des lettres accentuées, les guillemets distinguaient les citations d'avec le texte, et le caractère prenait une forme plus élégante et plus favorable à la vue. Les miniateurs disparurent des imprimeries où ils n'étaient plus nécessaires, et des correcteurs habiles prirent leur place. Des savans du plus grand mérite ne dédaignérent pas d'accepter cet emploi.

Le caractère dont on avait fait usage jusque vers 1450, et même beaucoup plus tard, était d'une forme carrée, chargé d'angles et d'aspérités, taillés rudement et d'une grosseur remarquable qu'on appelait lettres de formes. Vers 1459, on lui substitua un autre moins gros et plus agréable à l'œil qu'on nommait demi-gothique.

En 1468, Vindelin de Spire, qui imprimait à Venise, se servait d'un caractère d'une belle forme auquel on donna le noni de vénitien; mais il reçut aussi celui de romain, sous lequel il est plus connu, parce que Ulric Han, et d'autres imprimeurs de Rome, s'en servaient aussi.

En 1498, Alde Manuce, imprimeur à Venise, inventa l'italique, dont il fit usage pour tous les auteurs latins sortis de ses presses, mais il est presque le seul qui l'ait appliqué à cet usage, tous les autres ne s'en sont servi que pour distinguer les citations et les mots qu'on voulait faire remarquer; cependant la plupart des imprimeurs ont préféré l'usage des guillemets lorsque le passage est long.

Toutefois on vit l'art pour un moment rétrograder par l'introduction des caractères gothiques. Ces sortes de caractères n'ont rien de commun avec ceux que les Goths apportèrent en Italie et en Espagne, lors de leurs incursions. Le gothique moderne est la consommation de la décadence de l'écriture dans les 13°, 14 et 15° siècles; il est le fruit de la bizarrerie et du plus mauvais goût. C'est l'écriture latine dégénérée et chargée de traits absurdes et superflus. Ce The first book printed with this tippe Was Virgil in 8vo. 1501. Odel.

gothique, qui avait déjà paru dans le 12° siècle, s'étendit dans tous les Etats de l'Europe dès le commencement du 13°. Les monnaies, les sceaux, les médailles, les monumens lapidaires, les cloches en furent empreints. Les Etats du nord en conservent encore aujourd'hui l'usage. Ce genre d'écriture se multiplia et fut diversifié selon le génie des peuples et le caprice des copistes dans les manuscrits et les abréviations,

Il faut dire à la louange des imprimeurs de France, qu'ils 'ne sont point les auteurs de ces lettres gothiques. Dès l'année 1471, on s'en était servi en Allemagne. Quand Gering fonda son établissement d'imprimerie à Paris, il employa de bons caractères, et tint ferme long-temps contre l'usage des autres imprimeurs qui introduisirent la lettre gothique; mais enfin il se laissa entraîner par le torrent.

Ce fut surtout Venise, qui, ayant d'abord eu la gloire d'avoir employé les plus belles lettres, l'a en quelque sorte flétrie par une foule d'impressions gothiques qu'elle fit dans ces premiers temps, et qui donnèrent partout le mauvais exemple. Il s'est même trouvé des imprimeurs à qui le mélange bizarre des deux caractères a plu, et qui ont employé la belle lettre et le gothique dans un même livre. Ce furent Friburger, Gering, Crantz, et après eux Simon de Coline, Robert Etienne, et Michel Vascosan qui contribuèrent le plus à l'abolition du gothique en France. Mais il fut toujours chéri en Allemagne, en Hollande et en Flandre.

En 1470, Ulric Géring imprima pour la première fois en rouge le titre de la lettre de Fischet au cardinal Rollin; mais il a employé cette couleur dans toute sa beauté et son éclat dans les impressions qu'il fit depuis en rouge et noir du Psautier, du Diurnal, du Bréviaire, du Missel, des Heures à l'usage du diocèse de Paris, et de quelques volumes de droit. Ce mélange de deux couleurs donne de l'agrément à l'impression, et réjouit la vue qui se plaît dans cette diversité. Les meilleurs imprimeurs ont suivi l'exemple de Géring: dans l'impression des livres d'église, ils ont distingué ce qu'on appelle rubriques

par le rouge. On a blâme ceux qui avaient fait au contraire imprimer les rubriques en lettres noires.

Le caractère hébraïque était connu en 1475, quoiqu'il n'existât encore aucun ouvrage exécuté avec cette sorte de caractère, mais on en trouve plusieurs mots imprimés avec le texte latin, dans le Tractatus contra perfidiam Judæorum, imprimé à Eslingen. Le premier ouvrage sorti de la presse en cette langue est une bible à l'usage des juifs de Boulogne. Gilles Gourmont est le premier imprimeur de Paris qui ait employé des caractères hébreux ; il en fit usage en 1508, et sa première production typographique en cette langue est une grammaire hébraïque, in-4.

Le grec date de beaucoup plus loin que l'hébreu, puisqu'on en trouve des passages dans une édition des Nuits attiques d'Aulugelle, imprimée à Rome, chez P. Maximis, en 1469. Cependant dans tous les ouvrages imprimés depuis cette époque jusqu'en 1486, les passages grecs sont rétablis à la main. On cite néanmoins dans le catalogue de La Vallière le Crestonii lexicon græcum comme antérieur à 1478. En 1486, la Batrachomiomachia, d'Homère, fut imprimée tout en grec à Venise, et deux ans après toutes ses œuvres le furent à Florence; mais ces éditions n'approchent pas de celles que les Aldes donnèrent à Venise et à Rome en 1496, et années

suivantes.

En 1510, Gourmont grava à Paris des caractères grecs avec un tel degré de perfection, que ceux qui l'ont suivi n'ont pu s'écarter des règles qu'il avait tracées; on conserve encore à l'imprimerie royale toutes ses frappes et ses matrices. Ce fut encore lui qui grava les poinçons du petit-romain sur lequel M. Didot a pris les proportions et le modèle de celui qu'il emploie.

C'est en 1487, que parut à Boulogne le premier traité sur la musique, où elle se trouve imprimée avec plusieurs figures en taille douce. Et c'est en 1491, que l'on imprima à Florence les premiers livres sur l'arithmétique. C'est encore dans la

même ville que parurent, en 1477, les premiers ouvrages ornés de gravures sur cuivre. Enfin, si l'Italie n'a pas la gloire d'avoir été le berceau de l'imprimerie, elle a du moins celle d'avoir contribué à son perfectionnement et à sa propagation.

CHAPITRE XV.

Des plus célèbres imprimeurs du 16° siècle.

Nous avons mentionné dans les chapitres précédens quelques-uns des imprimeurs qui, à l'aurore de l'imprimerie, portèrent ce bel art dans la plupart des contrées de l'Europe. Ces hommes estimables eurent de dignes successeurs dans le 16° siècle. Alde Pius Manuce se vit revivre honorablement, dans Paul Manuce, son fils, et Alde Manuce, son petit-fils, qui soutinrent dignement à Venise la haute réputation de leur père et aïeul, et qui, comme lui, ne furent pas moins illustres par leur savoir que par leur habileté dans l'art typographique. Les éditions sorties de leurs presses sont extrê— mement recherchées des curieux. M. Renouard a publié une excellente histoire des trois Manuce et de leurs éditions, sous le titre d'Annales de l'imprimerie des Aldes; nous y renvoyons nos lecteurs, qui y trouveront une ample matière d'instruction bibliographique.

Les Junte, famille également illustre dans l'imprimerie, parurent avec éclat, dans le 16° siècle, à Rome, à Venise et à Florence, d'où ils sont passés à Lyon.

En France, Josse Badius après avoir exercé son art à Lyon vint s'établir à Paris. Il y publia un grand nombre d'éditions très-estimées par leur correction et par les préfaces savantes dont il les enrichit. Robert Etienne et Michel Vascosan étaient ses gendres. Il mourut, à Paris, en 1536.

Son fils Conrad Badius se distingua à Genève comme imprimeur et comme auteur. Il a publié quelques ouvrages avec Robert Etienne, son beau-frère, qui le suivit dans cette ville. Conrad est mort vers 1566.

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