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DUNKERQUE PITTORESQUE

PAR

M. ALBERT BRIL

I. LE LANGAGE DUNKERQUOIS

Une chose qui frappe l'étranger à Dunkerque, c'est la prononciation du langage. Les Méridionaux ont « l'accent », leur fameux accent qui les fait reconnaître entre mille; nous avons, nous, Dunkerquois, non pas précisément un accent qui nous distingue, mais quelques formes de langage, une émission particulière de certaines syllabes et toute une série d'expressions pittoresques, implantées dans le vocabulaire familier du peuple, qui donnent à notre parler un cachet original dont s'ébaudissent énormément les étrangers qui viennent se fixer à Dunkerque.

Ceux de nos compatriotes ayant vécu dans la région, à Paris ou dans le Midi, ont beau leur faire remarquer que les patois d'ailleurs ne laissent rien à envier à notre idiome. Il reste entendu qu'à Dunkerque on parle très mal.

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C'est évidemment dans les origines flamandes de notre langue qu'il faut chercher l'étymologie de la plupart de ces expressions communes. On sai qu'à la suite des guerres entre la France et l'Espagne, Sour Louis XIV, une portion de la Flandre Occidentale fut incorporée dans le domaine de la France et devint la Flandre Flamingante. A la Révolution de 1789, celle-ci fut divisée en deux parties qui formèrent les arrondissements actuels de Dunkerque et d'Hazebrouck. Et, chose curieuse, les Flamands de France, qui lisent et comprennent très bien les auteurs belges et hollandais des XVIIe et XVIIIe siècles, ont la plus grande peine à comprendre les livres modernes édités en Belgique. C'est que la langue flamande est restée stationnaire dans notre Flandre, tandis qu'en Belgique, elle a fait un pas vers le hollandais qui lui-même s'est rapproché parfois de l'allemand. Et nous, Flamands de France, nous sommes, comparativement aux Belges et aux Hollandais, ce que sont les Saxons comparativement aux Prussiens et aux Autrichiens; les Saxons parlent plat-deutsch, les Flamands de France parlent plat-vlaemsch.

S'il y a aujourd'hui décadence complète de l'état littéraire de la langue flamande, à Dunkerque surtout où les relations commerciales ont fait céder le pas au flamand, on peut constater que cette marche est relativement lente. C'est chose difficile à déraciner que la langue d'un pays; voyez l'Alsace et la Bretagne.

Ici, à deux pas, à Fort-Mardyck, où l'on ne parle que le français, ne voyons-nous pas les maraîchères venir nous offrir la salade de mer qu'elles débitent, au chant harmonieux de see-sala, see-sala? Elles ne connaissent de flamand que ces deux mots.

Faut-il convenir que le flamand parlé ici manque de grâce et de douceur? Un ironiste a dit :

Quel poète, d'un ton doux et facile,

Parviendrait à chanter Socx, Crochte, Holque, Oost-Cappel,
Leffrinckoucke, Craywick, Brouckerque, Armbouts-Cappel?

Le ky domine, émis avec une rudesse qui ferait trouver doux le ch si dur de certains allemands.

En remontant dans les âges passés, on trouve une certaine antipathie entre les Français et les Flamands, ceux-ci, gros et gras, lourds dans leurs mouvements, prêtaient à rire aux premiers. Ils rachetaient bien ces défauts par leur constance au travail, leur économie, leurs succès dans la culture, l'industrie et le commerce; néanmoins cette petite animosité se compliquait de la différence de langage et les enfants poursuivaient les flamands en chantant:

Ut-ré-mi-fa-sol-la-si-ut

Tous les flamands sont des flahutes.

Flahute a toujours été le nom rouchi dont on qualifiait le flamand.

Le mot flandrin est encore un sobriquet donné en mauvaise part et tiré du bon pays de Flandre. C'est presque un synonyme de flahute : un grand flandrin, est un grand niais, c'est la traduction française de l'appellation patoise. L'expression dunkerquoise l'a tout à fait modernisée en grand clistre (clystère) ou kleuddre (chiffon).

Bien qu'il soit difficile d'établir une classification dans ces expressions populaires, on peut néanmoins les distinguer en locutions flamandes proprement. dites, et en ce que nous appellerons mots dunkerquois purs.

Nous avons, parmi les premières, quatre interjections flamandes d'un langage courant: Oïe !oïe! oïe ! (1) pour exprimer la douleur physique ou morale: « J'ai du mal à mon ventre! oïe, oie, oïe ! Quel malheur! vïe, oïo, oïe ! ». Ouï ! ouï ! ouï ! (2) témoigne l'ironie : «En v'là des embarras! Ouï, ouï, ouï ! »

Ousche-chouche! exprime la surprise ou la sensation physique de chaud ou de froid. On dit aussi bien : « Ousche-chouche, c'est chaud et ousche-chouche, on gèle ici. »

Ik-kik! (3) montre le dégoût, l'aversion : « Du poisson à l'huile, Ik-kik ! »

Pour pallier cette àpreté du k, nous avons, en revanche, un doux tje à la fin des mots et particulièrement des noms propres Marietje, Gabrielletje, etc.; et par abréviation Mitje (Marie), Wannetje (Jeanne), Finntje (Joséphine), Uiche (Louis), Fretje (Alfred), Guje (Gustave ou Auguste), Wanje (Jean). Bertje (Albert), Pilje (Pierre), Doftje (Adolphe), Djoje ou Jeftje (Joseph), Sije (François), Dije (Désiré), etc.

Voulez-vous faire route avec moi, rue St-Gilles, une des rues les plus populeuses de la cité. Entrons dans un de ces logements ouvriers, vous aurez vite pris une leçon de « langage dunkerquois ».

Le plancher de bois blanc est remarquable de propreté. C'est que la ménagère vient de dweller. Vous ne connaissez pas le dweel? C'est le grossier torchon avec lequel on lave le parquet à grande eau. Quant à l'étymologie du mot, c'est peut-être bien une corrup

(1) Prononcez hoyeu.
(2) Prononcez: huoille.
(3) Prononcez Hecke-kecke.

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