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ANNEXES

I

NOTES SUR DEUX CACHETS DE MARCHANDS

DUNKERQUOIS

Au cours de l'année 1901, le hasard d'une enchère me rendit propriétaire de quelques cachets de cire parmi lesquels deux fixèrent particulièrement mon attention. Ce n'est pas qu'ils fussent de grande dimension ni chargés d'armes, ou ornementés superbement; au contraire, ils étaient tout petits, légèrement ovalaires, très sobres d'ornementation, et ils adhéraient, l'un au-dessus de l'autre, au même carton.

Ce carton portait une inscription que je transcris exactement: Cachet de Monsieur Alexandre Kenny, le père de Monsieur le baron Kenny, ancien marchand de draps en la ville de Dunkerque. Il y est venu de l'Irlande portant la besace. . En examinant le cachet qui occupait le haut du carton, on apercevait effectivement les lettres majeures A K dans une espèce de cartouche, en forme de cœur, et séparées l'une de l'autre par une potence à doubles bras.

Ce monogramme était donc celui d'Alexandre Kenny. L'empreinte inférieure, vue à la loupe, montrait, en une sorte de médaillon, une toute petite effigie de porte-balle, marchant courbé sous le faix, le bâton à la main.

Tout à l'heure, je disais que la décoration des cachets était sobre et qu'on n'y voyait point d'écusson, ce qui est exact; cependant, en étudiant l'empreinte «au porte-balle », timbrée seulement d'un grand panache en forme de chapeau, on trouve dans les motifs de décoration en guirlande. qui encadrent la figurine, une imitation des lambrequins

qui accompagnent les écussons - armoiries des XVIIe et XVIIIe siècles.

Au vrai, ce sont bien des armes parlantes. Elles disent suffisamment qu'Alexandre Kenny eut des débuts plutôt rudes, et qu'il n'en rougissait pas; chose rare et bien digne d'être soulignée.

Malgré l'intérêt qu'offre cette empreinte, ce n'est pas elle qui m'intrigua le plus; ce fut l'autre, celle au monogramme A K qui, vaguement, me rappela certains sceaux mérovingiens et les revers de quelques médailles byzantines. Sans la suscription, elle indiquait clairement que j'avais affaire à un cachet de marchand de draps, un cachet de commerce; j'aurais pu disserter quelque peu à son sujet.

Justement, dans ce lot de sceaux de cire s'en trouvait un autre qui se rapprochait de celui-ci, plus énigmatique encore, si je puis dire, mais heureusement aussi, accompagné de quelque élaircissement. Les lettres majuscules M T étaient placées près du montant de la potence; un S majeur occupait le triangle qui formait la base de l'instrument. Voici la teneur de la note inscrite sur le carton où il était fixé: « Cachet de M. Maximilien Thélu et Sœurs, marchands de draps en la ville de Dunkerque ». On y voit la potence qui, autrefois, servait à étaler les draps. Audessous, est en travers l'aune; et sur les côtés se trouvent les lettres initiales MTetS-cachet des marchands de draps.

J'étais fixé; de plus, j'apprenais que l'instrument figurant sur les dits cachets servait à l'étalage des draps, et aussi, à leur aunage ou mesurage.

Ce fut dans le même temps que je trouvai chez M. Albert Jannin, littérateur apprécié et collectionneur émérite, au milieu d'autres sceaux où il était noyé, la matrice des deux premières empreintes dont j'ai parlé. Les deux sceaux occupaient les extrémités d'une barrette en fer forgé, longue de 6 à 7 centimètres, présentant comme motifs de décoration quelques moulures faites à la lime.

Il n'y avait donc pas de doute sur leur attribution à une même personne qui employait l'un ou l'autre cachet, suivant qu'il s'agissait d'affaires commerciales ou d'une correspondance privée.

J'avais d'abord accepté l'explication qui accompagnait la figure de la marque Thélu et Sœurs; mais d'autres marques, à peu près identiques, et qui n'appartenaient pas à la corporation des marchands drapiers ayant attiré mon attention, j'en arrivai bientôt à douter du rôle joué par la potence dans le mesurage et dans l'étalage des étoffes.

Je trouvai, en effet, cet emblème avec plus ou moins de modifications ou d'altérations, mais portant néanmoins l'empreinte d'une origine commune, sur différentes marques d'imprimeurs et de libraires des XVIe et XVIIe siècles; je la rencontrai encore sur d'anciennes étiquettes de marchands quelconques, sur des vignettes commerciales, sur une, entre autres, qui représentait Mercure en pied, armé de ses attributs, et accoudé sur une balle de marchandises. Ces diverses observations m'engagèrent à demander des explications à un bibliophile de mes amis qui me répondit: « L'emblême est commun à tous les marchands. Jadis, on s'est beaucoup creusé la tête pour en trouver la signification; on est à peu près d'accord aujourd'hui pour y reconnaître l'instrument de la Passion, le symbôle de la Croix. Ce signe devait, dans la pensée des premiers qui l'adoptèrent, porter bonheur aux fils de Mercure. Il est connu en bibliographie sous la dénomination de Quatre de Marchand. »

Une réflexion en passant sur l'étiquette « Au Mercure foulant aux pieds le symbole chrétien » : N'est-il pas surprenant de voir associer dans un but d'invocation, Jésus, et le dieu de l'Olympe cher aux marchands et aux autres ? N'est-ce pas une hérésie au premier chef? Et les commerçants du temps, en s'adressant ouvertement « A Dieu et à diable » pour le succès de leurs affaires avaient, nous semble-t-il, la Foi bien peu robuste.

Je me vois obligé, pour ne pas être accusé d'inexactitude, de revenir sur l'attribution donnée au monogramme A K dans la note manuscrite qui lui servait de commentaire. Il y était dit que le baron Kenny devait le jour à Alexandre; or, j'ai pu me convaincre de l'erreur dans laquelle était tombé l'auteur inconnu de la note, au cours de recherches postérieures concernant la famille Kenny. Ce fut devant

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