Page images
PDF
EPUB

l'avait brouillé avec sa mère, en rapportant à celle-ci les folies dont la voix publique accusait le malin écolier. Pendant que la vieille défilait son chapelet malin, au détriment de Pierre Faifeu, ce maître fripon lui vole adroitement à sa ceinture la clef de sa porte, s'en va querir une fille de joie avec laquelle il était d'intelligence et l'enferme toute seule dans la chambre de Macée; puis, après avoir remis la clef à l'endroit où il l'avait prise, il ameute les gens du quartier, en leur disant que la Macée tient chez elle une putain enfermée,

Pour la livrer à qui elle l'a promise

Pour son plaisir, comme vraye macquerelle.

La foule entoure la maison et murmure contre Macée la dévote. Alors, Faifeu accourt au logis de sa mère, et lui dit, en jouant l'indignation:

Vous avez tort de croire à ceste vieille!
Qu'il ne soit vray, ma teste soit haschée,
Si maintenant chez elle n'est cachée

Quelque putain, qu'elle garde à quelqu' moine!

Je vous supply, si vous n'avez essoine,
Allez-y voir!

La mère y va; la vieille elle-même la conduit, mais elle croit à une illusion diabolique et ne fait que se signer, au milieu des huées et des injures qui la poursuivent, lorsqu'elle voit, en ouvrant sa porte, une fille de joie atournée, c'est-à-dire revêtue de ses atours et des insignes de la Prostitution.

CHAPITRE XXIV.

SOMMAIRE. De la philologie érotique. - Le jargon ou l'argot de la Prostitution. Origines de ce jargon. — Un vieux conte sur hic et hoc. Le Commentaire de Leduchat sur Rabelais. - Les Erotica verba de l'abbé de l'Aulnaye. — Le Dictionnaire comique de Leroux. - Richesse de la langue érotique, au seizième siècle. Noms anciens des filles publiques. - Synonymes formés du grec, du latin, de l'italien, etc. - Synonymes empruntés à des noms d'animaux. - Synonymes relatifs à la vie errante des prostituées. Ceux relatifs à leur métier. — Ceux qui les classent par catégories. - Périphrases et jeu de mots licencieux. Noms de saintes, déguisés et corrompus. -Additions à la nomenclature de l'abbé De l'Aulnaye. — Les Femmes au court talon. — Proverbes moraux tirés de la Prostitution. — Diminutif de Catherine. — Anciens noms des mauvais lieux : étymologies. Anciens noms des parasites de la Prostitution : étymologies. Anciens noms des entremetteuses: étymologies. - Portrait d'une vieille proxénète, par François Rabelais. La Sibylle de Panzoust et la Macette de Regnier.

Si la philologie érotique pouvait entrer dans une histoire générale de la Prostitution, nous pourrions

lui consacrer plusieurs chapitres très-neufs et trèsintéressants; car il n'existe par encore un ouvrage spécial, dans lequel on ait étudié à fond les origines de la langue ou plutôt du jargon des mauvais lieux. Cette langue, qu'on peut appeler technique, est à peine indiquée dans quelques anciens dictionnaires français, tandis que la plupart des glossaires grecs et latins lui accordent une large place, et la mêlent, pour ainsi dire, sans aucun scrupule, à la langue oratoire et littéraire. Rien ne serait donc plus facile que d'extraire, des glossaires consacrés aux langues anciennes et classiques, tout ce qui a rapport à la Prostitution antique, et le savant P. Pierhugues ne s'est pas mis en grands frais d'érudition, pour compiler son Glossarium eroticum linguæ latina, dont les articles les plus curieux sont sortis du portefeuille d'un excellent philologue, M. le baron de Schonen, que ses beaux travaux sur les érotiques grecs eussent élevé au premier rang dans l'érudition moderne. Tout est encore à faire pour la connaissance de la vieille langue érotique française; les matériaux sont innombrables, et cependant, ils n'ont jamais été recueillis et mis en œuvre. Si, comme l'a dit Boileau,

Le latin dans les mots brave l'honnêteté,

le français est plus modeste, ou, du moins, plus timide et plus sournois. Cette langue érotique, si riche et souvent si ingénieuse, il faut le reconnaître, ne prend ses

ébats que dans des facéties gaillardes, des romans libertins, des poésies graveleuses, des contes joyeux et des chansons ordurières. Elle est, d'ailleurs, désavouée par la langue proprement dite, et bannie absolument des vocabulaires, où elle ne se glisse parfois que sous un déguisement convenable; mais elle n'en existe pas moins avec son génie original, et elle se perpétue de bouche en bouche, par tradition, en conservant ses archaïsmes, sès métaphores, ses images, ses proverbes, même ses onomatopées. On peut comparer cette langue obscène à l'argot des voleurs et du bas peuple. Elle a sa raison d'être, et, quoiqu'elle n'ait pas d'échos dans la langue des honnêtes gens, quoiqu'elle soit mise hors la loi de la grammaire, quoiqu'elle ne s'enseigne pas avec les humanités, elle est éternellement vivace et elle ne vieillit pas, parce qu'elle roule toujours sur le même fonds et qu'elle n'a plus à s'étendre sur de nouveaux objets.

On prouverait aisément, dans une étude philologique sur le jargon de la Prostitution, que ce jargon est contemporain de la langue vulgaire, et qu'il s'est formé d'un mélange confus de tous les idiomes et de tous les dialectes, comme s'il eût la prétention de représenter une langue universelle. Il y a, en effet, dans ce jargon étrange, né du caprice et de l'à-propos, du hasard et de l'occasion, une foule de mots, qui n'ont pas pris la peine de quitter leur caractère national, et qui se sont faits français, en res

« PreviousContinue »