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dénaturées, et le portrait qu'il fait d'eux pourrait s'appliquer à tous les courtisans. A la suite de ce portrait, il enregistre un poëme, composé de quinze strophes, « qui fut semé, en ce temps, à Paris, et divulgué partout sous ce titre : Les vertus et propriétés des mignons, 25 juillet 1576.» Les éditeurs du Journal de Henri III n'ont publié que six strophes de ce poëme, qui est imprimé en entier, avec le titre des Indignitez de la cour, dans le Cabinet du roy de France (page 297). Il existe quelques différences entre les deux textes, mais nous remarquerons que, dans l'un et l'autre, l'accusation de sodomie n'est formulée contre les mignons, que sous la forme d'un doute injurieux :

Ces beaux mignons prodiguement
Se veautrent parmy leurs delices,
Et peut-estre dedans telz vices
Qu'on ne peut dire honnestement.

L'auteur anonyme, qui était certainement un bon poëte, s'attaque surtout à la dissolution et au luxe de leurs habits, qu'il regarde comme des enseignes honteuses de leur conduite. Voici quelques strophes, dans lesquelles le costume de Henri III et de ses favoris est décrit avec beaucoup d'exactitude:

Leur parler et leur vestement.

Se voit tel, qu'une honneste femme
Auroit peur de recevoir blasme

S'habillant si lascivement :

Leur col ne se tourne à leur aise
Dans le long replis de leur fraise;
Déjà le froment n'est pas bon
Pour l'empoix blanc de leur chemise :
Il faut, pour facon plus exquise,
Faire de riz leur amidon.

Leur poil est tondu par compas,
Mais non d'une facon pareille;
Car, en avant, depuis l'aureille,
Il est long, et, derrière, bas :
Il se tient droit par artifice,
Car une gomme le hérisse
Ou retord ses plis refrisez,
Et, dessus leur teste legère,

Un petit bonnet par derrière
Les monstre encor plus desguisez.

Je n'ose dire que le fard

Leur soit plus commun qu'à la femme :
J'aurois peur de leur donner blasme
Qu'entre eux ils pratiquassent l'art
De l'impudique Ganimède.
Quant à leur habit, il excède
Leur bien et un plus grand encor;
Car le mignon, qui tout consomme,
Ne se vest plus en gentilhomme,
Mais, comme un prince, de drap d'or.

Nous avons suivi de préférence le texte du Cabinet du roy de France, et il est bon de faire observer que, dans ce texte, le poëte se défend presque de laisser soupçonner que ces mignons pratiquassent l'art de l'impudique Ganimède; au contraire, dans la version, évidemment altérée, que nous fournissent les Journaux de l'Estoile, le sens est bien différent, car

l'auteur y dit très-positivement ce qu'il n'ose dire:

Je n'ose dire que le fard

Leur est plus commun qu'à la femme
(J'aurois peur d'en recevoir blasme),
Et qu'entre eux ils prattiquent l'art
De l'impudique Ganimède.

C'est là une insinuation très-significative qui équivaut à une déclaration formelle. Dans un autre endroit de cette pièce de vers, on reproche à ces efféminés de troquer, d'échanger, de vendre, de dépenser les bénéfices et

Les biens voués au crucifix,
Que l'on leur baille en mariage,
En guerdon de maquerellage
Ou pour chose de plus vil prix.

Il nous paraît établi, par cette satire datée de 1576, que les mignons de Henri III, dans l'origine, n'étaient pas considérés comme d'impurs agents de la débauche italienne. On les accusait seulement de dévorer la substance du peuple, d'épuiser les coffres de l'État, de porter des habits déshonnêtes et de vivre dans une molle oisiveté. Un autre poëte se chargea de répondre aux Indignités de la cour, et il le fit dans un poëme ampoulé et fleuri, qu'il intitule les Blasons de la cour: sans avoir égard aux imputations indirectes concernant les mœurs des courtisans, il blâme seulement les langues satiriques et

les esprits mordants, d'avoir prétendu que la cour de France était un étable

Un retrait des abus, des dissolutions.

On pourrait donc induire, d'après les termes mêmes de ce factum poétique, que le libertinage des mignons ne fut pas d'abord flétri et marqué au fer rouge de l'opinion publique. Il y eut sans doute beaucoup à blâmer et à reprendre dans leur conduite, mais la calomnie, en s'attachant à eux, inventa tout ce qui devait les rendre odieux et les déshonorer. De là, le rôle infâme qu'on attribuait aux mignons, c'est-à-dire à tous les hommes, jeunes et voluptueux la plupart, qui formaient la bande du roi. Ce qui n'était qu'une triste exception dans les désordres des favoris de Henri III, fut regardé comme un vice général, et la cour de France devint ainsi, aux yeux du peuple indigné, le réceptacle de la plus abominable Prostitution. Dulaure a raison de dire que Henri III « se distingua de ses prédécesseurs, par ses goûts efféminés, et surtout par ses débauches ultramontaines » (Hist. de Paris, t. IV, p. 493, édit. in-12); mais il aurait dû constater que les huguenots et les ligueurs n'étaient pas étrangers à ce redoutable déchaînement de la calomnie contre le roi et ses mignons « L'infamie qu'avaient encourue les dames et les filles de la cour, dit-il avec trop de partialité, s'étendit, pendant ce dernier règne, sur les jeunes courtisans, qui, plus méprisables qu'elles, se livraient

avec leur maître aux plus dégoûtants excès de la débauche. >>

Les mignons étaient de jeunes seigneurs de bonne maison et de belle mine, que René de Villequier et François d'O, qui présidaient aux plaisirs du roi, avaient introduit dans l'intimité de ce prince. Les plus connus d'entre eux furent Jacques de Lévy de Caylus, François de Maugiron, Jean Darcet de Livarot, François d'Épinay de Saint-Luc, Paul Estuer de Caussade de Saint-Mesgrin, Anne de Joyeuse, Bernard et Jean-Louis de Nogaret, tous les deux fils de Jean de la Valette. Les autres étaient moins connus, parce qu'ils n'avaient pas autant de crédit auprès de Henri III: leurs noms ne sortirent jamais de la sphère de la cour. Cependant quelques-uns sont désignés dans un sonnet qui circula par tout Paris en 1577, et qui nous a été conservé dans les registres-journaux de Pierre de l'Estoile. Ce sonnet peut servir à prouver que les mignons n'étaient pas tous gâtés par les mêmes turpitudes.

Saint-Luc, petit qu'il est, commande bravement
A la troupe Haultefort, que sa bourse a conquise;
Mais Quelus, dédaignant si pauvre marchandise,
Ne trouve qu'en son c.. tout son advancement;
D'O, cest archi-larron, hardy, ne scay comment,
Aime le jeu de main, `craint aussi peu la prise;
L'Archant, d'un beau semblant, veut cacher sa sottise;
Sagonne est un peu bougre et noble nullement;

Montigny fait le bègue, et voudroit bien sembler

Estre honneste homme un peu, mais il n'y peult aller;

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