Page images
PDF
EPUB

la

rations du moule de l'habit ont été faites dans le but de satisfaire à des instincts et à des caprices de libertinage; car elles ont toujours porté, de préférence, sur les parties du corps qui jouent le principal rôle dans les imaginations licencieuses. Ainsi, chez les femmes, ce sont les reins, les hanches, taille, les cuisses et la gorge, qui, de tous temps, ont exercé surtout l'art des couturiers et des lingères; chez les hommes, ce sont également les membres les plus déshonnêtes, que l'industrie du tailleur cherchait à mettre en relief et à étaler aux yeux avec un cynisme effronté.

Cette indécente affectation de l'habillement des deux sexes ne fut jamais plus sensible qu'à l'époque de Charles VI, et l'on est forcé d'attribuer à la coquetterie de la reine Isabeau les déréglements des modes de son temps, où la Prostitution des mœurs se refléta si audacieusement dans le costume de la cour. Christine de Pisan, la preude et chaste Christine, qui composait alors son Trésor de la cité des dames, ne trouvait pas sans doute beaucoup de crédit dans cette société dépravée, qui se souciait peu d'apprendre d'elle « comment femmes d'estat doibvent estre ordonnées en leur habit. » Christine leur recommandait expressément de n'être point << outrageuses en leurs vestures et habillemens, tant es coustementz comme es façons. » Une des raisons qu'elle faisait valoir contre ce luxe immodéré de la mode, c'était «qu'on donne, disait-elle, par désor

donné et outrageux habit, occasion à autruy de pécher, ou en murmuration ou en convoitise désordonnée. » La convoitise est, en effet, une des mauvaises passions auxquelles la mode s'adresse avec le plus de malice, et Christine de Pisan remarquait très-sagement que le plus périlleux inconvénient « qui peut sourdre à une femme par habit désordonné et par manière malhonneste, c'est l'amusement des fols hommes qui peuvent penser qu'elle le face pour estre convoitée et désirée par folle amour. » Voici donc les vertueuses instructions qu'elle présente aux dames et damoiselles, qui n'en profitaient guère : « Si appartient doncques à toute femme qui veult garder sa bonne renommée, qu'elle soit honneste et sans desguisures, en son habit et habillement non trop estrainte, ne trop grands colletz, ne autres façons malhonnestes, ne grand'trouveresse de choses nouvelles, par especial, non honnestes. Et, avec cela, manière et contenance y faict moult. Car, il n'est rien plus desséant à femme, que layde maniere et mal rassise; aussy, ne chose plus plaisante, que belle contenance et coy maintien. >>

Mais, en dépit de ces sages et honorables conseils, les contemporaines de Christine de Pisan ne se contentaient pas de leurs hennins ou hauts-bonnets à oreilles et à cornes, de leurs robes à queue traînante, de leurs surcots ou corsages étroits, de leurs souliers à poulaines et de tout l'attirail de leurs estats et bombans; elles s'appliquaient à montrer qu'elles

étaient en bon poinct. Le poëte de la cour de Charles VI, Eustache Deschamps, dans son poëme intitulé le Mirouer de mariage, encourage les demoiselles qui cherchaient des maris, à adopter les robes de nouvelle forge, à large collet évasé, de manière à rendre « plus apparans » les seins et la gorge.

Mais, quoique la maigreur fût plus rare autrefois chez les femmes, qu'elle ne l'est aujourd'hui, il y avait pourtant des femmes maigres, qui se seraient crues déshonorées si elles n'eussent reconquis par artifice l'embonpoint qui leur manquait. C'était, il est vrai, l'enfance des faux appas, qui, depuis cette époque jusqu'à nos jours, n'ont pas cessé de faire partie essentielle de la science de la toilette. Le poëte Eustache Deschamps, dans son poëme du Mirouer de mariage, n'a garde de les oublier : il prend même la peine d'indiquer le moyen de les fabriquer avec << deux sacs, par manière de male », qui remplissaient à peu près les conditions d'un corset moderne bien rembourré.

Ce n'est pas tout; une femme à la mode devait faire saillir ses hanches et donner à ses formes postérieures autant d'ampleur et de proéminence que la nature pouvait en accuser. Le procédé le moins factice consistait à serrer étroitement la taille, avec la ceinture, afin que les reins parussent plus larges, développés, au-dessous du buste, aminci par un corsage plat et collant.

Eustache Deschamps décrit ce procédé, comme s'il avait étudié la poésie chez un tailleur de robes. D'après sa description, la robe d'une femme à la mode devait être «< estroicte par les flancs,» trèsétoffée autour des reins, bouffante par derrière et garnie déjà de cet accessoire que nous avons nommé tournure; moins ample au-dessous du genou et tombant « à fond de cuve » sur les pieds.

Les miniatures des manuscrits du temps nous permettent de juger combien de pareilles robes donnaient aux femmes un air étrange, une contenance roide et une silhouette disgracieuse.

Dans ce système de robe, la poitrine était entièrement découverte, pectus discopertum usque ad ventrem, dit Olivier Maillard dans un de ses sermons. Cette espèce de robes, ouvertes par-devant jusqu'au ventre, avait été imaginée par la reine Isabeau, et le peuple, qui s'indignait de ce luxe outrageux, les avait surnommées robes à la grand' gore (truie); il appelait aussi gorières les femmes qui les portaient, et il regardait comme des filles publiques, celles qui n'avaient pas la précaution de fermer, avec une affiche ou broche de métal, l'ouverture de leur corsage.

Depuis la fin du quatorzième siècle, il y eut toujours, dans les modes des femmes, une intention, plus ou moins marquée, de montrer ce qu'on feignait de vouloir cacher.

Si la licence des mœurs, à cette époque, amena l'immodestie du costume, si l'amour du luxe fut le principal agent de la Prostitution, il faut dire cependant que la galanterie eut cela de bon qu'elle en-seigna la propreté aux femmes, qui avaient été auparavant fort sales et peu soigneuses de leur personne. Un proverbe populaire, rapporté et commenté par Beroalde de Verville dans son Moyen de parvenir, prouve assez que les femmes honnêtes osaient s'enorgueillir de ne jamais se permettre d'ablutions secrètes. Selon ce proverbe obscène, les courtisanes seules ne se bornaient pas à se laver la figure et les mains. Ce fut évidemment l'envie et le besoin de plaire qui apprirent aux dames et damoiselles à se tenir bien nettes et bien propres, à se parfumer et à combattre avec de bonnes senteurs les émanations nauséabondes de l'infirmité humaine. Il paraît pourtant que certains soins de la toilette furent réprouvés d'abord par le préjugé national et qu'on se défendit longtemps de les employer; mais, si les femmes entouraient du plus profond mystère ces délicatesses de propreté locale, elles ne craignaient pas d'avouer l'usage qu'elles faisaient des fards et des odeurs, qui leur avaient valu le surnom de muguettes. Ce n'est qu'au seizième siècle que la propreté du corps devint une condition essentielle de la beauté féminine. Marie de Romieu, dans son Instruction pour les jeunes dames, ne rougit pas de les inviter à «se tenir bien nettement, quand ce ne seroit que pour la satis

« PreviousContinue »