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nuscrit, ainsi préparé pour l'impression, fut confié à un imprimeur protestant, Robert Estienne, qui paraît avoir hésité à le mettre sous presse et qui consulta un ami commun. On a supposé que cet ami devait être Pierre de l'Estoile, avec qui Cayet avait lié une société plus étroite qu'avec personne. Il arriva, cependant, que le manuscrit fut dérobé entre les mains de l'imprimeur et que Cayet se vit accusé de libertinage devant un consistoire de ministres réformés qui entendirent des témoins, interrogèrent le prévenu et le condamnèrent comme auteur d'un livre exécrable, quoique Cayet soutînt avec énergie que ce livre, qu'il avait le droit de posséder dans son étude, était « rempli » de bons remèdes contre l'incontinence. Il reprocha vivement à Robert Estienne de l'avoir trahi: «Monsieur, je ne vous ai point trahi, répondit l'imprimeur; j'ai été surpris par un autre que j'estimais un autre moi-même. Je n'ai jamais dit que vous en fussiez l'auteur, et vous confesse que je vous avais promis de ne le montrer à personne.» (Chronologie novennaire, par Palma Cayet, sous l'année 1595.)

Cayet, qui venait d'être déposé solennellement par le consistoire, déclara sur-le-champ qu'il se réunissait à la religion catholique et romaine, et quitta le service de la sœur du roi. Le traité sur l'établissement des bordeaux ne fut pas imprimé, et les ministres évangéliques, qui avaient le manuscrit original, en firent une menace permanente contre

l'honneur de l'écrivain, lequel devint docteur de la Faculté de théologie et ne s'en livra pas moins aux sciences occultes. On assurait qu'il s'était donné au diable et qu'il avait signé de son sang un contrat avec le prince des ténèbres. Les protestants le poursuivirent, il est vrai, de calomnies et de satires, dans lesquelles reparaissait toujours le détestable livre, que personne n'avait vu, excepté l'imprimeur Robert Estienne, Pierre de l'Estoile, et les membres du consistoire. Voici comme l'Estoile, qui fut soupçonné d'être le véritable auteur de ce livre, en parle dans ses Registres-journaux : « En ce temps mesme et sur la fin de l'année (1595), un ministre de Madame, nommé Pierre-Victor Cayet, abjura la religion et quitta le ministère pour se faire prebstre catholique rommain; brouilla force cayers de papier contre les ministres, ses compagnons, qui l'accusoient d'avoir commencé sa conversion par le bordeau, car ils produisoient un livre qu'il avoit fait pour permission et tolérance desdits bordeaux, dont fust fait le quatrain suivant :

Cayet, se voulant faire prebstre,
A monstré qu'il a bon cerveau;
Car il veult, avant que de l'estre,
Faire restablir le bordeau. »

la

Ce passage donne à entendre que Pierre de l'Estoile connaissait le livre et qu'on en avait tiré des copies; mais Cayet n'avoua jamais que ce livre fût

véritablement son œuvre, ce qui permet de penser qu'il rougissait de l'avoir fait. Agrippa d'Aubigné, qui ne pardonnait pas à Cayet son apostasie, en raconte ainsi les motifs dans son Histoire universelle (t. III, liv. iv, ch. 41): « Avint aussi que Cayet, travaillant à la magie, quelque temps après fut déposé, estant aussi accusé d'avoir composé deux livres, l'un pour prouver que, par le sixiesme commandement, la fornication ni l'adultère n'estoient point défendus, mais seulement le péché d'Onan (sola masturbatio inhibita); l'autre estoit pour prouver la nécessité de restablir partout les bordeaux. » D'Aubigné ne cessa pas de vilipender Cayet au sujet de ces deux ouvrages, qui n'en faisaient qu'un seul, au dire de l'auteur des notes sur la Confession de Sancy (p. 58 de l'édit. publ. par Leduchat, en 1744, à la suite du Journal de Henri III). Mais, dans la Confession de Sancy, d'Aubigné revient sur les deux livres avec une persistance qui témoigne d'une conviction bien arrêtée : « Nous n'eussions point tenu entre les pechez, fait-il dire à son héros, le sieur de Sancy, la simple fornication ni l'adultère par amour, suivant le cahier de Cayet en son docte livre du restablissement des bordeaux et sa docte dispute sur le septiesme commandement... Ce septiesme commandement, qui est Non machaberis, défend seulement le péché des enfants d'Onan, car pouyever dérive, selon cette théologie moderne, ἀπὸ τοῦ μοίχου et réer, quod est humidum fundere. » Dans le Baron de

Fæneste, d'Aubigné tient toujours pour deux livres, quoique cette facétieuse satire ait été composée depuis la mort de Palma-Cayet : « Le chassastes-vous pour la magie? demande le baron. Il ne fut, au

commencement, répond Enay, qui n'est autre que d'Aubigné lui-même, accusé que de deux livres, l'un par lequel il soustenoit que la fornication ni l'adultère n'estoient point le péché deffendu par le septiesme Commandement, mais qu'il deffend seulement τὸ μοιχὸν χεύειν, voulant toucher le péché d'Onan, et là-dessus eut la sacrée Société (la Compagnie de Jésus) pour ennemie; l'autre livre estoit de restablir les bourdeaux. » Le chapitre (liv. II, ch. 22) se termine par un abominable sonnet, qu'on retrouve aussi, à la fin de la Confession de Sancy, sous ce titre Syllogisme expositoire sur la controverse si l'Église est des éleus seulement. Ce sonnet, dont le trait final est imité d'un passage du Passavant de Théodore de Bèze, applique à l'Église romaine les paroles du prophète Ézéchiel, au sujet de la femme quæ divaricavit tibias suas sub omni arbore; ce sonnet, inspiré par l'abjuration de Palma-Cayet, rappelle que cet apostat « voulut loger les putains en franchise, » lorsqu'il était encore huguenot :

Catholique, il poursuit encor son entreprise.

Agrippa d'Aubigné, qui était l'ennemi personnel du pauvre Cayet et qui ne cessa jamais de vomir

contre lui les plus atroces injures, croit pouvoir le qualifier ainsi :

L'avocat des putains, syndic des maquereaux.

Enfin, dans un autre endroit de la Confession de Sancy, d'Aubigné remet encore sur le tapis un des deux livres de Cayet, en parlant du grand pape Sixte V, « qui osta les bordeaux des femmes et des garçons, faute d'avoir lû le livre de M. Cahier. » On peut, d'après cette phrase, inférer avec quelque probabilité, que Cayet, dans le Discours qu'il se proposait de présenter au Parlement et qu'il avait farci de citations grecques et latines, s'était occupé de toutes les espèces de débauche chez tous les peuples et à toutes les époques, et qu'il n'avait pas oublié de mentionner, à l'appui de son opinion, l'autorité du pape Sixte IV (et non Sixte V), auquel on attribuait l'établissement des lieux de prostitution consacrés à l'une et l'autre Vénus. Lupanaria utrique Veneri erexit, avait dit le savant Corneille Agrippa de Nettesheim, dans une des premières éditions de son célèbre traité De vanitate et incertitudine scientiarum (ch. 64, De lenocinio); mais il modifia depuis cette assertion un peu hasardée et se contenta de rappeler que ce pape débauché avait construit à Rome un noble bordeau : Romæ nobile admodum lupanar extruxit. (Voy., dans le Dict. hist. et crit. de Bayle, l'art. de SIXTE IV.)

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