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mercure, l'eau-forte, l'eau de gayac et les sudorifiques qui lui avaient retiré sa substance; il était perclus d'un bras et d'une jambe; « comme un marinier échappé de l'orage, » il avait juré de ne plus s'embarquer sur la mer de la Prostitution, et il rêvait le bonheur d'un commerce sûr et paisible avec une simple maîtresse. Mais il ne pouvait réaliser ce rêve, qu'après être sorti des mains de ses refondeurs. << Regnier, rapporte Tallemant des Réaux dans l'historiette de Desportes, mourut à trente-neuf ans, à Rouen, où il estoit allé pour se faire traitter de la verolle, par un nommé le Sonneur. Quand il fut guéri, il voulut donner à manger à ses médecins. Il y avoit du vin d'Espagne nouveau : ils luy en laissèrent boire par complaisance : il en eut une pleurésie qui l'emporta en trois jours (22 octobre 1613). » Ce grand satirique, tout débauché qu'il était, n'en fut pas moins aimé et loué par ses contemporains, sans qu'on pensât à lui reprocher la licence de ses poésies, qui n'étaient pas aussi libres que celles de Sigongne, Desternod, Motin et Théophile. Quoique Regnier puisse être placé à la tête des poëtes de la Prostitution, il faut se rappeler que de son temps, comme M. Violet-Leduc le fait observer dans son Histoire de la satire en France, « le nom seul de satire indiquait un ouvrage obscène. » L'austère Boileau n'avait pas tenu compte des mœurs et des usages de ce temps-là, lorsqu'il disait de Regnier, dans l'Art poétique :

Heureux si dans ses vers, pleins de verve et de sel,
Il ne menait souvent les muses au bordel,

Et si du son hardi de ses rimes cyniques
Il n'alarmait souvent les oreilles pudiques !

Mais, pour ne pas encourir lui-même le reproche qu'il adressait au chantre de Macette et du Mauvais gîte, il épura ainsi l'expression des deux premiers vers, en les affaiblissant, sans rien changer toutefois au jugement qu'il avait porté sur son maître en satire :

Heureux si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentaient des lieux que fréquentait l'auteur!

CHAPITRE XLIII.

SOMMAIRE. Les imitateurs de Regnier. Le sieur d'Esternod et

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son Espadon. Une bonne fortune de poëte satirique. paranymphe de la vieille dévote. La Belle Madeleine.

sieur de Courval-Sonnet. La Censure des femmes.

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· Conseils

à une courtisane. Les Exercices de ce temps. Le Bal. La Promenade. Le Débauché. Le Procès de Théophile Viaud. Les recueils de vers satiriques. · Le Parnasse satyrique. La vengeance du P. Garasse et des jésuites. contre Théophile. - Nouvelle jurisprudence contre les mauvais livres et les discours obscènes.

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Arrêts

Mathurin Regnier n'est pas le seul poëte de cette époque, chez lequel on trouve une vive et franche peinture de la Prostitution. La plupart des poëtes ses contemporains et ses imitateurs ne craignaient

point de se déshonorer en fréquentant les cabarets et les mauvais lieux : il était tout naturel que leurs mœurs honteuses se reflétassent dans leurs ouvrages. En outre, le genre de poésie le plus goûté alors par les lecteurs de la meilleure société, affectait de préférence la forme et le ton de la satire, lors même qu'il n'en avait pas le nom. «Les auteurs et probablement le public, dit M. Violet-Leduc dans son Histoire de la satire en France, étaient alors dans la fausse persuasion, d'après des études mal faites ou mal dirigées, que le style de la satire devait être conforme au langage supposé des satyres, divinités lascives des Grecs. » De là l'obscénité ou du moins la licence de la plupart des vers satiriques. Nous n'avons pas le dessein de rechercher dans les poëtes de l'école de Regnier tout ce qu'on pourrait y trouver de renseignements et de traits curieux relatifs à l'histoire de la moralité publique au commencement du dix-septième siècle; nous voulons seulement choisir dans quelques recueils de satires publiés vers ce temps-là, divers tableaux de mœurs qui compléteront celui que Regnier a peint d'après nature dans sa Macette et son Mauvais gîte. Ces nouveaux extraits, empruntés à des livres rares et fort peu connus, reproduiront sous des faces nouvelles la physionomie essentiellement mobile de la Prostitution, quoiqu'on reconnaisse toujours, dans les satires que nous venons de parcourir à ce point de vue, l'intention évidente, de lutter avec avantage

contre l'auteur de Macette, en abordant le domaine scabreux de son génie libertin.

Le sieur d'Esternod se présente le premier avec une imitation très-inférieure et pourtant remarquable de la Macette, qui avait reçu tant d'applaudissements qu'elle empêchait tous les poëtes de dormir. Claude d'Esternod ou Desternod n'était pas, comme on l'a cru, le pseudonyme de François de Fourquevaux, ami de Regnier; c'était un bon gentilhomme de Salins, qui ne courtisa les Muses qu'après avoir passé sa jeunesse dans la carrière des armes: sa poésie se ressentait donc de la rudesse et de la licence de son premier métier. Quoiqu'il fût gouverneur du château d'Ornans en Bourgogne, ce poste militaire lui laissait assez de loisir pour lui permettre de venir à Paris, où ses liaisons avec les poëtes l'entraînèrent souvent dans la débauche; mais, quoique ces poëtes fussent la plupart athées ou épicuristes, comme Théophile et Berthelot, il continua d'allier à ses mœurs licencieuses une grande piété et un zèle presque fanatique pour la religion. Dans une des pièces de son Espadon satirique, imprimé pour la première fois à Lyon, en 1619, d'Esternod a flétri, avec une énergie brutale et soldatesque, « l'hypocrisie d'une femme qui feignoit d'estre devote et fut trouvée putain. » Cette femme, qu'il ne nomme pas, était de celles qui couvrent leurs turpitudes du masque de la vertu, et qui sont aussi estimées du monde, qu'elles devraient en être mé

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