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toutesfois que tous ceux qui se trouvent entachez de ce péché l'ayent appris ou en Italie ou en Turquie, car nostre maistre Maillard en faisoit profession et toutesfois il n'y avoit jamais esté. »>

Nous avons démontré, ailleurs, que les expéditions d'Italie avaient été fatales aux mœurs françaises; les relations continuelles qui existaient entre les deux pays, depuis le règne de Charles VIII, ne pouvaient manquer de répandre d'odieux éléments de corruption parmi la noblesse et parmi l'armée. Henri Estienne signale ainsi le hideux enseignement que l'Italie avait offert à la France: « Pour retourner à ce péché infàme, dit-il dans son Apologie pour Hérodote (p. 107 de l'édit. originale de 1566), n'est-ce point grand' pitié qu'aucuns, qui, auparavant que mettre le pied en Italie, abhorrissoyent les propos mesmement qui se tenoyent de cela, après y avoir demouré, ne prennent plaisir aux paroles seulement et en font profession entre eux comme d'une chose qu'ils ont apprise en une bonne eschole?» Mais, quoique le vice italien eût fait de tristes progrès à la cour de France, tous les hommes d'honneur avaient un profond mépris pour ces indignes déserteurs de l'amour français, qui était seul « approuvé et recommandé,» selon l'expression de Brantôme. Nous trouvons, dans les écrits de Brantôme, la preuve du sentiment de répulsion, qui s'attachait à ces sales et ignobles égarements, lors même que la Prostitution ne connaissait plus de bornes : « Ainsy

que j'ay ouy dire à un fort gallant homme de mon temps, dit-il dans ses Dames galantes, et qu'il est aussy vray, nul jamais bougre ny bardache ne fut brave, vaillant et généreux, que le grand Jules César; aussy, que, par la grande permission divine, telles gens abominables sont rédigés et mis à sens reprouvé. En quoy je m'estonne que plusieurs, que l'on a veus tachés de ce meschant vice, ont esté continués du ciel en grand'prospérité, mais Dieu les attend, et, à la fin, on en voit ce qui doibt estre d'eux.>> Brantôme, qui avait la conscience si large et si peu timorée en affaire de galanterie, manifeste hautement son dégoût à l'égard des vices contre nature; c'est au moment même où la cour de Henri III affichait effrontément les mœurs italiennes, qu'il les condamne et les flétrit dans ses Dames galantes, qu'on peut considérer cependant comme le répertoire de la débauche du seizième siècle. Brantôme écrivait, il est vrai, ce traité de morale lubrique, sous l'inspiration de la reine de Navarre, Marguerite de Valois, qui s'était mise à la tête de la bande des dames. On appelait ainsi à la cour de Charles IX une sorte de coalition féminine qui s'efforçait de s'opposer aux honteux débordements de la jeunesse italianisée. « Je ne m'esbahy pas trop, dit Henri Estienne dans ses Deux dialogues du langage françois italianizé, si les dames, italianizans en leur langage, à l'exemple des hommes, ont voulu aussi italianizer en autres choses. >>

Quand Henri III, qui était roi de Pologne, fut appelé à succéder à son frère Charles IX, les Italiens avaient déjà pris un grand pied à la cour de France; mais leurs vilaines mœurs ne s'y propageaient qu'en cachette, et personne n'osait encore s'avouer de leur bande. Ainsi, le poëte du roi, Étienne Jodelle, qui passait pour le héraut de l'amour antiphysique, s'était déshonoré, même aux yeux de ses amis de la Pléiade, en prostituant sa muse à composer, par ordre de Charles IX, dit-on, le Triomphe de Sodome. « Il fut employé par le feu roy Charles, raconte Pierre de l'Estoile, qui a consigné dans ses Registres-journaux la fin très-misérable et espouvantable de ce poëte parisien, comme le poëte le plus vilain et lascif de tous, à escrire l'arrière hilme (hymne), que le feu roy appeloit la Sodomie de son prevost de Nantouillet. » (Voy. le Journal de Henri III, édition de MM. Champollion, p. 29, sous l'année 1573.) Lorsque Henri III avait quitté la France, pour se rendre en Pologne, où l'attendait une couronne, on peut assurer qu'il n'était pas entaché du vice honteux qui le dégradait à son retour dans le royaume de ses pères. Il avait toujours été, dès sa plus tendre jeunesse, enclin à la luxure, ardent au plaisir, sensuel et libertin; mais, quoique entouré de courtisans pervers et voluptueux, il ne s'abandonnait pas encore aux coupables erreurs de la débauche italienne. Nous serions en peine de dire si ce goût infâme lui vint en Po

logne ou à Venise, où il passa quelques jours, en revenant prendre possession du trône de France.

Depuis la mort de la princesse de Condé, dit Mézeray dans son Abrégé chronologique de l'histoire de France (t. V, p. 251), Henri IIl avoit eu peu d'attachement pour les femmes, et son avanture de Venise lui avoit donné un autre penchant. » Cette aventure de Venise n'était autre qu'une maladie vénérienne, que le roi voyageur avait prise en passant, et dont il eut beaucoup de peine à se délivrer. La princesse de Condé, Marie de Clèves, que Henri III aimait éperdument, en effet, mourut à Paris, le samedi 30 octobre, six semaines après avoir revu son royal amant, qui lui était revenu en assez piteux état, à la suite de l'aventure de Venise. Voici des dates, qui nous permettent de fixer, d'une manière à peu près certaine, l'époque où commença l'affreux désordre du roi.

A peine Henri III fut-il au Louvre, que l'on vit se former autour de lui la cour des mignons et des Italiens. Ces derniers soulevèrent d'abord dans le peuple de Paris une sourde irritation, qui ne tarda point à se changer en haine implacable. Les écoliers de l'université se firent les interprètes de cette haine toute nationale, et poursuivirent la bande italienne, par des chansons, des pasquils et des placards injurieux. Il y eut des rixes et des meurtres, à l'occasion d'une querelle qui avait mis en cause les mauvaises mœurs de ces étrangers. Dans le mois de

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