Page images
PDF
EPUB

cette vérité, que l'amour s'empare de l'ame par l'attrait du plaisir. On a blâmé cette allégorie, et nous ne voyous pas trop pourquoi. Elle est plus ingénieuse, plus morale, plus juste que beaucoup d'autres, nous pourrions dire que la plupart des allégories modernes. Sans doute peu de spectateurs reconnaitront l'ame dans le papillon; mais c'est là l'ancien emblême: et comment exprimer mieux l'inconstance ordinaire, la légéreté du cœur humain! Au reste il n'est peut-être pas un emblême qui soit juste sous tous les rapports.

L'artiste a mis beaucoup de grace dans la figure de l'Amour, trop peut-être. On a trouvé un peu de manière dans la tête de ce jeune homme.

La statue d'Homère, par Roland, est digne de cet artiste. Peu de défauts, quant à l'art ; mais puisqu'Homère chante en s'accompagnant de la lyre, ne faudrait-il pas un peu plus d'inspiration, d'enthousiasme dans cette tête!... Nous avons parlé de la Jeanne-d'Arc de Gois. La pose de cette statue est trop tourmentée ; elle rappelle un peu trop l'ancienne manière de nos sculpteurs français, celle dont on voit tant d'exemples dans la salle de l'Institut. Mais c'est, au reste, un bel ouvrage. On dit que le Gouvernement va faire exécuter cette figure en marbre. C'est un honneur que l'héroïne du C. Gois aurait dû obtenir depuis long-tems.

Parmi les sculpteurs dont on a distingué les ouvrages au Salon, il faut citer les CC. Bridan fils, pour sa statue d'Epaminondas; Blaise, pour celle de Phocion; Espercieux, pour la statue de la Paix; Lorta, Corbet, Petitot, etc. etc.

[blocks in formation]

Ox rencontre quelquefois dans le monde des originaux assez plaisans, et dont le rôle semble être ici-bas de servir

Za

à l'amusement ou à l'instruction de leurs semblables. Je viens de faire connaissance avec un être de cette espèce. Son histoire pourrait remplir plusieurs volumes; mais comme je n'ai ni le tems ni l'envie de l'écrire, je me contente d'en offrir un précis rapide.

Giacomo Della Rocca naquit en Italie sur les bords du Tibre, et non loin de la plus célèbre ville de l'univers. Il avait une grande disposition à n'être content de rien. A vingt ans,. il fit une espèce d'examen de tous les gouvernemens, sans pouvoir en trouver un dont il pût s'accommoder. Ce trône était fondé sur les ruines de la liberté, cet autre était près de sa chûte; sur un troisième siégeait un prince vicieux; dans telle autre monarchie il y avait trop peu de sages institutions; plus loin tout lui semblait aller cahin caha. Dans telle république on n'estimait que les richesses; daus teile autre on ne voyait que des masques; celle-ci n'était composée que de speculateurs ; celle-là que de nobles arrogans: et l'on ne savait ce que c'était que toutes les autres. Quoiqu'il eût le choix et que les formes des gouvernemens fussent très-variées, M. Della Rocca n'en était pas plus heureux. Unique héritier d'une fortune immense, il était caressé de ses parens qui, voyant avec peine le caractère sombre et mécontent de leur fils, lui proposèrent de voyager.

Mais voici bien un autre embarras ! quel climat peut plaire à celui qui reçut le jour sous le ciel de l'Italie, au sein de cette patrie de tous les arts, sur ce sol fécond et favorisé! Il pourrait tout au plus chercher d'autres hommes pour les comparer à ses compatriotes, pour faire son cours d'expériences et connaître le genre humain; mais chercher un pays plus' aimé de l'astre du jour, plus caressé de la Nature!... ce serait folie. Nimporte; M. Della Rocca veut voyager: c'est même le seul moyen de le distraire. Les parens en conviennent et consentent au départ de leur fils.

Dans quels lieux? C'est ce qu'il n'est pas facile de décider. En Angleterre ? Il y fait froid; il y a des brouillards;

on y brûle du charbon de terre; le peuple y est si libre qu'il peut vous insulter impunément; on y mange della carne; mauvais repas pour M. Della Rocca. Nous n'irons pas en Angleterre.

-

[ocr errors]

Au Nord? On gèle. Point de Scandinavie.-La Prusse est trop militaire. — On est cérémonieux en Allemagne.. Les glaces de la Néva son tristes et dangeures.-L'Helvétien n'est point assez policé. La Batavie est marécagenseL'air du Brabant est humide, épais, mal-sain. ---Le Turc enferme ou voile ses femmes. La Pologne est un pays plat, et M. Della Rocca aime la variété. Ce qui pouvait le déterminer pour cette dernière coutrée, c'est que sa mère y possédait de grands biens. Mais l'intérêt ne le mettait point en route, et sous ce rapport tous les pays lui étaient indifférens. Assailli de mille desirs, il ne voyait qu'une ennuyeuse uniformité dans le bonheur dont il jouissait: il fallait à Giacomo un climat tempéré, où les saisons fussent bien distinctes, un sol habité par des femmes aimables, vives, enjouées, spirituelles, par des hommes d'un accueil affable, dont les occupations fussent variées et qui ne connussent pas l'ennui de la vie..... M. Della Rocca est en route pour Paris.

Quelque fécond én plaisirs qué soit ce théâtre de merveilles, il ne saurait encore remplir les voeux d'un insensé qui a le malheur de desirer éternellemeut. -Les femmes n'étaient point ce qu'il s'était figuré : leurs regards avaient trop d'assurance; la modestie ne faisait point pencher leurs têtes; elles avaient le talent de sourire sans en avoir envie, d'être distraites avec intention, de regarder un objet qu'elles n'apercevaient pas pour en voir un autre sur lequel elles ne jetaient pas les yeux; d'écouter sans entendre, d'accueillir avec graces quelqu'un pour qui elles ressentaient du dégoût; l'une portait nonchalamment à son œil une lorgnette dont elle n'avait pas besoin ; une autre soutenait tous les regards en ayant l'air d'ignorer qu'elle en fût l'objet, et savait écarter, pour montrer sa main, des cheveux qui ne la gênaient pas; enfin les yeux

de celle-ci auraient paru entièrement éteints sans le feu de la volupté ou l'éclair de l'envie ; et le rouge et le blanc avaient remplacé sur son teint les roses et les lys. Il ne m'a pas dit sous quel aspect il voyait les hommes et ce qu'il pensait d'eux; mais ce que je sais, c'est qu'il s'embarqua pour l'Amérique.

[ocr errors]

La guerre venait de finir, et le nouveau monde offrait à l'ancien une nouvelle forme de gouvernement dont peut-être M. Della Rocca serait content. Il y porta son caractère chagrin. La vie ne lui paraissait qu'un instant ennuyeusement prolongé ; l'air était toujours trop épais ou trop vif; le feuillage n'avait pas assez de nuances ; le matin ne différait presque point du soir, et un jour ressemblait à l'autre. D'ailleurs on pouvait avoir de meilleures lois à Philadelphie; on n'avait point assez profité des leçons de l'expé rience; on aurait dû mieux consulter les mœurs et les convenances du nouvel Etat. Quant au pays, c'est en vain que s'offrait à ses yeux la beauté frappante d'une vue immense et variée par les soins de la Nature. Ce n'était point pour lui que brillait l'émail des prairies, que chantaient les oiseaux, que les fleurs exhalaient leurs parfums, que les ruisseaux serpentaient dans les plaines verdoyantes.

Je ne suivrai point notre mécontent dans ses voyages, et le lecteur me permettra de le laisser aller tout seul dans les iles, aux Indes, en Afrique, pour y désapprouver tout ce qu'on y faisait, blâmant tous les usages, toutes les institutions, trouvant que l'homme de la Nature était trop sauvage, et que les peuples policés étaient trop éloignés de la Nature.

Après une absence de dix années il revient en Europe; il arriva au moment où l'on venait de partager la Pologne, dont on avait fait trois portions sans son consentement. Les biens de la mère de notre voyageur, situés dans un palatinat du centre, étaient divisés en trois lots, et confisqués tous les trois, l'un par l'impératrice de toutes les Russies, qui n'en était pas plus riche, l'autre par le roi des Romains, qui ne s'en doutait pas, et le troisième par

le roi de Prusse, qui ne rendait justice qu'à ses anciens sujets. Voilà certes de quoi mécontenter quelqu'un de plus traitable que M. Della Rocca. Par une inconcevable contradiction, il n'en fut que médiocrement affecté; et comme il ne voyait que les abus des institutions en général, et qu'il avait un travers singulier dans l'esprit, il se consola par un raisonnement propre à décourager tout autre que lui. « Si je n'avais à faire qu'à une seule tête couronnée, » se disait-il à lui-même, je pourrais hasarder quelques » demandes; mais me plaindre à trois princes dont l'un » peut m'envoyer en Sibérie, l'autre m'enfermer, et le » troisième me proposer d'entrer dans ses troupes, je » trouve que l'un ou l'autre de ces dédommagemens nẹ » vaut pas la peine que je me dounerais pour les obte»nir. » Et il se tint tranquille.

Cette diminution dans sa fortune semblait le rendre plus raisonnable. Ce qui le rapprocha de l'espèce humaine, aurait été pour d'autres un motif de se brouiller avec elle.-Mais il apprend que la nation la plus puissante change tout à coup de gouvernement et veut se donner de nouvelles lois. Belle occasion pour un rêveur de constitutions aux yeux de qui toutes sout mauvaises ou imparfaites M. Della Rocca ne la laisse point échapper, et le voilà de nouveau dans la capitale du peuple qui se régénère. Il se mêle, aux faiseurs de projets, il discute, il approuve, il commente, il adopte. Mais l'ouvrage auquel il a concouru est bientôt remplacé par un autre. Il travaille sur nouveaux frais : son projet a le sort du premier; c'est-à-dire qu'il est adopté, culbuté, remplacé.

Pendant qu'il se mêlait de ce qui ne le regardait pas, on disposait, à son insçu, de choses dont il aurait dû s'occuper. Bref, sa grande fortune est anéantie. La secousse s'était fait ressentir jusques dans sa patrie, et ses bieus ne lui appartenaient plus en vertu d'une mesure pour laquelle on avait oublié dé lui demander son avis.

Cet événement eut des suites heureuses, en ce qu'il Jobligea d'user de ses ressources et de ses talens pour

« PreviousContinue »