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aucune solution digne des méditations de l'homme d'Etat, aucun résultat dont puisse s'enrichir la science de l'économie politique, celle de la législation générale, le code civit, etc.; et que ce sujet soit condamné à rester dans le cercle des connaissances du jurisconsulte-pratique.

C'est ainsi que j'en avais jugé moi-même au premier aperçu.

2. Un examen plus sévère de la matière, et ensuite l'analyse dont je me suis aidé, pour ne laisser rien échapper de ce qu'elle avait d'intéressant, m'ont bientôt fait découvrir toute son importance, et comment la connaissance approfondie de l'expertise conduit à la solution des questions les plus délicates qui se présentent dans l'organisation des contributions publiques, dans la confection du code civil, etc., etc.

3. Personne, que je sache, ne l'ayant encore traitée sous ces rapports, j'ai pensé qu'il pouvait être utile de rendre publics les résultats qui ont été le fruit de mes recherches, et de faire connaître la méthode que j'ai employée pour les obtenir.

DE L'EXPERTISE.

4. LORSQUE l'arbitre choisi par les parties intéressées ou le magistrat préposé par la loi, n'a que des notions imparfaites de la chose qui fait l'objet de la contestation soumise à son jugement, il est obligé d'avoir recours aux lumières ou aux connaissances des gens de l'art, et voilà l'expertise.

5. La qualité de la chose, son étendue, sa masse, son volume, sa superficie, sa dégradation ou son accroissement, sa confection, sa valeur ancienne ou moderne, totale ou partielle, soit en capital ou prix vénal, soit en revenu net ou brut, annuel, ou tout autrement périodique; son danger, ses avantages, son service, son usage, ses défectuosités, etc, etc.; en un mot toutes les modifications, tous les rapports quelconques sous lesquels il faut connaître une chose pour départir convenablement la

justice,

justice, peuvent être, ensemble ou séparément, l'objet de l'expertise, suivant la matière du différend ou du litige.

6. Ce que nous disons ici des choses s'applique aux per sonnes dans les questions d'Etat, dans les matières cri minelles, etc.

7. En général, l'expertise tombe sur le fait et no sur le droit cependant, elle a lieu quelquefois pour étair cir un droit, et non pour favoriser la découverte un fait tels sout les actes de notoriété dont l'objet est de suppléer au silence de la loi, ou de faire prédominer des usages locaux ; mais ce cas doit être extrêmement rare: car il ne tendrait pas moins qu'à substituer une autre conscience à celle de l'arbitre ou du magistrat.

8. Il est donc dans la nature de l'expertise de ne pouvoir être un jugement, quoiqu'elle teude à le former. C'est pourquoi l'arbitre ou le magistrat doit n'y avoir aucun égard, et ordonner une nouvelle expertise ou une nouvelle tierce-expertise, toutes les fois que les résultats de la première sont si contradictoires, si absurdes, ou si évidemment contraires à l'ordre natuel des choses, qu'il ne pourrait les adopter sans se trouver en contradiction manifeste avec des lois positives, ou sans blesser les principes d'équ té et de justice distributive qui, à défaut de lois positives, doivent faire la règle de ses jugemens.

9. Dans toutes les autres circonstances, il n'a aucune raison pour ne point faire de l'expertise la base de ses déterminations, lorsqu'elle a suffisamment résolu la question: et c'est dans ce sens qu'il faut entendre la législation des peuples anciens et modernes sur l'expertise.

10. Ce mode d'éclairer la religion de l'arbitre ou du magistrat, prend la dénomination d'arpentage, si la diffculté roule sur la configuration ou la quantité superficielle des biens territoriaux; de rapports de médecins, de chirurgiens, etc., en matière crimineile, question d'Etat, etc.; mais généralement, même à l'égard des biens-mobiliers, il conserve la dénomination primitive d'expertise.

du XI. 1er. Trimestre.

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Au reste, sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, les dénominations sont de pen d'importance.

11. Le but essentiel de l'expertise étant de suppléer à l'insuffisance des lumières de l'arbitre ou du magistrat, il est clair que, pour remplir le vœu des parties intéressées, les experts doivent réunir les conditions suivantes :

1o. D'être les plus instruits sur l'objet de la contestation; 2°. D'être dégagés de tout intérêt à la chose et de toute affection particulière envers l'une ou plusieurs des personnes intéressées dans le litige.

12. Ils doivent être les plus instruits sur l'objet de la contestation; et cela est évident : car il serait absurde de choisir un orfèvre à l'occasion de la construction d'une inaison, un architecte pour donner son avis sur des contestations relatives à l'agriculture, un laboureur pour apprécier le travail de l'écrivain, etc., etc.

13. Ils doivent être dégagés de tout intérêt à la chose, et de toute affection particulière envers l'une ou plusieurs des personnes intéressées dans le litige : s'il en était autre'ment, comment pourraient-ils s'en détacher? Quel fond pourrait-on faire sur leur impartialité ?

14. De-là il suit que les experts sont récusables comme les arbitres ou les juges eux-mêmes, lorsqu'ils se trouvent dans l'une de ces deux circonstances, et principalement dans la dernière: car la partialité, quelle soit ou non plus dangereuse que fignorance sur le fait en litige, est au moins beaucoup plus révoltante.

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15. Quelles que soient, au surplus, les précautions de la loi ou de ses organes, pour atténuer ou faire disparaître les effets, soit de l'ignorance, soit de la partialité, soit de la corruption, il y a toujours, dans l'expertise, une Jatitude d'erreurs plus ou moins considérable, suivant les personnes, les choses et les circonstances.

16. Suivant les personnes : car il suffit que l'une des parties intéressées à l'expertise jouisse d'une certaine réputation de bonne-foi et de loyauté pour affaiblir, dans les experts, le desir d'une recherche scrupuleuse, si elle est

de nature à lui devenir nuisible, ou pour les déterminer à la pousser jusqu'à l'extrême sévérité si elle lui est avantageuse; et vice versa, lorsqu'il s'agit d'un individu qui n'aurait point encore acquis l'estime de ses concitoyens, ou qui aurait eu le malheur de la perdre.

17. Suivant les choses; car à mesure qu'elles s'éloignent des besoins ordinaires de la vie, ou qu'elles rentrent dans Ja classe des objets de luxe ou de fantaisie, elles se refusent davantage à une juste appréciation.

18. Suivant les circonstances; car la faveur momentanée ou le discrédit passager d'une espèce de choses, l'instabilité du marché ou de la concurrence, doivent rendre l'expertise problématique ou chancelante.

19. L'expertise renferme encore d'autres sources d'incertitude ou d'erreur, suivant l'éloignement et l'étendue de la chose.

20. Suivant l'éloignement; car, quoique l'expert soit de l'art ou profession requise, et qu'à cet égard il ne doive pas être soupçonné d'ignorance, il ne peut cependant exprimer son opinion sur une chose trop loin de son domicile ou de ses habitudes ordinaires, sans emprunter d'autres lumières pour arriver à la connaissance de l'im'. portance de la chose, relativement à sa situation ou à ses usages locaux, et rien ne garantit la sagacité de ses recherches ni la fidélité de ses instrumens.

21. Suivant l'étendue de la chose; car à mesure qu'elle s'aggrandit et comprend un plus grand nombre d'objets à la fois, il faut à l'expert une patience plus grande, des connaissances plus variées, et surtout le talent de les saisir ensuite dans leur ensemble pour les apprécier avec plus de justesse.

Alors l'expertise n'est plus le partage que d'un petit nombre de citoyens organisés particulièrement pour ce genre de travail; mais, presque toujours, le mérite d'un bon choix se trouve balancé ou atténué par les inconvéniens de la distance du domicile ou des habitudes de l'expert à la chose qui doit être appréciée.

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22. Ce n'est pas tout: les résultats de l'expertise sont encore exposés à recevoir l'influence du mode de choisir les experts.

23. Si chaque partie opposée d'intérêt nomme le sien, alors l'expert doit s'identifier tellement à la personne et aux intérêts de celui qui l'a choisi, qu'il ne lui soit plus possible de s'en détacher.

24. L'expérience démontre en effet que, nonobstaut la prestation du serment préalable, l'expert x du choix de la partie A ne raisonne presque jamais comme l'expert y du choix de la partie B ; et il n'y a aucun exemple, du moins nous n'en connaissons pas, où les experts aient changé de rôle, en stipulant x pour B et y pour A.

25. L'expertise ainsi organisée amène quelquefois des 1ésultats semblables, que la législation ou l'usage de certains pays ordonne ou permet de consiguer dans un procès-verbal commun, tandis qu'ailleurs elle prescrit de les rapporter séparément.

26. Mais cet accord, cette réunion dans un même sentiment, 'n'est pas toujours le produit des lumières et de la liberté absolue de conscience: car, indépendamment de la corruption à laquelle ils auraient pu céder, l'un des experts, négligent ou paresseux, se sera reposé sur l'autre de tout le travail de l'expertise; ou bien il peut se trouver dans des circonstances telles qu'il ait besoin de niénager son collègue; ou enfin celui-ci aura sur l'autre l'influence que donne une plus grande politesse, un plus grand usage, uné plus grande adresse dans l'art de manier les hommes, ou bien de plus grands talens, ou une plus grande facilité de travail.

27. Dans nombre de cas, l'expertise ne peut être conclue en cominun, parce que les résultats en sont différens. Ainsi, par exemple, l'expert x aura estimé 40,000 fr. la chose C, tandis que l'expert y prétend qu'elle en vaut 60 mille.

De-là résuite la nécessité de recourir au tiers-expert z pour les départager.

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