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CHAPITRE PREMIER

L'ESPAGNE

AU DÉBUT DE SON EXPANSION COLONIALE

I

Configuration territoriale et position maritime.

L'unification territoriale de l'Espagne s'est opérée tardivement, à la veille, peut-on dire, de son expansion ultramarine. Encore cette unification était-elle incomplète et précaire: elle consistait dans l'union des deux dynasties qui étaient parvenues à grouper sous leur domination la majorité des États hispaniques. Le mariage de Ferdinand le Catholique et d'Isabelle de Castille (146) détermina un rapprochement entre les pays de la couronne d'Aragon et ceux de la couronne de Castille. Mais, en réalité, chacun de ces groupes conserva une existence indépendante et garda ses institutions propres en maintenant l'intégrité de ses frontières. Ces groupes eux-mêmes n'étaient d'ailleurs que des agglomérats de territoires très disparates par les conditions géographiques ainsi que par le caractère et la civilisation de leurs habitants (1).

Réunie de bonne heure au royaume de Léon, la Castille s'était agrandie au cours du moyen âge par ses conquêtes sur les

(1) TH. FISCHER (Geographische Skizze der Iberischen Halbinsel, dans Verhandlungen der Gesellschaft für Erdkunde zu Berlin, 1893, pp. 131-146) a bien fait ressortir les causes physiques du morcellement politique de l'Espagne.

Maures. Elle s'étendit sur tout le plateau ibérique comprenant les trois cinquièmes de la péninsule, limité au nord par les monts Cantabriques et au sud par la Sierra Morena. En dehors de ce plateau, une seule région dépendait complètement de la Castille c'était la partie de la côte cantabrique comprise entre les Asturies et la Biscaye, mettant la Castille en communication avec l'océan Atlantique, notamment par les ports de Laredo et de Santander. D'autres pays maritimes, comme la Galice et les provinces basques, furent soumis à la suzeraineté castillane, mais ils gardèrent en grande partie leur indépendance. La plaine d'Andalousie, annexée par les rois de Castille dès le XIIIe siècle, fut au contraire traitée en pays conquis, ainsi que Murcie. Au nord-est, l'Aragon, inséré dans le bassin de l'Ebre entre les Pyrénées et le grand plateau central espagnol, forma un royaume important qui s'étendit sur la Catalogne et s'annexa, au XIIIe siècle, une série de provinces musulmanes, notamment les Baléares et Valence. Le petit royaume de Navarre resta confiné dans le nord de la péninsule près du passage qui mène vers la France entre les Pyrénées et le golfe de Gascogne. Quant au royaume de Grenade, dernier vestige de la puissance musulmane en Occident, il ne comprenait que la haute Andalousie et la région côtière comprise entre la Cordillère Bétique et la Méditerranée. Ce royaume ne succomba que sous l'action combinée des deux puissances de la péninsule l'Aragon et la Castille. La croisade contre l'Infidèle absorba pour ainsi dire toute la force d'expansion de ces deux pays pendant le moyen âge. Elle présente le caractère d'une guerre presque exclusivement terrienne : elle était entreprise d'ailleurs par deux puissances essentiellement continentales. Seul l'Aragon, par l'adjonction de la Catalogne, avait pu acquérir une certaine influence dans la Méditerranée et entreprendre une guerre maritime contre les Musulmans. Par l'annexion de nouvelles provinces côtières et des grandes îles qui dépendent de la péninsule ibérique, l'Aragon entra indirectement en communication avec la Méditerranée : les marchands et les marins de Catalogne y disputèrent la prédominance aux Italiens et contribuèrent pour une grande part à

POSITION MARITIME DE LA CASTILLE

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l'extension de l'influence de la dynastie aragonaise en Italie. Mais les annexes maritimes de l'Aragon étaient exclusivement situées dans le bassin de la Méditerranée : ce n'est pas de ce pays donc que pouvait partir le grand mouvement d'expansion ultramarine de l'Espagne au début des temps modernes. Ce fut la Castille qui prit l'initiative de ce mouvement. Ce pays était, on l'a vu, essentiellement continental. Il n'avait vue sur la mer que par une étroite partie de la côte cantabrique, mais parmi ses territoires annexes il y en avait un qui s'ouvrait largement sur l'océan Atlantique la basse Andalousie, traversée par le seul fleuve navigable de l'Espagne, le Guadalquivir, et pourvue de ports fluviaux et maritimes. Le Guadiana n'est navigable qu'à une petite distance de la frontière portugaise et la région qu'il dessert, est trop accidentée et trop pauvre pour permettre l'établissement de bons ports. Au surplus son embouchure est gênée par des îles de sable (1).

A première vue, la Castille semble l'emporter de beaucoup, par ses annexes maritimes, sur le Portugal au point de vue de l'aptitude à l'expansion ultramarine. Murcie et surtout Carthagène lui donnaient accès sur la Méditerranée, le principal, sinon l'unique champ d'action des peuples commerciaux et colonisateurs de l'antiquité et du moyen âge. Grâce aux ports de la Galice, des Asturies et des provinces basques et à ceux de l'Andalousie, elle était appelée à jouer un rôle marquant dans l'Atlantique. Le Portugal n'a accès qu'à une seule mer, mais cette mer est précisément celle qui permit la grande expansion coloniale de l'Europe. La situation maritime du Portugal est, au début des temps modernes, au moins aussi favorable que celle de la Castille avec ses annexes. Les ports de Lisbonne et de Porto sont bien conditionnés et situés à l'embouchure de

(1) S'il faut en croire certains auteurs espagnols, le Tage aurait été navigable pour de petites barques au XVIe siècle jusqu'à Tolède et même jusqu'à Aranjuez. A cette époque le déboisement n'avait pas encore atteint les proportions qu'il prit dans les siècles suivants, et le régime des rivières était par conséquent plus régulier. (Voir J. J. DE CABANES, Memoria que tiene por objeto manifestar la posibilidad y facilidad de hacer navegable el Tajo desde Aranjuez hasta el Atlántico, las ventajas de esta empresa y las concesiones hachas à la misma para realizar la navegacion. Madrid, 1829.)

fleuves navigables assez loin à l'intérieur des terres; en outre ils constituent les avant-postes de l'Europe dans l'Atlantique.

Les ports dépendant directement ou indirectement de la Castille étaient plus nombreux que ceux du Portugal, mais la plupart se trouvaient isolés et séparés de la Castille par des régions montagneuses, où les moyens de communication faisaient presque absolument défaut. Ceux de la Galice et de la côte cantabrique ne pouvaient servir qu'à un commerce de cabotage leur arrière-pays était extrêmement restreint, limité par les monts Cantabriques et les terrasses de Galice qui se dressent au nord du plateau central espagnol. D'ailleurs ces ports présentent souvent des dangers à cause des récifs et peuvent être obstrués par des bancs de sable formés sous l'influence d'un courant marin qui longe la côte en se dirigeant vers l'est. Les ports les moins défavorables sont ceux situés sur les rias sortes de fjords de la Galice: Pontevedra et Vigo, la Corogne et le Ferrol.

Les ports des annexes castillanes situés sur la Méditerranée, telle l'excellente rade de Carthagène, manquaient aussi de communications fréquentes avec le centre de la péninsule à cause des obstacles inhérents à la configuration du sol. Ces ports méditerranéens étaient d'ailleurs condamnés à végéter du jour où la Méditerranée aurait cessé d'être la grande voie de communication entre l'Orient et l'Occident: ils ne pouvaient participer que difficilement au commerce océanique, car le courant de Gibraltar qui afflue constamment vers la Méditerranée, constituait un obstacle difficile à franchir pour des navires à voiles. Ce fut là une des principales causes de la décadence et de l'infériorité de tous les ports de l'est et du sud-est de la péninsule pendant les temps modernes.

Le trafic océanique n'était ouvert à la Castille que par une seule de ses annexes: l'Andalousie. Ici la côte présente sur un espace restreint un nombre de ports assez considérable, mais les meilleurs ne sont pas situés à l'embouchure du grand fleuve qui traverse la région. Cette embouchure était déjà au XVe siècle entravée par les alluvions et les sables. L'entrée en est d'ailleurs rendue difficile par une barre que les navires de

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