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LUTTE CONTRE L'ANGLETERRE

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traité d'Amiens (1802), le domaine colonial de l'Espagne se trouvait encore presque intact.

La plupart des nations colonisatrices profitèrent de la position critique de l'Espagne vis-à-vis de ses colonies américaines pour agrandir leur domaine d'outre-mer. L'Angleterre surtout se montra avide de conquêtes. Elle avait soutenu dès le début les révolutionnaires des colonies espagnoles, particulièrement le fameux Miranda, de Caracas, qui fut honoré par la presse britannique de l'époque du nom de libérateur de l'Amérique du Sud. Même après la conclusion de la paix de 1792 entre l'Espagne et l'Angleterre, Londres était resté le refuge ou plutôt l'asile des colons espagnols qui fomentaient la révolution dans l'Amérique méridionale. Cette ville devint le siège de la Gran Reunion Americana fondée par les partisans de l'indépendance des colonies sud-américaines.

Bien que l'Angleterre eut monopolisé subrepticement presque tout le commerce entre l'Espagne et l'Amérique du Sud, elle n'intervint pas d'une manière active pour déterminer la séparation immédiate des colonies espagnoles d'avec la mère patrie. Elle se contenta d'annexer à son domaine d'outre-mer l'île de la Trinité (paix d'Amiens, 1802).

La nouvelle alliance que l'Espagne conclut avec la France, eut des conséquences funestes. Napoléon garda la Louisiane en échange de concessions illusoires en Europe, un agrandissement des États de Parme en Italie au profit de la couronne. Il n'hésita pas à vendre la Louisiane aux États-Unis, malgré les protestations de la cour de Madrid. La défaite de Trafalgar (1805), qui consacra la suprématie de l'Angleterre sur l'Océan, amena la chute définitive de l'Espagne comme puissance maritime.

Le gouvernement britannique persista en apparence dans une politique pacifique à l'égard de l'Espagne : il ne se décida pas à soutenir ouvertement les révoltés dans l'Amérique espagnole, mais il autorisa sous main les entreprises de conquête de ses amiraux. Sir Home Popham se laissa séduire par les facilités et les avantages qu'offrirait pour son pays un point d'appui sur la côte de l'Amérique méridionale et, instigué par quelques colons

de Buenos-Ayres, il dirigea sa flotte vers cette ville, après s'être emparé du Cap (1806). Buenos-Ayres tomba en son pouvoir le 27 juin 1806. Cependant l'occupation du pays par les Anglais ne répondait pas plus aux vœux des colons qu'à ceux de Miranda et de ses amis. La petite garnison anglaise qui se cantonna dans la citadelle de Buenos-Ayres (11 août), fut forcée de se rendre, en présence des forces combinées des milices de la ville et de troupes espagnoles. Les renforts envoyés par l'Angleterre vinrent trop tard pour reprendre l'avantage, mais ils occupèrent Montevideo (février 1807) presque sans coup férir. Buenos-Ayres, au contraire, se défendit si vaillamment que le commandant des troupes anglaises, le lieutenant-général J. Whitelocke, dut entamer des négociations de paix avec les colons. Désormais l'Angleterre, en présence de l'attitude énergique de ceux-ci, renonça à ses projets de conquête dans l'Amérique du Sud.

Au début du XIXe siècle, le domaine d'outre-mer de l'Espagne était encore immense. Si la Louisiane en fut alors détachée, plusieurs colonies de l'Amérique du Sud se développèrent considérablement. La pénétration espagnole avait fait tant de progrès dans le bassin du Rio de la Plata, qu'en 1776 la capitainerie de Buenos-Ayres avait été érigée en vice-royauté, englobant notamment l'Uruguay, le Paraguay et la Bolivie. Un phénomène analogue s'était produit au Venezuela, qui était devenu en 1777 une capitainerie générale. Enfin la Nouvelle-Grenade avait été séparée du Pérou et érigée en vice-royauté en 1739; elle comprenait également Panama, Ecuador et une partie du Venezuela actuel.

Les territoires des missions des jésuites dans le Paraguay (réductions) qui étaient en fait indépendants, furent annexés complètement lors de la suppression de l'ordre en Espagne (1767). Leurs établissements furent confiés à des moines et devinrent partie intégrante du domaine espagnol.

L'expansion coloniale de l'Espagne était définitivement arrêtée. Au début du XIXe siècle, son empire allait s'effondrer. Les tendances séparatistes ne se manifestèrent pas encore

ÉMANCIPATION DES COLONIES CONTINENTALES

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pendant l'occupation française en Espagne (1). Il y eut bien dans les colonies des mouvements insurrectionnels, mais ils se distinguèrent par leur caractère loyaliste; ils furent surtout dirigés contre les autorités qui ne se montraient pas assez fidèles au roi légitime, Ferdinand VII (2). Le mouvement nationaliste ne prit une certaine importance qu'après la restauration de Ferdinand VII en Espagne. La politique réactionnaire qui prévalut alors, détacha de plus en plus les colonies de la mère patrie, en faisant perdre à celle-ci les sympathies des éléments créoles dont l'importance sociale n'avait fait qu'augmenter.

La perte des colonies continentales est due en grande partie à l'attitude maladroite et à l'esprit routinier du gouvernement métropolitain. Les troubles de la métropole, ballottée entre le parti militaire et le parti clérical, eurent leur répercussion dans les colonies et ce sont ces troubles qui furent la cause déterminante de leur séparation. Le domaine colonial de l'Espagne fut réduit à quelques îles, qui n'avaient jamais été considérées que comme un appendice de son grand empire continental et un trait d'union entre la métropole et les Indes.

(1) La révolution des colonies anglaises de l'Amérique du Nord n'avait presque pas eu de retentissement dans l'Amérique espagnole.

(2) En 1810, les villes du Venezuela proclamèrent leur loyalisme envers la dynastie légitime. (LALLEMENT, Histoire de la Colombie. Paris, 1826, p. 81.)

CHAPITRE III

L'ADMINISTRATION DES COLONIES

I

La direction des affaires coloniales dans la métropole.

La Castille ne possédait, avant l'époque de son expansion au delà de l'Atlantique, qu'une seule dépendance coloniale: les Canaries ou plutôt une partie des Canaries. Encore cette dépendance était-elle bien plus un fief de la couronne qu'une annexe immédiate, de sorte qu'il n'y eut pas dans la métropole, avant les découvertes de Christophe Colomb, de véritable administration coloniale. Celle-ci ne fut créée qu'au moment où furent jetés dans les Indes occidentales les fondements d'un grand empire d'outre-mer.

Dès le début, tous les territoires se trouvèrent placés sous l'autorité du souverain. Ce fut pour la couronne de Castille que Christophe Colomb et tous les « découvreurs » qui lui succédèrent, prirent possession des terres nouvelles, c'est-à-dire n'appartenant pas encore à des princes chrétiens. Ce fut au nom de la couronne de Castille que Colomb rendit la justice et créa les premières institutions coloniales conformément aux lettres patentes du 17 avril 1492 (1), qui lui conférèrent entre autres le titre de vice-roi. D'après ces mêmes lettres, ce titre devait être héréditaire dans sa famille, mais Colomb ne fut pas,

(1) NAVARRETE, Coleccion de los Viages y descubrimientos, t. II, p. 9.

LA « CASA DE CONTRATACION »

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comme administrateur, à la hauteur de la tâche qu'il avait assumée, et les souverains catholiques lui enlevèrent peu à peu les privilèges qu'ils lui avaient accordés.

D'ailleurs, dès l'année 1493, ils avaient adjoint à Christophe Colomb l'un des membres de leur conseil, Juan de Fonseca, archevêque de Séville, pour veiller aux préparatifs d'une seconde expédition vers les Indes occidentales. Ce conseiller royal fut le véritable directeur des affaires coloniales pendant la décade qui précède la création de la Casa de Contratacion (1503) ou chambre du commerce des Indes. L'exploitation commerciale des colonies était, on l'a vu, le principal objectif des promoteurs de l'expansion. Il n'est donc pas étonnant que la première institution créée dans la métropole pour gérer les affaires coloniales présentât un caractère essentiellement commercial.

La Casa de Contratacion était une sorte de bureau du commerce maritime et elle joua même le rôle d'un véritable ministère; elle devint dans la suite un conseil de justice. Elle comprenait d'abord trois membres un trésorier, un comptable (contador ou escribano) et un facteur (agent commercial) (1). Elle avait à exercer une surveillance active sur tout le commerce maritime les marchandises exportées aux Indes devaient être déclarées à la Casa et les produits des Indes devaient y être déposés. Elle délivrait les lettres patentes aux capitaines qui entreprenaient des expéditions océaniques et réglait les conditions dans lesquelles devait se pratiquer le commerce colonial; elle préparait les règlements relatifs à l'exploitation des établissements d'outre-mer. En 1511, on lui adjoignit un juge, qui prit plus tard le nom de fiscal, et dès lors la Casa eut à connaître d'un grand nombre de causes se rattachant aux affaires coloniales et maritimes (2).

(1) Les actes émanant de la Casa devaient être signés par ces trois oficiales. (Voir l'ordonnance de 1505 dans FABIÉ, Ensayo histórico de la legislación esp., P. 71.)

(2) FABIÉ, Ensayo histórico..., p. 43. La juridiction de la Casa de contratacion ne s'étendait cependant pas à toutes les affaires maritimes et commerciales. A côté de la Casa, il y avait un tribunal de commerce, le Consulado, qui était l'émanation de la corporation des marchands et qui connaissait des procès relatifs

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