LES PORTS nations européennes. Ils trouvent à la sortie du port les vents qui mènent vers le Brésil et la côte d'Afrique, tandis que les vaisseaux des nations du nord doivent d'abord franchir les parages difficiles du golfe de Gascogne. Enfin, par leur situation à proximité du détroit de Gibraltar, les ports portugais se trouvent à l'intersection des routes maritimes qui relient l'Europe septentrionale aux pays méditerranéens. Deux obstacles seulement, dus à leur position géographique, pouvaient gêner les communications de ces ports avec les côtes de l'Afrique occidentale et celles de la Méditerranée. C'étaient, d'une part, les brouillards qui fréquemment couvrent la mer entre l'Algarve et la côte d'Afrique, de l'autre, la violence du courant de Gibraltar. Le premier obstacle contribua probablement à retarder l'exploration de l'océan Atlantique au sud de l'Algarve par les marins européens. Mais il ne semble pas avoir exercé d'influence fâcheuse sur l'activité des ports portugais après la découverte de l'Amérique et de la route maritime des Indes. Le second empêcha, pendant tout le moyen âge, le développement des relations maritimes entre la Méditerranée et le nord de l'Europe. Le nombre des galères italiennes qui franchissaient le détroit de Gibraltar était très peu considérable. Cet obstacle perdit de son importance quand, dans la seconde moitié du XVe siècle, les marins substituèrent aux galères et aux navires à rame de faible tonnage, des navires plus forts se déplaçant uniquement sous l'action du vent. II 5 Situation économique. A l'époque des premières expéditions d'outre-mer, le Portugal possédait une population peu considérable. On l'évalue à moins de 1.100.000 habitants, soit environ 12 habitants par kilomètre carré (1). (1) Rebello DA SILVA, Hist. de Port., IV, pp. 415 et 647. Cette population était pauvre et aucun indice n'annonçait une prochaine amélioration de sa situation économique. L'agriculture, objet presque unique de son activité, ne lui fournissait même pas en quantité suffisante les denrées nécessaires à sa subsistance. Les famines fréquentes n'étaient conjurées que par des achats de grains à l'étranger. On estime que les cultures ne couvraient pas plus de 500.000 à 550.000 hectares, soit 7 à 8% du territoire. La majeure partie du royaume se composait de vastes domaines appartenant à la noblesse ou au clergé, qui posséi daient sur leurs fermiers les droits les plus étendus. Un des plus néfastes, selon un auteur portugais du XVIIe siècle, Severim da Faria, était de pouvoir renvoyer un fermier, même s'il cultivait bien sa terre et payait son loyer. Des charges fiscales énormes et mal réparties accablaient le paysan libre comme le fermier, exposés en outre presque sans défense aux exactions des classes dirigeantes. Les mesures législatives destinées à encourager l'agriculture produisaient souvent, par leur caractère arbitraire, un effet opposé à celui qu'on voulait obtenir. Ainsi la loi sur les terrains incultes (sesmarias), promulguée en 1375 par Ferdinand dans l'intention d'augmenter l'étendue des terres cultivées, avait rendu précaire le droit de propriété en permettant de confisquer toute terre laissée en friche par son propriétaire. Jean d'Aviz, dont le règne (1385-1433) vit le début de l'expansion coloniale du Portugal, loin de procurer à l'agriculture un meilleur régime des terres, aggrava la situation. Il donna aux nobles qui l'avaient aidé à conquérir le trône, ainsi qu'à l'ordre du Christ gouverné par un infant, de nombreux domaines qui s'ajoutèrent à la masse déjà trop considérable des latifundia. L'élevage du bétail était délaissé à cause des lois qui subordonnaient la vente du bétail hors du district à une foule de formalités gênantes et permettaient aux cultivateurs de se faire céder par les éleveurs, à un prix fixé par les autorités, les animaux de joug dont ils avaient besoin. Aussi, quoique la partie du Portugal située au nord de la sierra d'Estrella soit AGRICULTURE ET INDUSTRIE 7 bien arrosée et riche en pâturages, le bétail y était rare et la viande considérée comme une denrée de luxe (1). L'industrie textile était presque nulle. Des toiles grossières, des bures communes dont se vêtait le bas peuple, en formaient les principaux produits. Cependant, au début du XVe siècle, les districts de Beira qui bordent le Zézère, commencèrent à fabriquer des étoffes de meilleure qualité qui remplacèrent certains tissus achetés jusqu'alors en Angleterre à Bristol. Peut-être, en quelques points du territoire, travaillait-on encore la soie comme au temps des Arabes, car cette industrie est citée dans une charte de 1233, mais la fabrication des soieries n'acquit une certaine importance que dans la seconde moitié du XVe siècle. Les autres industries n'étaient pas plus prospères et, jusqu'à l'époque d'Emmanuel le Fortuné (1495-1521), les armes mêmes venaient de l'étranger (2). Le sous-sol du Portugal recèle d'excellents minerais. On! cite parmi les principaux le cuivre, le fer, le plomb, l'étain et le zinc. Il n'y avait cependant que fort peu de mines en exploitation et l'on se procurait à l'étranger les métaux dont on avait besoin (3). Les côtes, très développées, étaient habitées par une partie assez considérable de la population, qui trouvait ses moyens d'existence dans la récolte du sel marin et dans la pêche. Lisbonne, Aveiro, l'Algarve et surtout Sétubal étaient réputés pour la qualité de leur sel dont ils vendaient à l'étranger de fortes quantités. De nombreuses barques étaient occupées à la pêche de la sardine, du thon, du merlan. La pêche de la baleine, dont il est fait mention dans plusieurs documents de cette époque, était pratiquée avec le plus de succès du côté de l'Algarve. Les Portugais ne se bornaient pas d'ailleurs à exploiter leurs eaux littorales, ils se rendaient également sur les côtes de France et d'Angleterre. En 1353, Édouard III leur concéda (1) REBELLO DA SILVA, A população e a agricultura em Portugal até a primeira metade do seculo XVII. Lisbonne, 1866. (2) SCHAEFER, Geschichte von Portugal, III, p. 93. V pour cinquante ans le droit de se livrer à leur industrie dans les eaux anglaises. Ni l'outillage économique du pays, ni la configuration du sol ne favorisaient l'établissement d'un commerce intérieur actif. Les transports par voie de terre s'opéraient lentement et avec peine, faute de routes, d'animaux de bât, de moyens de traverser les rivières. A ces difficultés d'ordre matériel s'ajoutaient celles qui naissaient d'une réglementation compliquée, variant suivant les localités. Des péages multiples enchérissaient les marchandises et l'exportation des principaux produits du pays, les céréales et le vin, était soumise à une autorisation préalable des autorités municipales (1). Un trafic plus considérable se faisait par les ports maritimes. Obligé par le faible développement de ses industries, de se procurer à l'étranger les objets manufacturés dont il avait besoin, le Portugal noua de bonne heure des relations commerciales avec la France, les Pays-Bas, l'Angleterre et les pays de la Méditerranée. Différents documents du milieu du XIIIe siècle nous attestent que, à cette époque déjà, les Portugais achetaient à l'étranger des tissus, des métaux, des bois de charpente et exportaient du vin, de l'huile, du sel, des fruits secs, du poisson sec et salé et des chevaux. Dans certaines communes, les marchands qui faisaient le commerce avec la Flandre et le Levant, avaient le rang de cavaliers (cavalleiros) (2). Ce commerce se faisait en partie par des marchands étrangers établis à Lisbonne. Un diplôme de Pierre le Justicier (1357-1367), mentionne le droit concédé depuis longtemps aux marchands génois, écossais et milanais de constituer des associations commerciales. Le mariage de Jean d'Aviz, premier roi de la dynastie d'Aviz, avec Philippine de Lancastre (1387), consolida les relations d'amitié qui unissaient de longue date les cours de Portugal et d'Angleterre et, en 1389 et 1399, le roi accorda aux marchands anglais établis à Lisbonne les mêmes privilèges qu'aux Génois. (1) REBELLO DA SILVA, Hist. de Port., IV, p. 519. GAMA BARROS, Historia da administração, II, p. 172 et ss. (2) HERCULANO, Hist. de Port., IV, p. . 138. COMMERCE MARITIME De leur côté des marchands portugais fréquentaient les C. places étrangères. A la fin du XIIIe siècle et au commencement du XIV, on en trouve à Harfleur, à Rouen, à Bruges. En 1411, ils obtinrent dans ce grand port de la Flandre les mêmes privilèges que les Castillans. Mais, dans aucune de ces villes, ils n'étaient assez nombreux pour se constituer en communautés indépendantes. Même à Bruges, le centre commercial le plus important de l'Europe occidentale, ils n'avaient pas encore en 1411 de maison en propre pour loger leurs marchandises et, jusqu'en 1438, ils scellèrent leurs actes du sceau de la nation de Castille (1). Au début du XVe siècle, le commerce d'importation d'exportation se faisait principalement par Lisbonne qui jouissait de nombreux privilèges. Cependant certains autres ports, notamment ceux de l'Algarve, étaient autorisés à recevoir des négociants étrangers. Les documents publiés jusqu'à ce jour ne permettent pas d'évaluer l'importance du commerce extérieur du Portugal. Le chroniqueur Fernand Lopes dit que, vers 1 367, on exportait annuellement plus de 12.000 tonnes de vin et, qu'à certains moments, il y avait sur le Tage devant Lisbonne, quatre à cinq cents navires. Mais les évaluations des chroniqueurs du moyen âge ne reposent presque jamais, on le sait, sur des dénombrements; aussi les chiffres qu'ils citent, ne méritent que peu de créance. On s'expliquerait mal l'existence d'un commerce, important à Lisbonne au début du XVe siècle. Cette ville ne se trouvait sur aucune des grandes routes commerciales de l'époque, ce qui exclut la possibilité d'un commerce de transit. Le commerce se bornait à l'échange de marchandises étrangères contre les denrées du pays. Or, celles-ci, nous l'avons vu, n'étaient ni nombreuses, ni abondantes. Il ne s'y joignait aucun de ces produits de très grande valeur que certaines puissances commerciales se procuraient dans le Levant. Les négociants portugais fréquentaient peu les grands marchés de 11 (1) Jules THIEURY, Le Portugal et la Normandie, p. 14. - E. VANDEN BUSSCHE, Flandre et Portugal, passim. |