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Moralité de M. de Fieubet sur le même sujet :

Sic transit gloria mundi.

Figure du monde qui passe et qui passe dans un moment,
Des biens et des honneurs funeste amusement,
Dont un mortel s'enyvre et jamais ne se lasse,
De quoy sert cet éclat à l'heure de la mort
Qui ne peut ny changer ny retarder son sort.
Louvoy nous en fournit une preuve éclatante
Qui du conseil du Roy s'est trouvé saus milieu
Transporté tout d'un coup au tribunal de Dieu,
Des grandeurs d'icy bas catastrophe étonnante.
Après ces grands emplois à quoy bon taut courir?
A mille soins fâcheux cet embarras nous livre,

Et quand un grand seigneur n'a pas le temps de vivre,
Il trouve rarement le temps de bien mourir.

Gaspard de Fieubet, l'auteur de ces vers, après avoir été chancelier de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, ferme de Louis XIV, puis conseiller d'Etat, se retira, en 1691, dans une maison de l'enclos des Camaldules de Grosbois, à quatre lieues de Paris, où il mourut en 1694.

Ce mème Fieubet est auteur de la fable: Ulysse et les syrènes, qui eut une certaine vogue lorsqu'ele parut. On lui doit aussi l'épitaphe de Saint-Pavin et celle de Pescartes, qui se trouvait autrefois sur une colonne supportant le beste de ce grand homme, érigée sur son tombeau dans l'église de Sainte-Geneviève du Mont et transférée plus tard au musée des monuments français. Nous pensons que cette liste renterme à peu près tout le bagage poétique de ce conseiller d'État, plus connu par ses liaisons avec plusieurs hommes de lettres de son temps, que par ses petites pièces de poésies qui cependant sont pleines de naturel et de légèreté. Voici l'épitaphe de Descartes :

Descartes, dont tu vois icy la sépulture,
A des illé les yeux des aveugles mortels;

Et gardant le respect que l'on doit aux autels,
Leur a du monde entier démontré la structure.
Son nom par mille écrits se rendit glorieux;
Sou esprit, mesurant et la terre et les cieux,
En pénétra l'abîme, en perça les nuages;
Cependant, comme un autre, il cède aux lois du sort,
Lui qui vivrait autant que ses divins ouvrages,

Si le sage pouvoit s'affranchir de la mort.

P. PINSON.

POÉSIES EN PATOIS LIMOUSIN

De J. Foucaud; édition philologique complètement refondue et augmentée, par M. ÉMILE RUBEN, conservateur de la Bibliothèque de Limoges, secrétaire général de la Société archéologique du Limousin. Paris, 1866, in-8.

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Tous les amis des bonnes études accueilleront avec plaisir le volume que nous sigualons, et il serait fort à désirer que d'autres auteurs, qui ont fait usage d'un dialecte provincial, fussent publiés à Paris avec autant de soin, de zèle et d'intelligence. Foucaud est un des meilleurs poëtes qui aient voulu, pour donner cours à leur pensées, rester fidèles à ces idiomes locaux, si chers à Charles Nodier, et que l'ignorance croit flétrir en leur donnant le nom de patois. Il serait facile de démontrer qu'il y a souvent dans ces dialectes rustiques et populaires bien plus d'originalité, de séve, d'idiotisines parfois gracieux, parfois énergiques et pittoresques, que dans la langue académique; mais cette discussion nous menerait beaucoup trop loin.

Ce qui n'est pas douteux, c'est que les patois s'effacent et disparaissent; chaque année, ils perdent du terrain; les chemins de fer, l'instruction primaire les battent en brèche; ils font place à un mauvais français qui les remplace fort imparfaitement. Il faut se hâter de les étudier, tant qu'il en reste encore quelques traces, et un des meilleurs services à rendre à cette étude indispensable aux progrès de la philologie française, c'est, de donner de bonnes éditions des meilleures œuvres qu'ils ont produites.

Une fort bonne notice, tracée par M. Othon Péconnet, avocat à Limoges et aujourd'hui maire de cette ville, fait connaître la vie de Jean Foucaud, né en 1747, mort le 14 janvier 1818. La plus importante de ses productions, c'est sa traduction en vers limousins d'une centaine de fables de La Fontaine. Le mot traduction n'est d'ailleurs pas exact. Foucaud ne traduit point les apologues du Bonhomme;

il en emprunte le titre et la donnée générale; il en façonne ensuite de nouveau tous les détails, ne suivant d'autre guide que son caprice; il paraphrase ou il resserre; il sème à pleines mains des traits imprévus qui ont une physionomie franche et piquante, qui offrent une saveur singulière et comme un goût de terroir. Les images se succèdent rapidement et font tableau. Parfois de la trivialité, nous en conviendrons; mais le poëte limousin avait en vue des auditeurs peu difficiles; il ne voulait pas être plus difficile qu'eux, et il était bien certain de provoquer les plus bruyants éclats de rire.

Parfois Foucaud fait un usage heureux d'un petit vers qui court avec une rapidité charmante:

Un renar
Sur lou tar
Se cantoune
Soû no toûne
De musca
Delica,

Boun et beu

Bien rousseau

Traduction.

Un renard, sur le tard, se cantonne, sous une tonne de muscat, délicat, bon et beau, bien roux, bien mûr, pour sûr.

Plo modur

De segur.

Foucaud ne s'est pas borné à écrire des fables; il a reproduit deux odes d'Horace; il a composé des chansons qui sont populaires dans la province. Nous ne voulons point exagérer la valeur poétique de ces productions; nous dirons seulement qu'elles méritent fort d'être lues et qu'elles seront appréciées de tous les connaisseurs. Bien des gens sont, il est vrai, hors d'état de comprendre le dialecte lui-même; mais le nouvel éditeur a prévu cette difficulté. En regard du texte est une version en français.

Le volume en question a d'ailleurs d'autres titres à l'estime publique que les vers de Foucaud, quelque recommandables qu'ils soient.

Parfaitement instruit de tout ce qui concerne l'idiome du Limousin, ayant pour lui cet attachement dévoué qui donne un courage inébranlable, M. Ruben a joint aux œuvres de l'auteur qu'il fait revivre quelques travaux importants en leur genre et fort estimables.

C'est d'abord une étude sur le patois limousin. Elle occupe 64 pages; on comprend qu'elle n'est pas susceptible d'analyse. Des détails sur les sons et sur les signes représentatifs, des observations grammaticales ne peuvent être indiqués que dans un écrit spécial. Ce que nous pouvons du moins affirmer, c'est que de bons juges en cette matière s'accordent à reconnaître qu'il serait difficile de mieux résoudre les difficultés qui surgissent en pareille matière.

Un glossaire succinct, mais substantiel, dégagé de détails superflus, attirera l'attention des personnes qui s'occupent de la linguistique.

Observons aussi qu'à chaque page, à l'occasion des mots patois qu'offrent les vers de Foucaud, l'éditeur place des notes, souvent étendues qui démontrent une érudition variée et solide, une connais sance intime de la langue romane, du provçenal, des divers idiomes de la France. Il y a là un travail des plus considérables et des plus méritoires; les philologues sauront l'apprécier.

Signalons surtout, comme ayant une véritable portée littéraire et philologique, la notice sur quelques imitations patoises des fables de la Fontaine. Foucaud est loin d'être le seul rimeur provincial qu'ait séduit la grâce inimitable de l'immortel fablier. Des poëtes béarnais, gascons, languedociens, nîmois, auvergnats, etc., ont voulu faire passer dans l'idiome de leur patrie la Cigale et la Fourmi, et tant d'autres petits chefs-d'œuvre. M. Ruben nomme vingt-un auteurs qui sont entrés dans cette carrière, et il en existe plusieurs autres. Pas un n'a voulu traduire; tous ont modifié leur modèle, le développant parfois avec quelque prolixité, réussissant plus ou moins dans leur entreprise; mais il n'en est pas un qui ne se fasse lire avec plaisir, lorsqu'on est en état de le comprendre.

C'est une portion curieuse et peu connue de l'histoire littéraire, et il y a un intérêt réel à comparer les caractères des divers idiomes et la façon dont ils ont été mis en jeu. Ces rapprochements sont maintes fois fort piquants, et nous regrettons que les limites dans lesquelles nous devons circonscrire cette notice, ne nous permettent pas d'en offrir quelques échantillons. Laissons, non sans regret, aux amateurs le plaisir de découvrir eux-mêmes ce que nous ne pourrions leur indiquer que fort imparfaitement.

Le travail de M. Ruben avait déjà vu le jour, il y a quelques années; il reparaît amélioré et avec des développements nouveaux. Peut-être, en le replaçant plus tard une troisième fois sous les yeux des curieux, l'auteur jugera-t-il convenable de l'étendre encore. Il pourra dire quelques mots, ne fût-ce qu'au point de vue bibliographique, des efforts qui ont été tentés pour familiariser La Fontaine avec les langues basque et bretonne, avec quelques dialectes du nord et de l'est de la France.

Nous avons consciencieusement fait l'éloge de l'édition des Œuvres de Foucaud, parce que nous avons la conviction que, depuis longtemps, il n'a paru aucun ouvrage susceptible de rendre plus de services aux études patoises; toutes les personnes en état d'apprécier ce volume partageront très-certainement notre avis.

Gustave BRUNET.

DOCUMENTS

SUR LES FABRIQUES DE FAIENCE DE ROUEN

Recueillis par Haillet de Couronne, et publiés par Léopold DELISLE, membre de l'Institut. (Chez A. Aubry.) Un vol. in-42, Prix, 2.50

Dans un des derniers numéros de la Revue de Normandie, M. Gouellain, en rendant compte de l'ouvrage que nous annonçons, a fait précéder son appréciation des lignes suivantes :

« Le mouvement qui porte aujourd'hui les esprits à la recherche des « monuments du passé se manifeste non-seulement dans un public « spécial, celui des collectionneurs de profession, nous le retrouvons «encore très-intense dans un milieu fermé d'ordinaire aux préoccupations de la mode et dont les études sérieuses sur des sujets impor«tants sont l'unique but et la seule pensée. »

Nous nous garderons bien de contester l'exactitude de l'observation, la brochure de M. Delisle est, en effet, un signe du temps, et c'est, pour notre part, avec plus d'intérêt encore que de surprise, que nous avons vu le savant auteur des Études sur la condition des classes agricoles en Normandie au moyen áge et du Catalogue des actes de Philippe Auguste quitter les sentiers austères de la haute érudition pour apporter son utile concours à l'histoire des faïenceries normandes.

Les documents précieux qui composent ce volume forment à la Bibliothèque impériale le no 339 du fonds français des nouvelles acquisitions et proviennent des papiers de Haillet de Couronne. Ce lettré encyclopédiste, dont M. Delisle en quelques pages substantielles a fait ressortir vivement la vraie physionomie, s'intéressait d'une manière particulière aux origines du commerce et de ses diverses industries nationales. Peu satisfait des renseignements que les livres pouvaient lui fournir, il se livra, sur tous ces sujets, à de véritables enquêtes officieuses, en faisant appel tour à tour aux savants les plus autorisés, aux chefs de fabriques et quelquefois même à de simples ouvriers. Les réponses qui lui furent adressées sur les faïences rouenpaises nous ont été en partie conservées, et ce sont elles que M. Léopold Delisle a eu l'heureuse inspiration de soumettre à l'appréciation du public. La première pièce de ce curieux dossier est un extrait des registres du parlement de Rouen, constatant l'opposition mise par Poterat à l'établissement d'une faïencerie rivale de la sienne dans le faubourg Saint-Sever. C'est là un des nombreux épisodes de cette lutte

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