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Bavarois... On peut presser sa marche... Dans quatre ou cinq jours j'aurai soixante mille hommes, et je recommencerai la bataille.

MAN.

Feld-maréchal...les ordres sont partis !... Faut-il 5 commencer la retraite ?

ΙΟ

15

SOU., avec colère et de façon à être entendu de tout le monde. Souworow ne bat pas en retraite!... Il va rejoindre les débris de Hotze et de Korsakow...et réparer les sottises des généraux d'antichambre !

[Il saute brusquement à cheval et sort au galop. Les officiers d'état-major le suivent. Le tambour bat de tous côtés. Les soldats mettent leurs sacs, prennent leurs fusils, etc. Grand mouvement. A peine les tambours russes ont-ils fini leurs roulements sourds, qu'on entend au loin, à gauche, dans le silence de la nuit, s'élever le chant de "la Marseillaise"

Allons, enfants de la patrie,

Le jour de gloire est arrivé...]

SEPTIÈME TABLEAU.

LE PARLEMENTAIRE.

Un village dans la gorge du Klonthâl. Au fond, la maison du bourgmestre occupée par Molitor; devant la maison, un jardin. A droite, sous un grand hangar en planches, se tient la cantine. On 5 chante, on rit, les verres et les bouteilles tintent; on ne fait qu'entrer et sortir. A gauche, en montant, se prolonge la rue jusqu'au défilé de Glotten, qu'on aperçoit. Au-dessus du défilé s'étendent les cimes des montagnes. C'est une scène matinale, au petit jour. Quelques lumières brillent encore à la cantine et dans la maison du 10 fond. Un poste de garde est en train de se faire la perruque : une file de soldats, à cheval sur un banc, se ficellent la queue l'un à l'autre. Plusieurs essayent des effets d'habillement, qu'ils tirent de sacs autrichiens, enlevés au combat de la veille contre Linken. Une sentinelle se promène, l'arme au bras, devant le jardin. Le 15 drapeau français flotte sur la maison du fond.

SCÈNE I.

LE SERGENT GAUCHÉ, LE SOLDAT RABOT, D'AUTRES • SOLDATS.

LES SOLDATS, fredonnant, en se ficelant la queue.
Dansons la carmagnole,

Vive le son... vive le son...
Dansons la carmagnole,

Vive le son du canon!

20

Des 25

LE SERGENT, fouillant dans un sac autrichien. bouffettes!...Excusez... Il avait des bouffettes roses, le kaiserlick! (Se retournant et s'adressant à l'un des soldats.) Philidor, tu vas mettre cet ornement à ma queue...j'aurai l'air d'un garçon de noce.

[Tous rient.]

UN SOLDAT. Vous feriez mieux de les donner à la citoyenne Marie-Anne, sergent.

LE SERGENT. C'est une idée...nous verrons ça. (Continuant à fouiller.) Et du savon!...Du savon...un peigne..... 5 des rasoirs!...Ah! gueux d'Autrichiens, ils s'en passent des agréments en campagne !

[Plusieurs se lèvent et viennent regarder; d'autres les remplacent sur le banc.]

LE SOLDAT RABOT, ouvrant aussi son sac. A mon tour... 10 Je vais voir s'il y a moyen de se renipper.

UN AUTRE. Encore une ou deux rencontres avec Linken et Jellachich, et toute la brigade Molitor aurait été remontée de fond en comble.

LE SERGENT. Et sans compromettre le trésor de la Ré15 publique! (Ramenant une brosse.) Une brosse à dents !... non, une brosse à cirage. Il se cirait les bottes, le muscadin! (Grands éclats de rire. Le sergent se lève et regarde autour de lui, d'un air comique et solennel.) Ça, camarades (Il montre la brosse), ça prouve que le kaiserlick 20 avait des bottes au fond de son sac. C'est démonstratif... Ouf! (Il se baisse, bouscule tout et tire du fond du sac une paire de bottes par les oreilles. Il les montre à la ronde.) Ah! fichtre! je les tiens...(Regardant les soldats penchés autour de lui;-d'un air grave.) Nous allons les essayer... 25 Qu'en pensez-vous? Attention aux projectiles! (D'un coup de pied, il lance ses vieux souliers éculés à droite et à gauche, puis il s'assied au bout du banc, en tirant ses bottes avec force grimaces.) Ah! gueux de kaiserlick, ça devait être un fils de famille... Tous les fils de famille ont de petits 30 pieds, à cause des mois de nourrice... Canaille !...

[Pendant ce temps, le soldat RABOT a tiré de son sac avec colère une foule de vieilles guenilles; l'indignation est peinte sur sa figure.) UN SOLDAT, criant. Hé! vous autres, regardez donc le 35 sac de Rabot. [Tous se retournent.] RABOT, rejetant du sac un tas de guenilles. Ce n'est pas le sac d'un Autrichien, ça... C'est le sac d'un sans-culotte... volontaire de la République... Le kaiserlick m'a mis [Tous rient.]

RGENT, se promenant après avoir mis les bottes. J'y

suis! (Se tournant vers les soldats d'un air goguenard.) Vous les trouverez toujours sur le chemin de l'honneur !... Paroles mémorables d'un ci-devant plumet-blanc. Je les adjuge à mes bottes... Elles en sont dignes!

RABOT, vidant son sac avec fureur. Je n'ai jamais eu de chance!

UN AUTRE. Encore, si ce n'était pas la fin de la danse, tu pourrais te rattraper... Mais allez courir après les sacs de Linken, ha ha! ha!

RABOT, jetant le sac.

Canaille de kaiserlick !...

Déci

LE SERGENT, après avoir fait deux ou trois tours. dément, elles ont été faites pour moi. (Se tournant vers les soldats.) Ah çà, camarades, voyons le reste...(Il retourne son sac.) Deux chemises de rechange...rien que ça...ha! ha! ha! Il connaissait mon amour du beau linge !... Et des bas...des bas blancs, tricotés comme par ma grand'mère !... (Se relevant et s'essuyant le coin de l'œil.) Ce souvenir m'attendrit. Il avait peur des rhumes de cerveau, le bon kaiserlick!...ha! ha ha!

5

ΙΟ

15

[Les soldats éclatent de rire. La cantinière paraît sous 20 le hangar à droite, et regarde.]

SCÈNE II.

LES PRÉCÉDENTS, LA CANTINIÈRE MARIE-ANNE. LA CANTINIÈRE. Qu'est-ce que vous avez donc à rire, vous autres ?

LE SERGENT, criant. Hé! payse, arrive un peu contempler les trophées de la victoire !

MARIE-ANNE, arrivant. Qu'est-ce que c'est ? LE SERGENT. Tiens...regarde, citoyenne; qu'est-ce que tu penses de ça ?

MARIE-ANNE. Du savon...des bouffettes...un peigne... Oh! Gauché, tu vas me faire un don patriotique. J'ai perdu mon peigne, j'ai usé mon savon depuis thermidor.

LE SERGENT. Hé! hé! comme tu y vas, payse !...Les bouffettes, oui...c'est un ornement du beau sexe...mais le savon...le peigne...motus.

MARIE-ANNE. Oh! le beau linge! Qu'est-ce que tu demandes de ces chemises?

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၁၁

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LE SERGENT. Elles sont en réquisition pour le service du sergent Gauché, citoyenne.

MARIE-ANNE. Si tu me les consacres, Gauché, je suis capable de te sauter au cou.

5 LE SERGENT. Ça me flatterait, payse, oui!... Mais vu l'état du fourniment et l'arriéré de la solde, je suis forcé de les rempaqueter pour le fils de maman... ..Ça me saigne le cœur ! MARIE-ANNE. Au moins, donne-moi le savon?...

LE SERGENT. Et qu'est-ce qui fera la barbe du sergent 10 Gauché? (Se levant d'un air solennel.) Marie-Anne, vous êtes ambitieuse : l'ambition perd les États. Mais, nonobstant l'observation, je vous consacre mon savon, à cette fin que vous versiez un petit verre aux hommes du poste, après la garde. Ça va-t-il ?

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MARIE-ANNE. Ça va! (Ils se donnent la main. Elle reçoit le savon, qu'elle fourre dans sa poche. Le sergent ferme son sac. MARIE-ANNE regarde les autres.) Vous voilà tous renippés.

UN SOLDAT. Oui, citoyenne, nous avons tous de bons 20 souliers autrichiens.

UN AUTRE. Ah! si l'on pouvait mettre les capotes et les culottes des kaiserlicks (Il montre une capote autrichienne), nous serions des mirliflores!

MARIE-ANNE, riant.

Hé ils ont tous des chemises et 25 des souliers... Ah! les gueux, les voilà remplumés pour longtemps..

LE SERGENT. Et ça ne coûte rien à la République une et indivisible; c'est le citoyen François II qui se charge des fournitures.

30 MARIE-ANNE. Ha! oui, mais il était temps...il était temps !

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UN OFFICIER, Sur le seuil du hangar, appelant. MarieAnne?

MARIE-ANNE. Voici, lieutenant, voici. [Elle rentre.]

SCÈNE III.

LES PRÉCÉDENTS, moins LA CANTINIÈRE.

LE SERGENT, se retournant et regardant RABOT tout déconfit. Quant à toi, Rabot, vu la débâcle de Korsakow,

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