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LE COS., d'une voix brusque. passer un homme ?

LA SENTINELLE, se retournant.

l'estafette, il est reparti.

Sentinelle, tu n'as pas vu

Un homme à cheval,

LE COS., avec fureur. L'estafette, c'est moi! Le pope 5 est un voleur ! (4 HATTOUINE.) Je te dis, femme, que ce pope est un voleur.

HAT. Il avait l'air d'un si brave homme.

LE COS., criant plus fort. Je veux ravoir mon cheval, mon manteau !...Sentinelle, m'entends-tu, c'est toi qui me 10 réponds de tout !...

[L'officier sort brusquement de la grange; les soldats endormis se lèvent, puis d'autres sortent des étables, d'autres arrivent par le fond: la scène s'encombre.]

SCÈNE XIV.

LES PRÉCÉDENTS, L'OFFICIER D'ÉTAT-MAJOR,
puis SOUWOROW.

L'OFFICIER. Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi ces cris? LE COS. On a pris mon cheval, mon manteau, mes pistolets, capitaine.

L'OF. Qui?

LE COS. Un misérable pope...un voleur !...

SOUWOROW, sortant avec précipitation. Un pope a pris ton cheval...quand ?.......où ?.......

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LE COS., consterné. Feld-maréchal, il était là, sous le 25 hangar, il se chauffait...Je me suis approché quelques instants...j'avais attaché mon cheval à ce pilier...et puis, quand le feld-maréchal m'a fait venir, il a profité...

Sou., brusquement. Avant d'entrer, tu t'es approché du feu ?

LE COS. Oui, feld-maréchal.

Sou. Tu as parlé...qu'est-ce que tu as dit? (Le cosaque paraît consterné.—A HATTOUINE.) Qu'est-ce qu'il a dit?

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HAT. Ne te fâche pas, Basilowitche, mon fils, il n'a rien dit...Il a dit que les républicains étaient tournés, et que 35 demain Auffemberg tomberait dessus par derrière.

SOU., avec explosion. Il a dit cela!... Ce pope est peutêtre un espion...(Il s'élance le bras levé, pour frapper; le

cosaque croise les mains sur la poitrine et courbe la tête.) Misérable, je te casse. (Lui arrachant son sabre.) Tu es trop bête pour porter des dépêches, tu porteras le sac... (Criant.) Qu'on coure après ce pope...il me le faut... (A HATTOUINE.) 5 Quelle est la couleur de son cheval?...

[Un officier entre au galop, suivi d'une douzaine de cosaques,
et s'avance vers SOUWOROW, chapeau bas.]

HAT. C'est un cheval blanc, Basilowitche...

Sou., à l'officier. Un homme déguisé en pope, monté 10 sur un cheval blanc, avec un manteau de cosaque...il me le faut dans vingt minutes...Allez !... (L'officier sort au galop. SOUWOROW se retourne vers le cosaque, qui est resté la tête penchée et les mains croisées sur la poitrine.) Une estafette se laisser prendre son cheval, son manteau, ses pistolets... 15 (S'exaltant à mesure qu'il parle.) bavarder dans le service comme une femme...raconter les mouvements de l'armée au premier venu...compromettre le succès des opérations... (Apercevant un caporal en face de lui.) Caporal, cinquante coups de knout à cet homme !...

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LE COS., tombant à genoux, les mains étendues. Père... pardonne à ton fils !.......

[Grand silence. Le caporal s'approche, le knout à la main.
Arrivé près du cosaque, il tourne la tête vers Sou-
WOROW, et semble l'interroger du regard.]

Sou., d'une voix rude, la main étendue. Frappe !...
[Le caporal leve son knout... Quelques coups de feu retentis-
sent au loin, à gauche.]

1

CINQUIÈME TABLEAU.

LA DÉFENSE DU PONT.

La petite place d'Andermatt; elle est entourée de vieilles maisons à la

mode suisse: Galeries et escaliers extérieurs sur piliers, toitures
plates chargées de pierres, etc. L'auberge du Cheval-Blanc à
5
droite; pont au fond, d'une seule arche, sur la Reuss. Le jour
arrive, ses premières lueurs brillent sur les glaciers à l'horizon; la
place est déserte. Un paysan à cheval traverse le pont au galop,
en criant d'une voix traînante :-Levez-vous, habitants d'Ander-
matt, levez-vous !...l'ennemi s'avance...levez-vous !-Il traverse la 10
scène, et frappe à coups redoublés aux volets de l'auberge. Une
fenêtre s'ouvre au-dessus de la porte cochère; l'aubergiste Jacob,
en bras de chemise, se penche et regarde.

SCÈNE I.

KASPER EVIG et L'AUBERGISTE JACOB.

JACOB, criant de sa fenêtre. Qu'est-ce qui fait ce bruit dans la nuit? qu'est-ce qui réveille le village?

KASPER. C'est moi, maître Jacob, Kasper Evig, le fils de l'aubergiste de Hospenthâl, votre cousin ; levez-vous bien vite...pas une minute à perdre!

[On voit des volets s'ouvrir à droite et à gauche, et des gens se pencher pour entendre.]

JACOB. Qu'est-ce qui se passe donc, Kasper?
KASPER. Les Russes arrivent !

JACOB, d'un air étonné. Les Russes?

KASPER. Oui, maître Jacob, ils descendent du SaintGothard, ils remplissent déjà la vallée d'Urséren. Levezvous, rassemblez votre bétail, sauvez-vous dans la montagne,

LA GU.

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ne perdez pas de temps! Ils arrivent...ils pillent tout, ils dévorent tout!...mon père m'a fait monter à cheval pour vous prévenir.

JACOB, se retournant et criant dans sa chambre. Katel, 5 habille-toi...les ennemis s'approchent !

ΙΟ

UNE VOIX DE FEMME, répondant. Oh! mon Dieu! ça ne finira donc jamais!

[Grande rumeur dans le village: les portes s'ouvrent, les habitants sortent; l'aubergiste et sa femme paraissent aussi, à demi-vêtus.]

SCÈNE II.

LES PRÉCÉDENTS, LES HABITANTS DU VILLAGE à demi-habillés.

UN HABITANT. Ce n'est pas possible, les Russes! 15 Qu'est-ce qui a jamais entendu parler des Russes dans la vallée d'Urséren?

UN AUTRE. Les Russes sont à quarante lieues d'ici, du côté de Zurich, avec leur général Korsakow.

KASPER. Je vous dis qu'ils ont passé le Gothard...Ils 20 arrivent d'Italie... C'est Souworow qui les commande...Les républicains se sont battus là-haut contre eux hier toute la journée; mais les autres étaient dix contre un, et les républicains ont fini par se retirer sur le mont Furca, dans les glaciers, avec le général Gudin. Maintenant les Russes 25 descendent; leurs baïonnettes couvrent la route à plus d'une lieue. Ce sont des sauvages qui pillent tout...Voilà ce que je vous dis; si vous ne voulez pas me croire, tant pis pour vous; dans une heure, ou peut-être avant, vous verrez si j'avais raison.

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[Tous les habitants, après avoir écouté en cercle, lèvent les mains d'un air désolé.]

KATEL. Seigneur, ayez pitié de nous!

UNE FEMME. Ce n'est pas assez d'avoir eu les Autrichiens et les Français! Il fallait encore voir arriver les 35 Russes!

JACOB. Oui, c'est une abomination; si cela dure, nous irons tous mendier!

UN HABITANT. Ah! les gueux...la canaille...si nous pouvions nous défendre!

UN AUTRE. Tais-toi, Yokel; qu'est-ce qu'une poignée de malheureux Suisses peuvent faire contre tous les brigands du monde !...

[En ce moment, d'autres fuyards traversent le pont en criant:-Les Russes arrivent !]

KASPER, montrant ces gens. Vous entendez... Qu'est-ce que je vous ai dit?

SCÈNE III.

LES PRÉCÉDENTS, LES FUYARDS arrivant de Hospenthål.

UN FUYARD, criant. Tous les villages sont inondés !... Votre tour va venir...Apprêtez-vous !.......

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ΙΟ

UN AUTRE. Oui, c'est comme le déluge; ils descendent dans les Lignes Grises, par Tavetsch et Dissentis; ils 15 s'étendent dans le Valais per Réalp; ils s'avancent dans la vallée d'Urséren... C'est fini...Tout est perdu!

[Ils traversent la place en courant.] D'AUTRES, au loin. Ils arrivent !...ils arrivent ! JACOB, d'une voix forte. Tous ces cris ne servent à rien. 20 Niclausse, cours chez le pâtre; qu'il sonne tout de suite de sa corne pour réunir le bétail. (NICLAUSSE sort en courant.— A la foule :) Tâchons de sauver le bétail. Quand on a des vaches, on a du lait, du beurre, du fromage; quand on a des bœufs, on a de la viande... On ne meurt pas de faim !... 25 Tous. Oui, oui, sauvons le bétail...Le bourgmestre a raison, il faut sauver les bêtes !

JACOB. Nous conduirons le troupeau sur le Gurschen, près du glacier; l'ennemi n'osera jamais s'avancer jusque-là. Chacun prendra son fusil; il faut se défendre. KASPER. Oui, mais qu'on se dépêche, il est temps ! [La foule se disperse.]

JACOB, criant. Et que chacun attelle sa charrette; qu'on

charge tout ce qu'on pourra, les lits, les meubles...

La

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PLUSIEURS, courant. Oui, bourgmestre, soyez tranquille. 35
[On entend sonner la corne à l'autre bout du village.
foule se disperse. JACOB et KASPER vont entrer dans
l'auberge.]

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