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N'y trouvant pas des longues & des brèves, ausli marquées & distinctes que dans les Langues Grecque & Latine, on s'est hâté de conclure qu'elle n'avoit ni ne pouvoit avoir de Prosodie, & dès lors on ne s'est pas donné la peine d'en chercher & d'en établir les règles; la seule à laquelle on s'est tenu c'est de consulter l'oreille. Quelques Littérateurs du 16e, liècle, Pasquier, Ramus, Henri Etienne, & d'autres réclamèrent à la vérité contre ce préjugé; mais ils le combattirent mal. Pleins des idées & des principes qu'ils avoient puisés dans les Grammairiens Grecs & Latins, ils voulurent les transporter dans la Langue Françoise, sans faire attention qu'elle est d'une nature toute différente. Iis alièrent jusqu'à se donner la peine de faire des vers mesurés selon cette profodie, ils trouverent même ces vers admirables. Pasquier en a inséré plufieurs pièces dans ses Recber. ches de la France , & a cru rendre un grand service à la langue & à la nation. Quelque peu formé que le goût fût encore alors, il l'étoit pourtant assez pour sentir le ridicule d'une pareille entreprise : elle échoua pleinement, & ne méritoit assurement pas d'autres succès, Mais il en est résulté un mal, parce que ces premiers essais ne réussirent pas, on a cru inutile d'en center d'autres, & à force d'entendre répéter que la Langue Françoise n'avoit pas de Profodie, on s'eft persuadé qu'elle n'en Tome XXI. Part. I. G

pou.

pouvoit avoir; que ce qu'on apelloit harmonie dans le discours, étoit à peu près purement arbitraire, ne dépendoit que de I'oreille, & qu'il ne fauroit être assujetti à aucune règle. Les exemples que de grands Poëtes, & d'illustres Orateurs avoient donnés se faisoient lire avec plaisir; on les admiroit, mais ils n'ouvroient les yeux à personne. Enfin Mr. l'Abbé d'Olivet eut le courage de combattre ce préjugé; il fit voir dans son excellent Traité de la Profodie Françoise, que cette Langue, ayant des syllabes essentiellement longues ou brèves étoit susceptible de cadence, d'harmonie, & de mesure; qu'elle pouvoit avoir une profodie établie sur des règles sûres, & non équivoques, quoique différentes de celle des Grecs & des Romains. Mr. DE M. adopte les principes & y en joint d'autres, qu'il développe allez au long en deux Cha. pitres de cette Poétique. Ceux que cette matière a droit d'interesser, aimeront fans doute à recourir à l'Ouvrage même, ils y trouveront de quoi se satisfaire; les autres nous sauront vraisemblablement gré de leur épargner des discussions, dont nous ne viendrions peut-être pas à bout de dérober la fécheresle, comme le fait Mr. De M. & par la manière de dire les choses, & par les exemples qu'il cite. On les lit toujours avec un nouveau plaisir, mais nous ne saurions les transporter ici. Laillant donc-là ces détails, nous reve

nons

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nons avec l'Auteur à la théorie générale de l'Art. ll va nous parler de l'invention; rien de plus grand & de plus magnifique que ce qu'il en dit, rien de plus propre à juftifier cette pensée de Scaliger parlant de la Poélie: elle semble disposer des choses avec le plein pouvoir d'un Dieu, Videtur fane res ipfas velut alter Deus condere. E. coutons le;” S'emparer des causes secon

des, dit-il; les faire agir dans la pensée selon les loix de leur harmonie; réali. ser ainsi les possibles; rassembler les dé

bris du passé; hâter la fécondité de l'a. », venir ; donner une existence apparente

& sensible à ce qui n'est encore & ne » sera peut-être jamais que dans l'essence

idéale des choses, c'est ce qu'on appelle ,, inventer, ” Cela sans doute est très beau, mais où est l'homme capable d'in. venter ainsi? où sont ceux pour lesquels il inventeroit ? " Le génie poétique ne fut

il pas limité par la propre foiblesse, & » par le cercle étroit de ses moyens, il le

seroit par notre manière de concevoir & de sentir. Le spectacle qu'il donne est fait pour nous, il doit pour nous plaire

se mesurer à la portée de notre vue. On n'imagineroit pas que ceci pût être employé à justifier Homere, du reproche qu'on lui fait d'avoir fait des hommes de ses Dieux, il l'est pourtant par Mr. DE M,

Et que vouloit-on qu'il en fit, demande» tuil, ayant à les peindre à des hommes”?

G 2

Nous

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Nous demandons à notre tour , si Mr. DE M. a pu croire qu'on prendroit

cette question pour un bon argument ? Quoi ! parce qu'on peignoit à des hommes, on n'a pu leur presenter pour Dieux, que des êtres qui eussent, avec toutes leurs petitesses, très peu de leurs vertus! il en a fallu nécellairement faire des hommes foibles & méchaps! car voilà ce que sont presque toujours les Dieux d'Homère. Voyez en. core pag. 414. Mr. de M. semble un peu s'y rapprocher de ce que nous disons ici. Inventer, continue - toil , ce n'est

donc pas se jetter dans des poflibles aux,, quels nos sens ne peuvent atteindre;

c'est combiner diversement nos percep,, tions, nos affections, ce qui se passe au

milieu de nous, autour de nous, & en , nous mêmes.” On se tromperoit si l'on croyoit que ce soit là copier. Découvrir, développer dans les objets ce que n'y voic pas le commun des hommes, composer un tout ideal & nouveau d'un assemblage de choses connues, ou donner à un tout existant une grace, une beauté nouvelle : c'est inventer, c'est créer en quelque sorte; c'est être Poëte, ou Homère & Corneille ne le sont pas; c'elt l'explication & la décision de notre Auteur. Comment en dilposant, en arrangeant un sujet connu, on peut cependant encore avoir la gloire d'inventer, dans le sens qu'on vient de dire, Mr. De M. le montre au long par quelques exemples , & sur tout par une très belle exposition du plan de l'Héraclius du grand Corneille, la pièce la plus compliquée, & peut être la mieux combinée , & la mieux conduite qui soit au Théatre François.

La Poésie est un art d'imitation, mais que doit-elle imiter? Mr. M. ne paroit pas content de ce que l'on a dit jusques ici sur ce sujet. Nous ne voyons pas cependant qu'il y substitue rien de nouveau: il combat les syftêmes & les réflexions de ceux qui l'ont précédé, puis il y revient pourtant en d'autres termes, & fingulièrement, au moins à ce qu'il nous semble, au principe de Mr. l'Abbé Batteux, qu'il ne traite cependant pas avec plus de ménagement qu'un autre. , On ne ceffe ,dit-il,de dire aux Artistes: imia

tez la belle nature (on sent que c'est le ,, principe de l'Abbé Battcux). Mais qu'est

ce que la belle nature ”. Cette question eft-elle une réfutation? Nous ne le pensons pas; mais elle pourroit faire croire, ou que l'ingénieux Auteur des Beaux Arts . duits à un même Principe, n'a ni développé ni expliqué la pensée, ou que Mr. M. n'y a pas fait assez d'attention. La qualité de l'objet n'y fait rien, dit Mr. B ,gre ce soit une hydre , un avare , un faux dévot, un ron, dès qu'on les a présentés avec tous les traits qui peuvent leur convenir, on a peint la belle nature. ,, Je veux le croire, c'ell Mr.

M. qui parle, & sans examiner si l'ame d'un Néron est ce qu'on entend &

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