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seulement parce que c'eft la fatalité inévitable de la guerre, mais parce que ceux qui meurent par le fort des armes, pouvoient auffi donner la mort à leurs ennemis, & n'ont point péri fans fe défendre. Là où le danger & l'avantage font égaux l'étonnement ceffe, & la pitié même s'affoiblit; mais fi un père de famille innocent eft livré aux mains de l'erreur, ou de la paffion, ou du fanatifme; fi l'accufé n'a de défense que fa vertu; fi les arbitres de fa vie n'ont à rifquer en l'égorgeant que de fe tromper, s'ils peuvent tuer impuné ment par un arrêt; alors le cri public s'é. lève, chacun craint pour foi-même, on voit que perfonne n'eft en fûreté de fa vie devant un Tribunal érigé pour veiller fur la vie des citoyens, & toutes les voix fe réuniffent pour demander vengeance. Il s'agiffoit, dans cette étrange affaire de Religion, de fuicide, de parricide: il s'agiffoit de favoir fi un père & une mère avoient étranglé leur fils pour plaire à Dieu, fi un frère avoit étranglé fon frère, fi un ami avoit étranglé fon ami, & fi les juges avoient à fe reprocher d'avoir fait mourir fur la roue un père innocent, ou d'avoir épargné une mère, un frère, un ami coupables".

Vient enfuite un précis fupérieurement fait de cette funefte hiftoire. Il faut lire ce morceau, même après avoir lu les excel

lens

L

lens Ecrits de Mrs. de Beaumont, Loifeau & Mariette, ces trois généreux défenfeurs des Loix & de l'innocence. Mr. de Voltaire a eu l'art de raffembler en moins de vingt pages toutes les circonftances effentielles de cet horrible procès, & toutes les preuves qui établiffent invinciblement l'innocence de l'infortuné Calas. Il eft impoffible & de lire ce morceau fans la plus grande émotion, & de conferver après l'avoir lu le moindre doute fur l'injuftice de l'arrêt de Toulouse. Notre illuftre Auteur efpère, avec toute l'Europe, que cet affreux arrêt fera caffé par le Confeil du Roi. Il avoue cependant que quelques perfonnes ont dit

qu'il valoit mieux laiffer rouer un vieux Calvinifte innocent, que d'expofer huit Confeillers de Languedoc à convenir qu'ils s'étoient trompés. On fe fervit même de cette expreffion: il y a plus de Magiftrats que de Calas: & on inféroit de là, que la famille de Calas devoit être immolée à l'honneur de la Magiftrature. On ne fongeoit pas que l'honneur des Juges confifte, comme celui des autres hommes, à réparer leurs fautes. On ne croit pas en France que le Pape affifté de fes Cardinaux foit infaillible: on pourroit croire de même que huit Juges de Toulouse ne le font pas. Tout le refte des gens fenfés & défintéreffes difoient, que l'arrêt de Toulouse feroit caffé dans toute l'Europe, quand même des con

fidérations particulières empêcheroient qu'il fut caffé dans le Confeil ".

CHAPITRE II. Conféquences du fupplice de Jean Calas Dans le Chapitre précédent on avoit obfervé, que le fervice folemnel que les Pénitens blancs de Touloufe firent à Marc Antoine Calas comme à un Martyr (1), contribua beaucoup à émouvoir les efprits, à aveugler les luges, à exciter la fureur du peuple contre les accufés. A cette occafion Mr. DE V. montre ici l'abus de ces fortes de Confréries de Penitens,, Si, dit il, les Pénitens blancs furent la caufe du fupplice d'un innocent, de la ruine totale d'une famille, de fa difperfion, & de l'opprobre qui ne devroit être attaché qu'à l'injuftice, mais qui l'eft au fupplice; fi cette précipitation des Pénitens blancs à célébrer com

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(1) Tout le peuple vint à regarder Marc An. toine Calas comme un Saint. Quelques uns l'invoquoient, d'autres alloient prier fur fa tombe, d'autres lui demandoient des miracles. d'autres racontoient ceux qu'il avoit faits. Un Moine lui arracha quelques dents pour avoir des reliques durables. Une dévote un peu fourde, dit qu'elle avoit entendu le fon des cloches. Un Prêtre apoplectique fut guéri après avoir pris de l'émétique. On dreffa des verbaux de ces prodiges. Celui qui écrit cette relation, poffède une attestation qu'un jeune homme de Toulouse, eft devenu fou pour avoir prié plufieurs nuits fur le tombeau du nouveau Saint. & pour n'avoir pu ob. tenir un miracle qu'il imploroit

"

me un Saint, celui qu'on auroit du traîner fur la claie, a fait rouer un père de famille vertueux ; ce malheur doit fans doute les rendre Pénitens en effet pour le refte de leur vie: eux & les Juges doivent pleurer, mais non pas avec un long habit blanc, & un masque fur le vifage qui cacheroit leurs larmes. Ces fortes de Confréries femblent être inftituées par le zèle qui anime en Languedoc les Catholiques contre ceux que nous nommons Huguenots. On diroit qu'on a fait voeu de hair fes frères, car nous avons affez de Religion pour hair & perfécuter, nous n'en avons pas affez pour aimer & pour fecourir. Il ya eu des temps, on ne le fait que trop, où des Confréries ont eté dangereufes. Les Frérots, les Flagellans ont caufé des troubles. La Ligue commença par de telles affociations. Pourquoi se distinguer ainsi des autres citoyens? s'en croyoit-on plus parfait ! cela même eft une infulte au refte de la Nation Cet habit eft un uniforme de controverfiftes, qui avertit des adverfaires de fe mettre fous les armes; il peut exciter une espèce de guerre civile dans les efprits, & elle finiroit peut-être par de funeftes excès, fi le Roi & fes Miniftres n'étoient auffi fages que les fanatiques font infenfés. On fait affez ce qu'il en a coûté depuis que les Chrétiens difputent fur le dogme; le fang a coulé, foit fur les échaffauts, foit dans les batailles, dès le quatrième

fiècle

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fiecle jufqu'à nos jours. Bornons nous ici aux guerres & aux horreurs, que les querelles de la Réforme ont excitées, & voyons queile en a été la fource en France. Peut être un tableau raccourci & fidèle de tant de calamités, ouvrira les yeux de quelques perfonnes peu inftruites, & touchera des cœurs bien faits".

CHAPITRE III. Idée de la Réforme du seizième Siècle.,,Lorfqu'à la renaiffance des Lettres, les efprits commencèrent à s'éclairer, on fe plaignit généralement des abus; tout le monde avoue que cette plainte étoit légitime Leon X. pour payer fes plaisirs, trafiqua des indulgences comme on vend des denrées dans un marché public. Ceux qui s'élevèrent contre tant de brigandages, n'avoient du moins aucun tort dans la morale; voyons s'ils en avoient dans la politique".

Ils difoient que J. C. n'ayant jamais exigé d'annates ni de réferves, ni vendu des difpenfes pour ce monde, & des indulgences pour l'autre, on pouvoit fe dispenfer de payer à un Prince étranger le prix de toutes ces chofes. Quand les annates, les procès en Cour de Rome, & les difpenfes qui fubfiftent encore aujourd'hui, ne nous coûteroient que 500000. francs par an, il eft clair que nous avons payé depuis François I. en 250. années 120. millions; & en évaluant les différens prix du marc d'argent, cette fomme en compofe une

d'en

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