Page images
PDF
EPUB

des fluxions sur les yeux toutes propres à me rendre aveugle. N'importe, ce n'est pas encore ce qui m'a été le plus onéreux, ni même les avances que j'ai toujours été obligé de faire: la Gravure des Charactères Chinois m'a ruiné tous les deux ans > 1).

Ces caractères devaient être utilisés pour la composition du dictionnaire projeté. La rédaction d'un dictionnaire chinois sera le fil conducteur des études chinoises depuis Hoang et Fourmont jusqu'à De Guignes fils au commencement du XIXe siècle.

En 1720, on commença la gravure de caractères chinois sous sa direction: «Pour ce travail, dit-il, qui est long & très-penible, il m'a fallu d'abord trouver un Dessinateur homme d'esprit, & des Graveurs qui prissent le génie du Charactère Chinois. Le Dessinateur est le sieur GAUTIER Peintre, que l'on a engagé à quitter ses occupations ordinaires, & qui effectivement dessine ces Charactères & tous leurs traits compliquez mieux que les plus habiles Chinois.

« J'avois dans les commencements six Graveurs, le Sr REISACHER Suisse, le S CHAMBONNEAU Imprimeur à Paris & depuis Libraire à Thouars, les Srs BLANDIN, LE VASSAUT, TEXIER, & de S. LEUP Sculpteurs & Graveurs. De ces six, les trois premiers sont morts, les trois derniers continuent l'Ouvrage & ils le font tous trois avec une affection, qui, outre les Louanges, merite une recompense dans les Régles. Au reste nos Bois dessinez sont à présent une Curiosité à voir, puisque nous avons trouvé le moyen d'y mettre avec le Nom du Graveur sur le Charactère numeroté, sa place dans le Dictionnaire, sa Prononciation et son Ton » 2).

DE GUIGNES le fils nous dit que cent vingt mille caractères étaient déjà gravés en 1742, époque à laquelle Fourmont mit au jour sa Grammaire chinoise. Après la mort de Fourmont l'aîné le 18 décembre 1745, son frère Michel fut inscrit comme Interprète

1) Lettre de Fourmont, en tête du Catalogue.

2) Pages 71-72 du Catalogue.

à la Bibliothèque royale. «M. l'abbé Bignon récompensa son zèle en obtenant du Roi, qu'il seroit attaché, comme son frère à la Bibliothèque du Roi, sous le titre d'Interprète des langues Chinoise et Indienne; car il étoit aussi entré à cet égard dans les travaux de son frère» 1). En mourant en 1745, Fourmont laissait deux élèves, son neveu LEROUX DESHAUTERAYES et Joseph De Guignes, son disciple préféré, qui ne s'occupèrent pas du dictionnaire.

< En 1742 lorsque M. Fourmont présenta sa Grammaire Chinoise au Roi, il se fit accompagner de M. Deshauterayes, son neveu, & de M. De Guignes, l'un & l'autre ses disciples, qui eurent l'honneur de saluer le Roi, & qui éprouvèrent dès lors les effets de sa bienveillance, tous deux ayant été mis dès ce moment au nombre des Enfans de langues, avec la liberté de continuer de demeurer chez M. Fourmont, liberté dont ils profitèrent jusqu'à sa mort qui arriva le 18 décembre 1745; alors ils furent couchés sur l'état de la Bibliothèque du Roi avec le titre d'Interprêtes. Ils continuèrent aussi à demeurer ensemble, profitant de la Bibliothèque & des Manuscrits du défunt, que celui-ci leur avoit légués par un Testament Olographe du 15 Août 1740, mais dont il sépara depuis ses ouvrages Manuscrits qu'il voulut être mis & déposés à la Bibliothèque du Roi, après le décès de ses deux élèves. Ceux-çi, ayant fait, vers 1752, quelques arrangemens particuliers, se séparèrent» 2).

Joseph DE GUIGNES, né à Pontoise le 19 octobre 1721, fut nommé De Guignes. professeur de syriaque au Collége royal en remplacement de JAULT

en 1757; il est mort à Paris, le 19 mars 1800. Le P. Antoine GAUBIL

dont il publia la traduction du Chou King était son correspondant

[ocr errors]

1) GOUJET, Collège de France, p. 161. Michel FOURMONT, frère cadet d'Etienne, était né à Herblay, le 28 sept. 1690; en 1720, il remplaça Nicolas HENRION, comme professeur de Syriaque au Collége de France; il mourut d'une attaque d'apoplexie dans la nuit du 4 au 5 février 1746 et eut pour successeur dans sa chaire Augustin François JAULT qui, à sa mort le 25 mai 1757, fut remplacé le 15 déc. 1757, par Joseph DE GUIGNES. 2) GOUJET, College Royal de France, IIle Partie, pp. 125–6.

Deshauterayes.

à Pe King. De Guignes, dépourvu de critique, en voulant prouver que les Chinois étaient une Colonie égyptienne a montré sa fertilité d'imagination. Si certains de ses travaux arabes ont conservé quelque valeur, son Histoire des Hans, malgré ses défauts, est le seul de ses ouvrages relatifs à la Chine qui ait gardé de l'intérêt.

Michel Ange André LE ROUX DESHAUTERAYES était né à Conflans Sainte-Honorine près de Pontoise, le 10 septembre 1724, d'Antoine LE ROUX, originaire de Pontoise, et de Catherine FOURMONT, soeur d'Etienne et Michel Fourmont. Elève de son oncle Etienne, Deshauterayes s'appliqua à l'étude du chinois aussi bien que de l'arabe. PÉTIS DE LA CROIX étant mort en 1751, Deshauterayes fut nommé à sa place professeur d'arabe au Collége de France (19 février 1752); il donna sa démission en 1784 et il mourut à Rueil le 9 février 1795 1).

1) Parmi les nombreux ouvrages de Deshauterayes que cite l'abbé Goujet *), nous relevons ceux qui traitent de la Chine:

Dissertation sur l'origine de la Boussole, où l'on fait voir que les Arabes, les Persans, & les Indiens connoissoient cet instrument avant nous, & qu'ils le tenoient des Chinois. Recherches sur l'Histoire des Samanéens, en trois parties. L'Auteur prouve dans la 1re que ces Samanéens sont les mêmes Philosophes, ou Religieux Indiens, désignés dans Porphyre, S. Jérôme, S. Clément d'Alexandrie, & Strabon, sous les noms corrompus de Semnoens, Sarmanéens, Germanéens. Il rapporte dans la 2e partie tout ce que les Indiens disent de ces Samanéens & de leur prétendüe extinction totale. Il fait voir dans la dernière, que ces Religieux étoient des Disciples de Boudha, qui, haïs & persécutés par leurs ennemis, abandonnèrent l'Indoustan & se refugièrent au de-là du Gange, dans les Royaumes de Siam, Pégu, Camboya, Aracan, Parma, Laos, Tonquin, Cochinchine, enfin dans la Chine même & le Japon où ils sont connus sous les noms de Talapoi ou Talapoints, de Bonzes ou Disciples de Boudha &c.

Histoire de Fo-Chékia-Méouni; avec des recherches sur la Religion établie par ce fameux solitaire. Fo, & en entier Foto, est la mauvaise prononciation Chinoise du nom de Boudha. Les Chinois ne connoissent point les lettres B & D.

Mémoire sur plusieurs sortes de grains que les Chinois mangent, & sur la manière dont ils les cultivent.

Table Chronologique de l'Empire de la Chine, où l'on a marqué sur des colonnes parallèles, les Empereurs & les Princes tributaires qui ont gouverné la Chine.

[ocr errors]

Guerres des Chinois. M. le Chevalier d'Arcq doit faire usage de cet Ecrit dans son Histoire des Guerres.

Tchune Thsieou, c'est-à-dire le Printemps & l'Automne, ouvrage qui contient *) College Royal de France, III Partie, 1758, pp. 128–9.

de Chine.

Aucun de ces sinologues parisiens n'approchaient comme science Jésuites des missionnaires de Pe King, en particulier de PRÉMARE et de GAUBIL le plus remarquable de tous. Plusieurs de ces missionnaires comme PARRENIN, HERVIEU, Alexandre de LA CHARME, Florian BAHR, Pierre d'INCARVILLE Composèrent des dictionnaires dont les manuscrits sont restés inédits. Lors de la suppression de la Compagnie de Jésus dont la nouvelle arriva à Pe King le 5 août 1774, il restait dans la capitale de la Chine dix Jésuites français: Michel BENOIST, AMIOT, DOLLIÈRES, CIBOT, VENTAVON, BOURGEOIS, COLLAS, de GRAMMONT, de POIROT et le frère Giuseppe PANZI, peintre 1). Le P. Benoist traduisit le Chou King et commença le Mencius, mais ses versions ne furent pas imprimées. Le P. de Ventavon a entrepris une traduction restée inédite du Tchoung Young 2). Presque tous, en particulier Amiot et Cibot, ont fourni les matériaux qui ont permis à l'abbé BATTEUX ) et à BRÉQUIGNY ) de rédiger les Mémoires concernant l'Histoire, les Sciences, les Arts, les Moeurs, les Usages, &c. des Chinois

l'Histoire du Royaume de Lou, pendant l'espace de 242 ans, depuis l'an 722 avant l'Ere Chrétienne jusqu'à l'an 480, & écrit par Confucius l'an 492 avant J. C. & traduit du Chinois en François.

Annales Chinoises. Cet ouvrage occupe actuellement M. Deshauterayes, de même que le suivant.

Encyclopédie Chinoise, ou Dictionnaire Historique, Géographique de la Chine &

des Indes.

A cette époque les travaux suivants relatifs à la Chine avaient été imprimés:

Lettre adressée à M. Goguet, Conseiller au Parlement de Paris, sur les temps auxquels certains Arts ont été connus à la Chine. Cette Lettre est à la fin du Tome 3o de l'ouvrage de M. Goguet (Conseiller au Parlement de Paris, mort le 3 de Mai 1758) sur l'origine des Loix, des Sciences & des Arts &c, in-4, 3 Vol. 1758.

-

Lettre adressée à M. Desflottes sur l'Histoire véritable de l'Orphelin Chinois de la maison de Tchao, imprimée à la suite de l'Orphelin de la Chine, Tragédie; chez Duchesne 1755.

1) Voir Henri CORDIER, La Suppression de la Compagnie de Jésus et la Mission de Pe King (Toung Pao, Juillet et Déc. 1916).

2) Voir Toung Pao, 1916, pp. 553-4.

3) Charles BATTEUX, né le 7 mai 1713; † 14 juillet 1780.

4) Louis George OUDARD FEUDRIX de BRÉQUIGNY, né à Granville en 1716; † à Paris, 3 juillet 1795.

[ocr errors]

Hager,

Montucci,
Klaproth.

(Paris, 1776-1844, 16 vol. in-4). Mais il faut bien reconnaître que ces derniers missionnaires étaient loin d'égaler leurs devanciers.

En 1787, le Gouvernement chinois retira aux missionnaires le privilége dont ils jouissaient jusqu'alors de pouvoir écrire par la poste et de recevoir par la même voie des lettres à leur adresse.

[ocr errors]

« L'abus, vrai ou prétendu, que quelques Missionnaires de Pe-king avoient fait de ce privilége nous a attiré cette disgrâce. C'est le Gouvernement lui-même qui se charge de faire partir nos lettres à l'adresse du Tsong tou de Canton, lequel les fait remettre à celui ou à ceux qu'on lui désigne. Il en est de même pour les lettres qui nous sont adressées. Elles viennent en droiture au Bureau des Ministres sous l'enveloppe des lettres du Tsong-tou, et c'est par les ordres seuls des Ministres qu'elles nous parviennent. Il n'est pas nécessaire de vous dire dans quels embarras nous jettent toutes ces formalités. Cependant dans l'idée où sont icy les personnes en place, c'est une faveur et une faveur insigne qu'on nous accorde par toutes ces entraves, parce qu'elles empêchent, disent-ils, les indiscrets qu'il peut y avoir parmi nous, d'entretenir des correspondances dans l'intérieur de l'empire, correspondances qu'on ne dissimuleroit plus, comme on l'a fait en dernier lieu, lorsqu'on a découvert tous ces étrangers qui s'étoient introduits furtivement dans les terres, et qu'on a trouvé parmi les papiers de ces étrangers plusieurs lettres qui leur avoient été adressées par des Missionnaires de Péking, mais qu'on puniroit avec la plus grande séverité malgré la bienveillance particulière dont l'empereur nous honore, si le même cas, revêtu des mêmes circonstances, arrivoit encore une fois. » 1)

Au commencement du dix neuvième siècle nous voyons apparaître à Paris trois sinologues: HAGER, MONTUCCI et KLAPROTH, et avec eux renait la question du dictionnaire chinois. Je ne reviendrai pas ici sur les débuts de Klaproth que j'ai racontés ailleurs en détail 2). Je rappellerai seulement que dès 1800, il avait entrepris un gigantesque Vocabularium Characteristico-Sinico-Latinum ad Chrestomathiam Sinicam quem Gramaticae meae Sinicae subjunxi Henricus Julius Klaproth, qui encombre de ses feuilles blanches la Bibliothèque royale de Berlin $).

1) Lettre du P. Amiot à Bertin, Peking, 19 novembre 1787.

2) Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1917, p. 297.

3) Voir Bibliotheca Sinica, col. 1635.

« PreviousContinue »