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CHAPITRE II.

Administration centrale supérieure.

Conseils du roi. Chancelier. Surintendant des finances. Secrétaires d'Etat.

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Sous l'ancienne monarchie, l'administration centrale supérieure était représentée par les conseils du roi qui formaient le pouvoir délibérant, et par les grands officiers de la couronne et les secrétaires d'Etat qui formaient le pouvoir chargé de l'exécution. A l'origine, ces différents pouvoirs étaient fort imparfaits, et leur organisation resta longtemps confuse et incertaine. Ce ne fut que par une série de tâtonnements, sans régularité, suivant les besoins de chaque époque, que s'établit la répartition successive des affaires, soit entre les pouvoirs délibérants, soit entre les pouvoirs chargés de l'exécution. On peut même dire qu'il n'y eut à cet égard rien de bien régulier jusqu'au dix-septième siècle. A cette époque une ère nouvelle commence pour l'administration centrale supérieure. L'ordre et la fixité s'y introduisent : une distribution mieux entendue du travail et la séparation devenue nécessaire de pouvoirs différents assurent une plus prompte et une meilleure exécution des affaires. Ce changement est facile à comprendre. La royauté, dont le triomphe était désormais assuré, reprit alors, avec Henri IV, Richelieu et Louis XIV, l'accomplissement de son œuvre interrompue par les guerres de religion. C'est à partir de ce moment, en

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effet, que, grâce à ces puissants génies, la France conquiert, à l'extérieur, la prépondérance en Europe, et à l'intérieur l'unité territoriale et politique, du moins dans les limites où elle pouvait être établie à cette époque. Mais, pour obtenir de pareils résultats, la royauté devait disposer de moyens d'action plus rapides et plus sûrs que ceux qu'elle avait employés jusqu'alors. C'est à Richelieu que revient la part la plus considérable dans l'organisation nouvelle qui constitua, au dix-septième siècle, les pouvoirs supérieurs de l'Etat, à peu près tels qu'ils restèrent jusqu'à ce que la révolution de 1789 vint établir réellement l'unité politique et administrative en faisant disparaître cette diversité infinie des coutumes, des impôts, des juridictions qui entravait à chaque instant l'action du pouvoir monarchique.

Avant d'exposer les changements qu'éprouva le conseil d'Etat sous Louis XIII, nous dirons quelques mots de ce qu'avait été sous les règnes précédents cette importante institution (1).

Sous les premiers Capétiens, le conseil du roi, formé d'un certain nombre de barons et de cleres, avait à prononcer sur les affaires de toute nature qui se présentaient. Plus tard, sous Philippe le Bel, le nombre des affaires judiciaires devenant plus considérable, le conseil éprouva un premier démembrement, nous voulons parler de la création du parlement (1302). En 1319, sous Philippe le Long, l'institution de la chambre des comptes enleva aussi au conseil du roi une partie de ses attributions. A partir de cette époque, le conseil du roi, désigné indifféremment par les noms de Conseil privé, Conseil secret, grand Conseil, outre les affaires d'Etat sur lesquelles il devait spécialement délibérer, fut chargé de l'expédition des grâces et des requêtes, ainsi que du jugement de certaines causes évoquées par le roi. Il réunissait ainsi à la direction administrativé supérieure, des attributions contentieuses et judiciaires. Celles-ci, à mesure que l'autorité royale prit plus d'extension, devinrent assez importantes pour amener sous

(1) Du Conseil du roi, des personnes desquelles les rois ont composé leur conseil, et qui ont eu entrée, séance et voix en iceluy, par Olivier Lefèvre d'Ormesson, ancien maître des requêtes sous Louis XIII ( Biblioth. impér., fonds Sorbonne, 1080).—Trois livres des offices de France, par Est. Girard, avec des additions qui concernent l'histoire de l'origine et progrès des offices, etc., par Jacq. Joly. Paris, 1638-40, 2 vol. in-fol. — Histoire de l'administration monarchique en France, par M. Chéruel, 2 vol. in-8°, 1855, t. 1, appendice II, Organisation du Conseil d'État. Dictionnaire des institutions, etc., de la France, du même auteur, art. Conseil d'État.

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Charles VIII un nouveau démembrement du conseil du roi. Ce prince institua, en 1497, un tribunal distinct qui jugea toutes les causes réservées au roi et qui porta spécialement le nom de grand Conseil (1). Le conseil du roi conserva néanmoins une section judiciaire pour décider sur les requêtes et sur quelques autres matières. Déjà Louis XI l'avait divisé en trois sections qui correspondaient chacune à une classe particulière d'affaires; mais, en 1526, François Ier réunit ces trois sections, ce qui jeta dans l'expédition des affaires un grave désordre. Cet état de choses subsista jusqu'en 1547, époque où Henri II décida que le conseil royal s'assemblerait deux fois par jour : le matin, pour les affaires d'Etat et les finances; le soir, pour les requêtes. Dans le premier cas, le conseil prenait le titre de Conseil d'Etat et des finances, et dans le second celui de Conseil privé ou des parties. Henri III rendit plusieurs ordonnances au sujet de ces conseils. Il faut distinguer surtout celle de 1582, qui doit être regardée comme la première tentative pour leur donner une organisation régulière. Elle déterminait les matières qui devaient être traitées dans chacun d'eux, limitait à vingt-quatre le nombre des conseillers ordinaires de robe courte et de robe longue servant par quartier, indiquait ceux qui pourraient être admis à titre de conseillers extraordinaires, tels que les princes, cardinaux, grands officiers de la couronne, gouverneurs et lieutenants généraux des provinces, etc., y donnait droit de séance aux trois secrétaires d'Etat, au contrôleur général, etc., et enfin fixait les lundi, mardi, jeudi et samedi, au matin, pour traiter au Conseil d'État et des finances les affaires qui concernaient l'État et le soulagement des sujets, et les mercredi et vendredi pour expédier les matières contentieuses, procès et différends entre les parties, qui étaient portés au Conseil privé ou des parties.

Les guerres civiles qui troublèrent la fin du règne de Henri III et la première partie du règne de Henri IV einpêchièrent que ces règlements ne fussent exécutés. Le nombre des conseillers s'accrut de nouveau d'une manière considérable, et la plus grande confusion régna dans l'administration des affaires. Henri IV chercha à remédier à ce désordre aussitôt qu'il se fut rendu un peu maître de la situation. Il s'attacha surtout à réduire le nombre des con

(1) Les procès des archevêques, évêques, abbayes, communautés religieuses, qui étaient portés antérieurement au conseil d'Etat, furent de la compétence du grand Conseil. A une époque où le nombre des bénéfices ecclésiastiques était si considérable, cette juridiction ne tarda pas à acquérir une grande importance.

seillers et à renvoyer aux cours souveraines, comme le parlement, la cour des aides, la chambre des comptes, les affaires qui les concernaient plus spécialement. « Par ce moyen, disait le règlement de 1595, le conseil du roi étant déchargé de la plupart des procès qui étaient pendants audit conseil, il ne sera pas besoin de tenir tant de conseils, et suffira de tenir le Conseil privé une fois par semaine, qui sera le mercredi à deux heures après-midi; le Conseil d'État et des finances le jeudi à pareille heure', de deux heures après-midi; et le Conseil pour la direction des finances le samedi à pareille heure. » Ce règlement, en évitant l'encombrement des personnes et des affaires, rendait l'administration plus prompte et plus sûre. Il nous montre aussi qu'une nouvelle section avait été créée dans le conseil du roi, sous le titre de la Direction des finances. Elle était chargée de préparer les questions qui ne recevaient une solution définitive qu'en plein conseil d'Etat.

Après la mort de Henri IV, sous la minorité orageuse de Louis XIII, toutes les prescriptions de Henri IV furent bien vite oubliées, et l'on vit régner de nouveau dans le conseil d'État le désordre que nous avons signalé à la fin du règne de Henri III. Plusieurs causes s'opposaient alors à ce que cette importante institution reçût une organisation définitive. Elles se trouvent très-bien exposées par Olivier Lefèvre d'Ormesson, dans son Histoire manuscrite du Conseil du roi, que nous avons citée plus haut. La charge de conseiller n'était pas un office, mais seulement une commission. Le roi pouvait appeler dans ses conseils qui il voulait et tout le temps qu'il lui plaisait. Le nombre des conseillers n'était pas limité, pas plus que la durée de leurs fonctions. Dans les temps ordinaires, on ne pouvait entrer au conseil du roi qu'avec un brevet signé de Sa Majesté; mais aux époques de troubles, sous un gouvernement faible, on obtenait aisément ce brevet, ou l'on s'affranchissait même de cette formalité. Ce fut ce qui arriva sous la régence de Marie de Médicis. Une foule de membres importants du clergé et de la noblesse, souvent étrangers au maniement des affaires, mais recherchant la fonction de conseiller pour l'influence qu'elle procurait, envahirent les conseils du roi. On y vit entrer en même temps un grand nombre de membres des cours souveraines. Les offices, comme l'on sait, étaient alors d'un prix exorbitant. Il en résultait que beaucoup d'officiers, après avoir conservé quelque temps les charges qu'ils avaient si chèrement achetées, les revendaient ensuite avec avantage et cherchaient dans le conseil d'État une retraite honorable

ou un moyen de s'ouvrir une route à des emplois importants. Trèssouvent même ces derniers cumulaient les fonctions qu'ils remplissaient comme membres d'une cour souveraine et comme membres du conseil d'État. Ce n'est pas tout. Ces conseillers, évêques, grands seigneurs, membres des cours souveraines, qui ne prenaient place qu'accidentellement au conseil, prétendaient avoir la même autorité, ou même siéger au-dessus des anciens conseillers, qui siégeaient habituellement et qui se consacraient tout entiers à ces difficiles fonctions, n'ayant souvent pas d'autre dignité. « Le conseil d'État, dit M. Cheruel qui a le premier répandu quelque lumière sur ce point important de notre histoire administrative, ne formait pas un corps distinct qui eût son rang nettement marqué dans la hiérarchie administrative. Les conseillers d'État, qui avaient vieilli dans la pratique des affaires, s'élevaient avec raison contre la position qu'on leur faisait; ils se plaignaient de voir siéger audessus d'eux, dans les conseils du roi, des magistrats qui passaient des parlements et autres cours souveraines au conseil d'État. Ils demandaient qu'après avoir consacré leur vie au service de la France, et acquis par leurs travaux l'expérience des affaires publiques, ils ne fussent pas effacés par des officiers de justice qui prétendaient faire dater leur rang du jour de leur réception au parlement. Sous celte question de préséance, qu'on serait tenté de regarder comme puérile, se cachait une question plus sérieuse : le conseil d'État formerait-il un corps distinct, ayant ses droits, ses traditions, et dont les membres fussent au moins les égaux des conseillers des cours souveraines? (1) » C'était là la première question à résoudre. Il y en avait une autre non moins importante. Un grand nombre d'affaires qui auraient dû être portées devant les cours souveraines ou le grand conseil, étaient portées devant le conseil du roi, où on espérait, au moyen de protections puissantes, les faire terminer plus aisément à son avantage. Il en résultait une affluence d'affaires qui n'était pas moins nuisible que celle des personnes à une bonne administration. Ce fut dans le but de faire cesser tous ces abus, et de donner enfin au conseil d'État une organisation plus régulière, que l'on fit sous le règne de Louis XIII un grand nombre de règlements, qui appartiennent presque tous au ministère de Richelieu.

(1) Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, art. Conseil d'Étal, t. I, p. 214-215. `

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