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ration se pratiquait pour tous les billets d'une date déjà un peu ancienne qui n'avaient pu être payés sur les fonds primitivement désignés. C'était alors que les traitants et les grands seigneurs abusaient d'une manière déplorable de leur influence. Le pauvre rentier voyait souvent son billet réassigné cinq ou six fois et toujours sur de mauvais fonds, tandis que les gens en crédit, ou faisaient réassigner leurs anciens billets sur de bons fonds, ou faisaient accepter au pair dans leurs versements de grandes quantités de ces billets qu'ils s'étaient procurés à vil prix (1).

On conçoit qu'en présence des gains énormes réalisés au moyen de fraudes aussi indignes, l'État ait pu se croire autorisé à tenir compte de ces gains dans les remboursements qu'il faisait à ses créanciers, ou bien, comme le propose Richelieu dans son Testament politique, à regarder la seule jouissance pendant un temps donné comme un remboursement suffisant.

SECTION II.

Des vues de Richelieu sur l'administration des finances (2).

Le chapitre que Richelieu a consacré dans son Testament politique à l'administration des finances prouve que ce grand ministre ne resta pas aussi étranger qu'on le croit communément à cette partie si importante du gouvernement d'un État. Il y attaque d'abord l'un des plus grands abus de l'ancienne administration financière, nous voulons parler des ordonnances de comptant. Ces ordonnances, qui ne portaient ni nom, ni cause, étaient payées au trésor royal, sans quittance, sur la simple présentation et remise faite par le porteur; elles avaient pour but de soustraire à la surveillance de la chambre des comptes une partie des dépenses publiques. Richelieu propose de réduire à un million les fonds qui pourraient être touchés en vertu des ordonnances de comptant, et d'exiger que cés ordonnances soient signées par le roi et par ceux qui en auront

(1) Hist. de Colbert, p. 8.

(2) Testament politique, t. II, ch.

IX,

sect. vu, p. 141-179.

donné quittanee. Dans le Règlement général pour les affaires du royaume (1625), qui fait partie de la collection de M. Avenel, il va plus loin et demande la suppression complète de ces ordonnances (1).

Il avait parfaitement compris la nécessité de ne pas faire peser des impôts trop lourds sur certaines denrées. « L'augmentation du revenu du roi, dit-il dans son Testament politique, ne peut se faire que par celle de l'impôt qu'on met sur toutes sortes de denrées, et partant il est clair que si l'on accroît par ce moyen la recette, on accroît aussi la dépense, puisqu'il faut acheter plus cher ce qu'on avoit auparavant à meilleur marché. Si la viande enchérit, si le prix des étoffes et de toutes autres choses augmente, le soldat aura plus de peine à se nourrir et à s'entretenir, et ainsi il faudra lui donner plus grande solde ; et le salaire de tous les artisans sera plus grand qu'il n'étoit auparavant, ce qui rendra l'augmentation de la dépense bien approchante de la recette, et causera une grande perte aux particuliers, pour un gain fort médiocre que fera le prince..... Il est certain que lorsque les marchandises qui se consomment dans le royaume sont à un prix raisonnable, on en achète davantage, et qu'en effet on en dépense plus; au lieu que si le prix en est excessif, on s'en retranche même les plus nécessaires. »>

Les vues de Richelieu ne sont pas aussi sages en ce qui concerne le commerce avec l'étranger. Il partage à ce sujet les préjugés de ses contemporains, qui faisaient consister la principale richesse d'un pays, à vendre à ses voisins sans leur acheter, oubliant que ceux-c avaient bien le droit d'agir de même, et que ce qu'on appelait autrefois la balance du commerce n'était que le plus sûr moyen d'arrêter chez une nation tout essor dans la production et dans l'industrie.

Richelieu entre ensuite dans une analyse détaillée des revenus et des dépenses du royaume. Il évalue le total des impositions à 79 millions et les charges à 44 millions, en sorte qu'il n'entrait que 33 millions à l'épargne. Dans ces 79 millions, les tailles entraient pour 44 millions, les aides pour 4 millions, les gabelles pour 19 millions et toutes les autres fermes de l'État pour 12 millions. Les charges, consistant en rentes, gages, taxations et droit des offi

(1) On voit dans un Mémoire sur l'état des finances de 1616 à 1644, insú ̧ dans les Archives curieuses de l'histoire de France, que le comptant qui, en 1616, était d'environ 1,800,000 livres, se montait, en 1644, à 59,000,000.

ciers, etc., étaient ainsi réparties: 26 millions sur les tailles, 3 millions et demi sur les aides, 13 millions sur les gabelles, et plus de 2 millions sur les autres fermes; en sorte que les tailles ne donnaient en réalité que 17 millions environ, les aides 400,000 livres, les gabelles 5,500,000 livres, et les autres fermes à peine 10 millions.

Richelieu avait résolu de faire cesser cet état de choses par suite duquel plus de la moitié du revenu brut était absorbée par les charges à acquitter, et de diminuer en même temps les impositions qu'avaient à supporter les habitants des campagnes. Il comptait obtenir ce double résultat par trois moyens principaux: 1° par une réduction des tailles à la moitié de ce qu'elles étaient alors, c'est-à-dire à 22 millions; 2o par une augmentation considérable du revenu des gabelles; 3° par une suppression de 30 millions de charges sur 44 millions. Richelieu comptait faire de l'impôt du sel une des grandes ressources de l'État, en rendant libre le commerce de cette denrée et en supprimant, par conséquent, cette innombrable quantité d'officiers dont les gages absorbaient plus de la moitié de l'impôt. Quant à l'opération financière qui aurait permis de supprimer 30 millions des charges ordinaires pesant sur le trésor, voici en quoi elle consistait. Les 30 millions de rentes que Richelieu voulait supprimer avaient été constitués primitivement au denier 16, et représentaient un capital nominal de 480 millions; mais ces rentes avaient perdu beaucoup de leur valeur : elles ne se négociaient plus guère les unes qu'au denier 8, les autres au denier 6 et d'autres enfin au denier 5, c'est-à-dire qu'elles perdaient près de 50 à 60 p. % sur le capital et que les 480 millions dont nous venons de parler n'équivalaient guère en réalité qu'à 240 millions. Le projet du cardinal était, après la paix, de rembourser en sept années 30 millions sur les rentes, charges et aliénations, en profitant du cours où tous ces effets se vendaient, de manière qu'en se procurant par un traité une somme de 48 millions comptant, elle eût suffi avec sept années de jouissance pour le remboursement des propriétaires. En effet, les 48 millions comptant eussent racheté un capital de 96 millions au moins, dont le revenu de 6 millions, joint pendant sept ans aux 24 millions qui restaient, aurait produit une somme de 210 millions suffisante pour éteindre à peu près les 384 millions de capitaux restants, qui n'avaient cours dans le commerce que pour 192 millions.

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SECTION III.

Du système des impositions sous Richelieu (1).

Richelieu n'opéra aucun changement fondamental dans le système général des impositions. Il avait ajourné, comme nous l'avons dit, à la conclusion de la paix les réformes les plus importantes, celle, par exemple, qui concernait l'impôt de la gabelle (2). Il n'accomplit donc, dans cette partie de l'administration, que des modifications partielles que nous allons faire connaître.

Jusqu'en 1627, les baillis avaient joui de la juridiction domaniale en première instance. Ils étaient aussi chargés des adjudications et des baux. Toutes ces attributions furent transférées cette année aux trésoriers qui faisaient partie des bureaux de finances. Du reste, cet état de choses ne subsista pas longtemps, car, en 1637, les bureaux de finances se virent supplantés dans la plus grande partie de leurs attributions par les intendants de justice, police et finances, établis par Richelieu dans toutes les provinces.

Le surintendant d'Effiat avait essayé, mais en vain, de continuer la grande opération du rachat du domaine, commencée par Sully. On eut recours alors à un expédient qui mérite d'être remarqué. Un article du code Michaud autorisa les communes à acheter aux engagistes les domaines aliénés, et à en jouir avec toute franchise, à condition que l'État, à un moment fixé, en redeviendrait propriétaire.

Dans l'assemblée de 1614, le tiers état avait demandé l'établissement dans tout le royaume de la taille réelle, c'est-à-dire de celle qui s'imposait et se levait sur tous les immeubles d'une province, sans acception de propriétaire. A l'assemblée des notables de 1627, un député, M. Chevalier, premier président de la cour des aides, fit la même demande; mais tous les députés, à l'exception de trois, la rejetèrent comme dangereuse.

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(2) On a vu dans le chapitre des états provinciaux que Richelieu avait formé le projet d'étendre aux pays d'états le système des élections, mais qu'il n'avait pu réaliser cette innovation que dans le Dauphiné.

On rendit, sous le règne de Louis XIII, un grand nombre d'ordonnances au sujet des tailles. Sans doute, beaucoup des prescriptions contenues dans ces ordonnances n'étaient pas exactement observées: elles n'en attestent pas moins de la part du gouvernement une vive sollicitude et une connaissance complète des principaux abus à réprimer. Elles devaient avoir pour résultat, sinon de faire disparaître tout le mal, du moins de contraindre les agents du pouvoir à se surveiller davantage, en leur montrant la répression plus voisine. Parmi les édits sur les tailles, les plus importants sont ceux de 1634, 1635, 1641, 1642 et 1643.

Le règlement de 1634 est le plus considérable. Il contient 65 articles. Rendu au mois de janvier, il fut enregistré le 8 avril à la cour des aides, avec quelques modifications. Ce règlement servit de base pendant fort longtemps pour la levée des tailles; il fut souvent réimprimé et souvent commenté par les jurisconsultes. Le roi exprimait dans le préambule l'espoir que la répression des abus dans la perception de l'impôt amènerait annuellement une diminution de plus de 6 millions pour les contribuables. Après avoir rappelé les efforts qu'il avait faits pour établir la discipline parmi les gens de guerre et les obliger de payer leur dépense sur place, il ajoutait qu'il comptait procurer à ses sujets un soulagement plus grand encore << en révoquant tant de priviléges que se sont arrogés aucuns de nos officiers par l'autorité de leur charges, et des exceptions dont jouissent les plus riches et plus puissants des paroisses, qui ont acquis des droits, sous prétexte de certains offices imaginaires. » A cet effet, il « avoit commis de ses principaux officiers, pour se transporter dans les élections et dans les paroisses, pour imposer et faire comprendre dans les rôles des tailles les exempts et privilégiés au soulagement des pauvres, afin que, chacun portant sa juste part et portion, selon ses facultés et moyens, il n'y ait plus d'inégalité en l'assiette des tailles que nous savons n'être pas excessives pour la grandeur et puissance de cette monarchie, pourvu qu'elles soient également départies. » Voici quelles étaient les principales dispositions de cet édit. Quiconque était né roturier, nonobstant tout anoblissement depuis vingt ans, devait être sujet à la taille; il n'y avait d'exception que pour les douze associés de la compagnie de la Nouvelle-France, anoblis par édit du mois de mai 1628. Il était défendu, sous peine de 2,000 livres d'amende, d'usurper le titre de noblesse, prendre la qualité d'écuyer et de porter armoiries timbrées, si l'on n'était d'extraction noble. Il était ordonné qu'à

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