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à Cépoy. Quarante écluses en soutenaient les eaux des deux côtés du point de partage, et réunissaient ainsi, par une communication navigable, le cours de la Loire et celui de la Seine; communication importante, surtout pour l'approvisionnement de Paris. Au point de vue de la science, cet ouvrage était aussi très-remarquable pour le temps. Les Italiens ont été nos maîtres pour ce qui concerne les premiers éléments de navigation artificielle; mais le premier canal à point de partage, c'est-à-dire traversant le faîte qui sépare les bassins de deux rivières, a été construit en France par des Français, et ce canal, c'est le canal de Briare. « On a trop peu remarqué, dit à ce sujet M. Dutens dans son Histoire de la navigation intérieure de la France, cette conception hardie et féconde, inspiration du génie français, par laquelle, suppléant à la nature el rassemblant de vastes réservoirs d'eau sur le haut même des monts qui séparent les plus profondes vallées, l'homme, comme d'un point de partage, projetle de chacune de ces vallées de nouvelles rivières dont il enchaîne le cours trop rapide par des barrages successifs, et franchit ainsi, au moyen d'écluses et comme par une suite de degrés, les flancs iuclinés des montagnes intermédiaires qui s'interposaient entre ces grandes dépressions du globe. »>

M. Dutens affirme que le canal de Briare avait été construit en vue du grand projet de la jonction des mers, qui était la pensée dominante du siècle. Beaucoup de plans furent, en effet, proposés pour l'exécution de cette entreprise et plusieurs traités furent envoyés à ce sujet à Richelieu (1).

Il paraît même que l'on songea très-sérieusement sous Louis XIII à joindre les deux mers par un canal. Nous lisons, en effet, dans l'Hydrographie du P. Fournier, p. 352, que, le 4 août 1633, « le roi en son conseil tenu à Monceau ordonna que le premier président de Toulouse se transporteroit aux lieux et rivières désignés par la proposition du sieur de la Pierre de Castres et de celle du sieur de Baudon, avec des experts, et enverroit à Sa Majesté le rapport que feroient les experts pour la conjonction des mers du levant et du ponant, et par lequel des deux ou trois endroits différents qu'on propose il seroit le plus convenable. >>

Le service des postes reçut sous le règne de Louis XIII quelques

(1) Cinq propositions au roi et au cardinal de Richelieu faites en 1633 par le sieur Periers Loysel, pour le rétablissement de la navigation et commerce, la jonction de la Garonne et de l'Aude pour la communication des mers, la construction d'un bon nombre de vaisseaux, sans toucher aux finances, etc.; Paris, 1636, in-4°.

améliorations. Le premier établissement des postes en France eut lieu, comme l'on sait, sous Louis XI, par lettres en date du 19 juin 1464. A la tête de ce service était placé depuis 1608 un général des postes, qui en avait la possession entière, administration et juridiction. C'était de plus un véritable entrepreneur, puisqu'il achetait sa charge, percevait les droits utiles qui y étaient attachés et en supportait les frais. Ce fut sous l'administration du sieur d'Almeras, à l'époque de Louis XIII, que les postes, uniquement destinées dans l'origine au service du roi, commencèrent à servir d'une manière générale au transport des lettres et des paquets des particuliers. Ces derniers étaient depuis longtemps dans l'usage de charger de leurs paquets ou de leurs lettres les estafettes qui portaient les dépêches de la cour; mais comme ces estafettes n'avaient point de jour fixe pour le départ ni pour l'arrivée, on ne trouvait qu'un médiocre avantage à les employer. Aussi ne payait-on que peu de chose pour le port des lettres et paquets, chacun se taxant soimême par forme de gratification pour l'estafette. Les généraux des postes virent dès lors qu'ils pourraient augmenter leur revenu, en procurant plus de facilité au public pour l'envoi de ses dépêches. M. d'Almeras, pourvu de la charge de général des postes en 1621, y pensa plus sérieusement que ses devanciers, et établit le premier des courriers ordinaires pour partir et pour arriver à certains jours de la semaine à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse et à Dijon; il eut soin aussi de faire ouvrir dans ces villes des bureaux pour y recevoir les lettres qu'on devait envoyer, et pour y distribuer celles qui arrivaient. Quelques contestations s'étant élevées entre les commis de ces bureaux et les particuliers au sujet du prix du transport des paquets ou lettres, prix qui avait été laissé, comme autrefois, à la volonté des particuliers, le sieur d'Almeras, en vertu des pouvoirs attachés à sa charge, fit un règlement, en date du 26 octobre 1627, pour la taxe du port des lettres et paquets, qu'il ordonna à ses commis d'observer inviolablement, avec défense d'exiger plus grands droits, sous quelque prétexte que ce fût, « sauf que plus grand port y fût volontairement apposé par ceux qui les envoyeroient. >> En 1632, le général des postes fut remplacé par un surintendant des postes jouissant des mêmes prérogatives (1).

(1) On peut consulter sur l'histoire des postes en France depuis Louis XI, et de tous les services qui s'y rattachent, le savant continuateur de Delamare, LeclercDubrillet, qui a épuisé cette question dans le tome IV du Traité de la police, éd. 1738, in-fol., p. 552-627.

CHAPITRE XI.

Création de la marine française par Richelieu.

Sous François Ier et Henri II, quelques tentatives avaient été faites pour développer la marine marchande et la marine militaire et pour donner à l'autorité royale une part plus large dans l'administration de cet important service; mais après la mort de Henri II (1559), durant l'époque désastreuse des guerres de religion, la marine française fut presque entièrement détruite. Une anecdote que Sully nous a conservée dans ses Mémoires et que Richelieu a reproduite, avec une véritable douleur patriotique, dans son Testament politique, ne prouve que trop l'abaissement où elle - était tombée. Lorsqu'en 1603 Sully alla en ambassade en Angleterre, il y fut transporté sur un vaisseau anglais. Du Vic, gouverneur de Calais, l'escorta avec quelques bâtiments médiocres jusqu'à Douvres. Comme du Vic allait sortir de ce port pour rentrer en France, l'amiral anglais exigea qu'il baissât pavillon. Du Vic, « qui avoit quelque dent de laict contre les Anglois », refusa et reçut aussitôt des boulets dans ses voiles. Le combat allait avoir lieu; mais Sully, tout brave qu'il était, ne crut pas devoir engager une lutte inégale et fit signe à du Vic de baisser son pavillon, «< car, dit-il, il y eust eu de la batterie et apparemment la France eust été la plus faible. » Un pareil affront blessa profondément le grand ministre et son maître; aussi Henri IV et son conseil travaillèrent-ils ardemment à tirer notre marine de son néant. Mais on ne crée pas une marine en quelques mois, ni en quelques années, et la période durant laquelle ce prince s'occupa d'administration fut malheureu

sement trop courte pour qu'il pût réaliser ses projets. Les choses devaient rester dans le même état jusqu'au moment où la main ferme et habile de Richelieu vint imprimer une nouvelle et vigoureuse direction à tous les services publics.

Ce grand ministre, qui voulait fonder la prépondérance politique de la France, ne pouvait manquer de travailler au développement de la puissance maritime et commerciale de notre pays. L'exécution de ses vastes projets nécessitait de nouvelles ressources qui ne pouvaient provenir que d'un accroissement de la richesse nationale. La restauration du commerce extérieur fut une de ses plus vives préoccupations. « Il lui ouvrit la grande voie qu'avait entrevue Henri IV, et où il n'avait pu entrer, la voie des mers, des colonies et des expéditions lointaines (1). »

Dès la seconde année de son ministère, Richelieu fit un règlement pour la mer (2), où il expose la nécessité pour la France de se donner au plus tôt une marine. « Pour garantir ceux de nos subjets qui traffiquent au Levant des pertes qu'ils reçoivent des corsaires de Barbarie, et maintenir la réputation et la dignité de notre couronne parmi les estrangers, nous voulons qu'à l'advenir il y ait toujours en nos ports quarante galères, bien et duement entretenues, prestes à servir en hiver et esté, pour nettoyer les côtes. »

Les difficultés à vaincre pour doter notre pays d'une marine étaient immenses. Il n'y avait pas seulement à créer ce qui n'existait pas encore, mais à détruire mille obstacles qui empêchaient même de rien établir. Le plus considérable, sans contredit, était la part exorbitante faite à l'amiral dans l'administration de la marine. Ce fonctionnaire, bien qu'il eût perdu déjà quelques-uns de ses priviléges, était encore un véritable entrepreneur, disposant à son gré de presque tous les emplois de la marine, possédant une juridiction très-étendue, et dont les droits énormes, ainsi que ceux de ses officiers, étaient une des causes principales du dépérissement du commerce. On ne pouvait songer à introduire quelque ordre dans l'administration de la marine avant d'avoir supprimé cette charge, dont les prérogatives annulaient l'action du pouvoir central. En conséquence, une déclaration datée de Saint-Germain en Laye, du

(1) Ch. Gouraud, Hist. de la politiq. commerciale de la France, t. I, p. 190. Cet ouvrage se distingue autant par l'abondance des faits que par la nouveauté et la profondeur des aperçus

(2) Lettres, Mémoires, etc., de Richelieu, collect. des Docum. inéd. de l'hist. de France, t. II, p. 163-166.

mois d'octobre 1626, et enregistrée au parlement le 18 mars 1627, supprima la charge d'amiral qui fut remboursée à M. de Montmorency. On procéda de même pour toutes les charges inférieures qui furent remboursées à leur tour et rétablies par commissions.

La même déclaration créa en titre d'office pour Richelieu la charge de grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et commerce de France. « Nous voulons, disaient les lettres de création, que le cardinal de Richelieu pourvoie et donne ordre à tout ce qui sera requis utile et nécessaire pour la navigation et conservation de nos droits, avancement et établissement du commerce, seureté de nos sujets à la mer, ports, hâvres, rades et grêves d'icelle et isles adjacentes, observations et entretenement de nos ordonnances de la marine, et qu'il donne tous pouvoirs et congés nécessaires pour les voyages de long cours, et tous autres qui seront entrepris par nos dits subjects, tant pour ledit commerce que pour la sûreté d'iceluy (1). »

Les pouvoirs dont Richelieu jouissait étaient, comme on le voit, très-étendus et plaçaient sous sa main toute la marine de France, tant la marine marchande que la marine militaire. Il eut même plusieurs droits que n'avaient pas exercés les amiraux; ceux-ci, en effet, n'avaient point de juridiction contentieuse : elle appartenait à leurs lieutenants ou officiers de robe longue. Le cardinal de Richelieu obtint le pouvoir de décider et juger souverainement toutes les questions relatives à la marine, même aux prises et bris des vaisseaux (2).

Investi d'attributions aussi considérables, Richelieu, avec l'aide d'un secrétaire général, s'empara de la direction du département de la marine et s'occupa enfin sérieusement de réaliser ses vastes plans pour la puissance maritime et commerciale qu'il voulait donner à notre pays. Il inaugura la nouvelle administration par un acte de désintéressement rare à cette époque. Il refusa de toucher les appointements de 100,000 livres qui étaient attribués à sa charge (3). Il fit plus encore : il renonça même aux avantages éventuels que

(1) Isambert, t. XVI, p. 194. Des devises et des allégories rappelant la faveur que le cardinal de Richelieu venait d'obtenir furent alors publiées en assez grand nombre. Voir à ce sujet la collection historique des estampes de la Biblioth. imp. (2) Lebeau, Code des prises, t. I, p. 27.

(3) Henri de Montmorency avait remis entre les mains du roi la démission de son emploi vers le commencement de l'année 1626; mais, malgré la récente nomination de Richelieu à la grande maîtrise de la navigation, la charge d'amiral de

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