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la tentative de codification la plus considérable avant Louis XIV. Une exécution plus rigoureuse des règlements de police augmenta la sécurité publique, tandis que les nombreux hôpitaux et les établissements de bienfaisance de toute sorte, qui furent fondés à cette époque, offraient de grands soulagements aux misères des classes laborieuses.

L'industrie, l'agriculture, le commerce intérieur ne furent pas non plus négligés. Richelieu encouragea la formation de plusieurs compagnies qui se proposaient l'exploitation de toutes les richesses du sol; il fit achever le canal de Briare, commencé sous Henri IV, et rendit, au

sujet des tailles et des étapes de gens de guerre, de sages règlements propres à améliorer la situation des classes. rurales.

Il créa l'administration de la guerre; il donna à la France une marine marchande et une marine militaire ; organisa les consulats, conclut des traités de commerce avec la Russie, la Perse, le Maroc, etc., et favorisa beaucoup nos premières entreprises coloniales.

Les lettres, les sciences et les arts brillèrent aussi alors du plus vif éclat. La protection spéciale accordée par Richelieu aux artistes et aux gens de lettres qu'il arracha à la condition précaire et humiliante où ils avaient vécu jusque-là, la création de l'Académie française, la reconstruction de la Sorbonne, la fondation du Jardin royal des plantes, de l'Imprimerie royale, de la Monnaie des médailles, attestent la large part que le grand cardinal peut revendiquer dans le magnifique épanouissement du génie français à cette époque.

L'imagination se refuse à croire qu'un seul homme ait pu réaliser tant de choses et fonder à la fois notre prospé

rité intérieure et notre prépondérance politique en Europe, et cela au milieu de difficultés telles que n'en a jamais eu à surmonter aucun autre ministre. Cependant l'étonnement redouble encore, quand on songe que cet esprit infatigable n'était servi que par des organes que la maladie paralysait chaque jour. Richelieu était, en effet, d'une santé très-délicate et éprouvait des indispositions continuelles. Sa vie, traversée tout entière de souffrances et même d'infirmités, s'éteignit dans les langueurs d'une dernière maladie qui dura près d'un an. Mais, chez cet homme extraordinaire, le corps semblait obéir à l'âme. Richelieu se couchait ordinairement à onze heures, dormait trois ou quatre heures de suite, puis il écrivait lui-même, ou dictait à un secrétaire, et se rendormait sur les six heures pour se lever entre sept et huit heures. M. Avenel a parfaitement établi que Richelieu avait jour et nuit auprès de sa personne quelques secrétaires intimes, mais n'avait point de bureaux. Les secrétaires d'État, qui n'étaient que ses premiers commis, venaient prendre ses ordres, faisaient exécuter dans leurs bureaux le travail convenu, le soumettaient, quand cela paraissait nécessaire, au premier ministre, et puis le signaient eux-mêmes. Richelieu ne signait que ce qui se faisait dans son cabinet. Le P. Joseph lui-même ne semble pas avoir eu, plus que les secrétaires d'État, le privilége de rédiger les minutes signées par le cardinal. Celui-ci voulait tout voir et tout faire par lui-même. On ne peut imaginer, à notre avis, quelque chose de plus saisissant que le spectacle de cet homme d'État disputant au sommeil et à la mort tous les moments de sa fragile existence pour les consacrer à la grandeur de la France.

Aussi n'est-ce pas pour la science historique de nos jours un de ses moindres titres de gloire que d'avoir restitué à Richelieu, dans nos annales, la place qui lui était due comme administrateur. Pendant près de deux siècles, on avait laissé dans un oubli à peu près complet tout ce que le ministre de Louis XIII avait accompli pour la prospérité de notre patrie. Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, n'a trouvé, pour caractériser l'administration de Richelieu, que quelques paroles dédaigneuses et injustes. « Le cardinal de Richelieu, dit-il, occupé de sa propre grandeur attachée à celle de l'État, avait commencé à rendre la France formidable au dehors, sans avoir. pu la rendre florissante au dedans. » L'Histoire de Louis XIII, du P. Griffet, est, sans contredit, ce que nous possédons de plus exact et de plus complet sur ce temps. On y chercherait cependant en vain quelques renseignements sur les faits les plus importants de l'histoire administrative à cette époque. On n'y trouve rien, par exemple, ni sur les intendants des provinces, ni sur la création de notre marine, ni sur les améliorations nombreuses apportées dans l'organisation des armées, ni sur plusieurs établissements considérables qui datent du règne de Louis XIII, comme l'Imprimerie royale, le Jardin des plantes, etc. On peut adresser le même reproche à M. Bazin qui, dans son Histoire de Louis XIII, a concentré toute son attention sur les intrigues, les intérêts et le mouvement de la politique, et n'a accordé que très-peu de place à tout ce qui concerne l'administration intérieure. M. Poirson le premier, rendu justice à Richelieu comme administrateur, dans un travail court, mais substantiel, qui fait suite à son intéressante brochure sur les états généraux de 1614. Après

a,

lui, M. de Carné, dans son Histoire des fondateurs de l'unité en France; M. Augustin Thierry, dans son Essai sur l'histoire.du tiers état; M. Henri Martin, dans les t. XII et XIII de sa belle Histoire de France; MM. Dareste et Chéruel, dans leurs savants travaux sur l'Histoire de l'administration en France jusqu'à Louis XIV, ont dignement apprécié la part qui revient au ministre de Louis XIII dans le grand travail administratif qui s'accomplit chez nous au dix-septième siècle. Mais, ainsi qu'il est aisé de le concevoir, ces écrivains, embrassant dans les ouvrages que nous venons de citer l'histoire tout entière de notre pays, n'ont pu indiquer que les principaux traits de cette féconde administration, dont nous avons entrepris de présenter un tableau aussi complet qu'il nous a été possible.

Nous dirons ici quelques mots du plan que nous avons suivi dans ce travail et des sources les plus importantes où nous avons puisé. Notre but n'a pas été de faire connaître d'une manière complète le mécanisme de l'administration en France sous le ministère de Richelieu, Les modifications apportées à cette époque dans les différents services publics ont été le principal objet de nos recherches. Seulement nous avons dû, plus d'une fois, pour faire mieux comprendre la nature et la portée de certaines mesures, entrer dans quelques détails sur l'état où se trouvaient, avant Louis XIII, les services qu'elles concernaient, Nous avons cru aussi devoir tenir compte, non-seulement des réformes qu'accomplit réellement Richelieu, mais aussi des essais qu'il tenta et des projets qu'il conçut, et que les circonstances l'empêchèrent d'exécuter. Nous n'avons pas pensé non plus devoir passer sous silence certaines ordonnances, parce qu'elles n'eurent pas d'effet immé

diat. Ç'a été malheureusement l'un des vices les plus fâcheux de l'ancienne administration que beaucoup de règlements restèrent impuissants et furent bien des fois renouvelés avant de recevoir leur exécution. Mais il ne faudrait pas croire que, lors même qu'ils ne produisaient qu'une faible partie du bien qu'on en aurait pu attendre, ces règlements aient été inutiles. Dans une société où l'on ne pouvait faire un pas sans rencontrer un abus ou un privilége, n'était-ce pas déjà beaucoup que d'avoir signalé le mal et indiqué le remède? Ce fut ce qui arriva pour le cahier présenté par le tiers à l'assemblée de 1614. Ce cahier, plein de vues si sages et si avancées, semblait être tombé dans l'oubli, lorsque parut Richelieu, qui fit à ce vaste travail de nombreux emprunts, et transforma, en ordonnances plusieurs des vœux émis alors par la bourgeoisie.

Quant aux sources où nous avons puisé, nous ne dirons rien ici des ouvrages imprimés; nous donnerons seulement quelques indications sur les secours que nous ont fournis les riches dépôts de pièces manuscrites qui existent à Paris. Ces pièces sont de la plus haute importance pour l'histoire de l'ancienne administration, par la raison qu'à cette époque beaucoup d'édits, d'arrêts, etc., n'étaient pas imprimés et restaient enfouis dans les archives des différentes administrations. Parmi les collections de pièces manuscrites, celles de la Bibliothèque impériale occupent sans contredit le premier rang; aussi les avonsnous consultées avec fruit pour presque toutes les parties de notre travail. Nous y avons également rencontré quelques pièces imprimées auxquelles nous devons d'utiles renseignements sur les relations de Richelieu avec la Sor

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