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fracassant les dents avec la garde de son épée. On voudroit pouvoir conserver encore le doute qu'exprime Gibbon sur la part directe que prit Zimiscès à la mort de Nicéphore: mais le récit de Léon, si favorable du reste à Zimiscès, ne permet pas même la plus légère incertitude; et on le voit foulant aux pieds le corps de Nicéphore, et lui portant à travers le crâne le premier coup mortel: tristes prémices d'un règne, qui devoient se perdre, aux yeux des contemporains et de la postérité, dans l'éclat des victoires et des succès du nouveau prince! Tout ce récit de Léon, je le répète, est plein de chaleur et d'intérêt; son style, débarrassé d'une foule d'expressions oiseuses, est plus ferme et plus rapide on s'aperçoit, en un mot, qu'il a senti vivement ce qu'il raconte, et l'on ne peut être tenté de révoquer en doute des détails si précis, si positifs, et qui portent en eux-mêmes un si grand caractère de franchise et de fidélité.

Dans le vi. livre, dont je ne dirai rien ici, attendu qu'il étoit déjà connu en entier par la traduction latine de M. Hase, insérée, en regard du texte, dans le VIII. volume du Recueil des Notices des manuscrits (1), Léon décrit les faits qui se rapportent à la première année du règne de Zimiscès. On distingue dans ce livre un portrait de Zimiscès, tracé avec une profusion et une naïveté de couleurs qui ne manquent pas d'agrément, et de nombreux détails sur les préliminaires de la guerre des Russes, qui intéressent sur tout par rapport au caractère de ce peuple, nouvellement apparu sur la scène du monde. Le v11. livre, rempli en entier par le récit de la révolte de Bardas Phocas, neveu de l'empereur Nicéphore, n'a guère d'autre mérite que celui de raconter plus longuement un événement assez peu important en lui-même, et déjà connu par d'autres relations. On y trouve pourtant, au chapitre VII, une digression assez curieuse sur la révolution qui, en 929, mit le gouvernement et la tutelle de Constantin VII entre les mains de Romain I. dit Lécapène.

Dans le VIII. et le 1x. livres, qui sont les plus importans de cette Histoire, Léon décrit, avec une prolixité qui paroît tenir à la-fois et de l'exactitude de l'auteur et de la vanité nationale, les vicissitudes et les succès de la guerre contre les Russes, dirigée par l'empereur Zimiscès en personne contre le grand duc Sviatoslav, que Léon appelle Sphendosthlabus. Cette guerre, plus remarquable par l'acharnement avec lequel elle fut soutenue des deux côtés, et par le nombre et la hardiesse des opérations militaires, que par la durée des hostilités, fut terminée,

(1) Ouvrage cité, 2. par.ie, p, 254-296.

au bout de quatre mois, comme le dit précisément l'auteur, vaporn όλοις μησὶ τὴν Ρωσικὴν πανοπλίαν καταγωνισάμενος (1), quoique, par une singulière inadvertance, le P. Pagi en marque le commencement à l'an 971, et la fin à l'an 973 (2), fut, dis-je, terminée par un traité glorieux et avantageux pour l'empire grec, traité dont le texte nous a été conservé par l'annaliste russe Nestor (3). C'est aux commentateurs de ce dernier qu'il conviendra de concilier son récit, généralement favorable à ses compatriotes, avec celui de Léon, qui les représente toujours battus: mais il est juste d'observer que le traité de paix s'accorde mieux avec les succès des Grecs qu'avec ceux des Russes; en tout cas, c'est un point de critique qui devra exercer la sagacité des savans du Nord. Ce qu'il nous importe de remarquer ici, c'est que la narration de Léon est semée de particularités sur les mœurs des nations alors peu connues qui habitoient les contrées situées au-delà du Danube. Tel est, entre autres, le passage où cet historien décrit 4) les pratiques superstitieuses et les sacrifices humains en usage chez les Russes de cet âge, pour apaiser les mânes de leurs compatriotes immolés à la guerre. Ce passage a déjà été cité par M. de Sainte-Croix (5); et il est effectivement très-curieux. Malheureusement, les fausses notions dont il est accompagné, la citation d'Arrien, dans le Périple duquel on ne trouve aujourd'hui rien de pareil à ce qu'en rapporte Léon (6), le prétendu royaume d'Achille au milieu des Scythes; tout cela me rend bien suspect, s'il faut que je le dise, le témoignage de notre auteur, et j'aurois souhaité que M. Hase nous eût expliqué à ce sujet sa propre opinion. En général, les rapprochemens que Léon va chercher dans l'histoire et dans la géographie anciennes, n'annoncent pas des connoissances bien solides. Ainsi, lorsqu'il assure très-gravement que le Phison, un des fleuves du jardin d'Eden, est le même qui, sous le nom d'Ister, se jette par cinq bouches dans le Pont-Euxin (7); lorsque, quelques lignes plus bas, il attribue à Oreste, fils d'Agamemnon, la fondation, et le premier nom d'Adrianopolis (8), tradition rapportée, il est vrai, par Lampride (9), et répétée encore par Zonaras (10); lorsque, pour rendre raison de l'orgueil humilié

(1) Leon. Diacon. Histor. lib. 1x, c. 12. (2) Pagi, Critica, IV, 28, A; IV, 32, A. (3) Voy. p. 9r de la traduction allemande de Schérer, Leipsic, 1774-(4) Leon. Diacon. Histor. lib. 1x, c. 6, p. 92, D.- (5) Examen critique des historiens d'Alexandre, p. 756-757, note 3 de la deuxième édition. — (6) Vid. in Peripl. Pont. p. 133, A; 135, B. — (7) Leon. Diacon. Histor. lib. VIII, c 1, p. 8o.-(8) Idem, ibidem, c. 2.- (9) Lamprid. in Elagabal. c. v11. -(10) Zonar. in Constantin. Monomach, p. 199.

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d'un empereur, il rappelle les exemples des fils d'Aloće, du Babylonien Nabuchodonosor, et d'Alexandre de Macédoine (1), il est évident que cet historien entasse sans jugement et sans goût les fruits indigestes de ses lectures: mais il est vrai qu'on peut dire pour son excuse que telle étoit l'érudition de son siècle et de son pays.

Le x. et dernier livre de l'Histoire de Léon Diacre décrit les expéditions entreprises par Jean Zimiscès en Mésopotamie et en Syrie, pendant les années 974 et 975. La matière étoit sans doute belle et curieuse; il s'agissoit de raconter des succès dont les armes romaines avoient dès long-temps perdu l'habitude, et dans des contrées où l'étendard des Grecs ne s'étoit pas montré depuis Jovien. Malheureusement, Léon n'a pas compris l'intérêt de son sujet, ou plutôt, faute de notions assez exactes, il s'est presque constamment tenu à côté, en se jetant dans des digressions plus ou moins oiseuses, en recherchant comme à dessein des détails étrangers au principal objet de son récit. Si l'on dégageoit, en effet, du déluge de paroles où elles sont noyées, les seules particularités vraiment historiques qui se rapportent à ces deux années du règne de Zimiscès, on réduiroit à un bien petit nombre de phrases la longue narration de son panégyriste; et l'on a d'autant plus lieu de déplorer cette stérile abondance, que les écrits des Arméniens (2) et les Annales d'Abulpharadje (3), concernant cette même période de l'histoire du Bas-Empire, renferment une foule de notions précieuses sur les expéditions de Zimiscès, et notamment des lettres de cet empereur qui durent jouir d'une grande publicité, et qu'il est étonnant que son historien n'ait pas connues ou consultées. Le premier chapitre, dans lequel Léon fait, en deux lignes, arriver l'empereur des rives du Bosphore à celles de l'Euphrate, sans dire un seul mot des causes et du commencement de cette guerre, ni du siége d'Amida qui la précéda, nous fait connoître succinctement l'occupation d'Emèse et de Nisibis, et, du reste, ne nous entretient que de la mort d'un notaire impérial, qui se noya en traversant l'Euphrate. Dans le deuxième et le troisième chapitres, il n'est presque question que de la disgrâce du patriarche Basile, et de la nomination de son successeur Antoine, aux vertus apostoliques duquel l'historien paie un long tribut d'admiration. On sent, en effet, que ce devoit être là un des héros de Léon Diacre: mais on n'en desireroit pas moins que

(1) Leon. Diacon. Histor. lib. v, c. 3, p. 49.-(2) Voy. les Détails de la première expédition des Chrétiens dans la Palestine, traduits de l'arménien en français, par F. Martin, Magaz, encyclop. septembre 1811. (3) Histor. Dynast. 315, B.

cette admiration se fût contenue dans de justes bornes. La fin de ce chapitre est consacrée à la description de deux jumeaux monstrueux qui se réunissoient dans la partie inférieure du corps. Dans le IV. chapitre, T'historien reprend le chemin de la Syrie, sur les pas de Jean Zimiscès, et, d'abord, nous conduit à une place où l'empereur se rend maître des sandales du Sauveur; de là, il traverse le mont Liban, et vient prendre Béryte, où un tableau du crucifiement devient la matière d'une digression nouvelle et d'un récit qui remplit tout le chapitre suivant. La marche de Zimiscès le long des côtes de la Phénicie, et les progrès de ses armes, sont encore interrompus au chapitre VI par l'apparition d'une comète et par le récit des interprétations diverses auxquelles ce phénomène donna lieu. L'auteur ne nous fait même pas grâce de la sienne; il affirme, avec une assurance qui peut nous donner la mesure de ses connoissances et de celles de son siècle, que cet astre, dont les flatteurs du monarque tiroient de si favorables présages, n'annonçoit au contraire que rebellions funestes, incursions de barbres, guerres civiles, proscriptions universelles, pestes, famines, horribles tremblemens de terre, en un mot, ajoute-t-il, l'anéantissement presque total de l'empire romain (1); et, pour le prouver, il entame une longue digression qui remplit à elle seule les quatre chapitres suivans, et dans laquelle il semble se complaire à énumérer tous les désastres de toute espèce qui affligèrent l'Empire après la mort de Zimiscès, sous le règne de Basile II et de Constantin IX. Après tant d'écarts, entremêlés eux-mêmes du récit de tremblemens de terre, d'étoile tombant dans le camp de l'empereur, pour en prédire la ruine, comme celle qui tomba parmi les Troyens au moment où Pandarus décocha son javelot contre Ménélas (2), Léon revient enfin à Zimiscès, mais seulement pour raconter sa mort, et rendre compte de ses derniers momens. Ce qu'il y a de plus important dans les particularités que l'historien rapporte à ce sujet, c'est d'y voir confirmé, de manière à ne laisser aucun doute, le propos attribué à Zimiscès, et qui lui coûta la vie. En voyant de vastes et fertiles provinces possédées par l'eunuque Basile, l'empereur s'écria, dit-on, avec l'accent d'une juste indignation: Est-ce donc pour de pareilles gens que nous avons vaincu, et que le peuple

τα

(1) Leon. Diacon. Histor. lib. x, c. 6, p. 104, D: 'A' &'x' Taïra ǹ to noμnty παρεδήλω οπιπολή, ο πρὸς χάριν οἱ ἄνδρες των αυτοκράτορι ὑπηγόρευον, Σποςασίας δε χαλεπας, ἐθνῶν τε όπιδρομάς, καὶ ἐμφυλίες στάσεις, και μεταναςάσεις πόλεων και χώρων, λιμὲς και κειμές, καὶ παν λεθρίαν σχεδόν τῆς Ῥωμαϊκῆς Ἐπικρατείας, κ. τ. λ.

(2) Idem, ibidem, c. 8, p. 106, D: Texμnelor TOTO σapes o 67 Tus Ipaïens πληθύος κατενεχθείς απής, όπηνίκα Πάνδαρος τῷ Μενελάῳ ἐπιζξάζεται

romain prodigue son sang et ses trésors ! Ce reproche fut entendu, et l'affoiblissement qui, en peu de jours, à dater de ce moment, conduisit Zimiscès au tombeau, dans la force de son âge et dans le cours de ses succès, ne justifie que trop le soupçon de poison et l'éloquente douleur de Léon.

Telle est la substance de cette Histoire, que son auteur se proposoit sans doute de pousser plus loin, à en juger par une phrase qui termine la plus longue et la dernière de ses digressions (1), mais que probablement il n'eut pas le temps de continuer. Dans une analyse aussi rapide, je n'ai pu indiquer que sommairement ce que l'ouvrage de Léon renferme de neuf et de curieux; j'ai dû aussi exposer avec la même franchise les notions communes ou superflues, ou même tout-à-fait indifférentes, qui s'y trouvent jointes en assez grand nombre. C'étoit là la partie la plus ingrate de la tâche que j'avois à remplir. Dans mon second et prochain extrait, où je m'occuperai des notes de l'éditeur, remplies d'une érudition si variée et si profonde, de sa traduction si élégante et si fidèle, et de quelques pièces inédites qu'il a placées à la suite de l'Histoire de Léon, je n'aurai que des éloges à donner, et je puis prendre d'avance auprès de nos lecteurs un engagement qu'il me sera si agréable de remplir. RAOUL-ROCHETTE.

DE MOHAMMEDE EBN-BATUTA TINGITANO, ejusque itineribus, Commentatio academica, quam... publico eruditorum examini submittit, a. d. 7 martii 1818, auctor Johan. Gothofr. Ludov. Kosegarten. Ienæ, 1818; 51 pages in-4.°

ON connoissoit à peine de nom, en Europe, le voyageur arabe qui est le sujet de ce programme. M. Kosegarten, jeune professeur d'Iéna, déjà connu avantageusement par un petit recueil de poésies arabes, persanes et turques, qu'il a publié en 1815 (2), à son retour de Paris, où il avoit passé plusieurs années pour s'y perfectionner dans l'étude des langues de l'Orient, ayant eu pendant quelque temps à sa disposition un manuscrit arabe qui contient la relation abrégée des voyages

(1) Leon. Diacon. Histor. lib. x, c. 10, p. 109, B: 'Ama Tauta pir xŢ miegs εἰς τοὺς ἑαυτῶν καιροὺς ἡ ἰσορία παραδηλώσε

(2) Carminum orientalium Triga. Stralesundii, 1815.

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